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lundi 19 octobre 2015

A Montpellier, comment un collège mixte est devenu ghetto


Par Sarah Finger, Correspondante à Montpellier  


 Au collège Las Cazes, à Montpellier, le 24 septembre. La moitié des familles qui y sont sectorisées trouvent le moyen de scolariser leurs enfants ailleurs.

Au collège Las Cazes, à Montpellier, le 24 septembre. La moitié des familles qui y sont sectorisées trouvent le moyen de scolariser leurs enfants ailleurs. Photo Nanda Gonzague

Déserté par les familles qui en ont les moyens, le collège Las Cazes,fréquenté à 95% par des élèves d’origine marocaine, illustre l’échec d’une carte scolaire largement contournée.

  
Des élèves d’origine marocaine issus d’un même quartier qui se suivent de la maternelle à la troisième sans être confrontés à la moindre diversité : c’est pour dénoncer ce parcours «sans mélange ni ouverture» que des mères du quartier du Petit Bard, à Montpellier (Hérault), s’étaient mobilisées au printemps (lire Libération du 4 juin) .
 Au cœur de leur contestation : le fléchage obligatoire des CM2 de leur quartier vers le collège Las Cazes.
«Là-bas, il n’y a aucune mixité, dénonçait alors Fatima, l’une de ces mères en colère. Nous, on veut le meilleur pour nos enfants. Alors, Las Cazes, tous les moyens sont bons pour l’éviter.»
Et ces moyens fonctionnent : la moitié des familles dont les enfants devraient être inscrits dans ce collège n’y sont pas.
 Parmi ces «élèves manquants», environ un sur deux a été envoyé dans le privé.
Les autres sont inscrits ailleurs, grâce au jeu des options ou des dérogations, lesquelles permettent notamment le regroupement de fratries dans un même collège.
Des familles se munissent aussi de fausses domiciliations, obtenues grâce à des proches, pour contourner la carte scolaire.
Autant de stratégies d’évitement qui, selon le mot du principal, «siphonnent» Las Cazes : l’établissement accueillait près de 800 enfants dans les années 2000, il en compte aujourd’hui moins de 400.
 Les locaux en manque d’élèves ont progressivement été réaffectés : des formations pour adultes et un centre d’information et d’orientation repeuplent un peu les lieux.
 Ici, on se souvient qu’autrefois, ce collège était mixte et réputé.
Que s’est-il passé ?
 «Il y a une dizaine d’années, l’établissement a connu des violences, le climat s’est tendu et Las Cazes s’est vidé», raconte Nadia Allali, principale adjointe du collège.

En 2006, un classement établi par le Point lui a décerné la médaille d’argent des collèges français les plus violents.
«Depuis, la stratégie d’évitement a fait boule de neige», résume Laurent, conseiller principal d’éducation (CPE).
«Et on a perdu des options comme l’allemand, le latin ou la danse, qui faisaient venir les enfants», regrette Annick, prof de français langue étrangère.

Installation de ruches

Aujourd’hui, c’est surtout l’absence de mixité qui caractérise Las Cazes, classé en Réseau d’éducation prioritaire renforcé.
Un phénomène qui, selon Renaud Calvat, conseiller départemental chargé des questions d’éducation, n’est pas uniquement lié à la carte scolaire.
«Des classes moyennes habitent près du collège mais elles mettent leurs enfants ailleurs.»
En effet : avec environ 95 % d’élèves d’origine marocaine, chaque classe ne compte en moyenne qu’un enfant d’origine française.
 
 Parmi ceux-là, que les autres appellent «les Blancs», Eloïse, 13 ans : «Il y a beaucoup de mixité ici, on n’a pas tous les mêmes origines», explique-t-elle candidement.
Son voisin, Abdennabi, rigole : «C’est pas vrai, y’a que des Arabes dans la classe, à part toi.»
 
 «Mes parents ne voulaient pas que je vienne ici, poursuit Eloïse. Ils ont essayé de faire des dérogations mais ça n’a pas marché.»
 
La «non-mixité» de Las Cazes passe difficilement inaperçue.
 A l’accueil du collège, un père marocain arrivé récemment en France ne cache pas son inquiétude en inscrivant son fils : «Il pourra bien apprendre le français, ici ? Il n’y a que des Arabes…»
Pour Mustapha, prof de maths, «ce n’est pas le manque de mixité ethnique qui pose problème, mais le manque de mixité socioprofessionnelle et socioculturelle».
Un véritable «ghetto social», dénonce-t-il, illustré par deux chiffres : Las Cazes comptait en 2013 près de 83 % d’élèves boursiers (pour une moyenne française de 27,6 %).
 Et les trois quarts de ces enfants vivent en zone urbaine sensible (7 % en France).
 
«Chômage, logement, isolement, les familles cumulent les difficultés sociales, analyse Laurent, le CPE. Mais les enfants sont curieux, intelligents. C’est un bonheur de travailler ici.»
A Las Cazes, on est loin du film de Laurent Cantet, Entre les murs : c’est ce que confirme Robert Laisné, le principal de cet établissement, arrivé en septembre : «Les élèves sont polis, bien élevés, respectueux de bâtiments bien entretenus… Quant aux enseignants, ils ont souhaité enseigner ici et choisi d’y rester. Aucun ne compte ses heures.»
 Surinvestis dans leur mission, ces profs s’impliquent tous dans de multiples projets : théâtre, cirque, installation de ruches, découverte du milieu marin ou enregistrement d’émissions radio, tout est fait pour tirer ces enfants vers l’«ailleurs».
Parallèlement, les nombreux partenariats et tutorats montés entre le collège et l’enseignement supérieur (Université de Montpellier, SupAgro ou Sup de Co) visent à lutter contre «l’énorme déficit d’ambition» dont pâtissent ces élèves.
 «Ils n’ont aucune idée de ce qu’ils veulent faire plus tard, explique Nadia, la principale adjointe. Inconsciemment, ils s’autocensurent pour ne pas dépasser le chef de famille, ne pas être plus fort, plus instruit que lui, même si celui-ci est au chômage.»
 
L’équipe constate aussi que les relations filles-garçons sont plus tendues ici qu’ailleurs - peu de jeux mixtes, pas de flirts.
 Le foulard, ôté et remis devant les grilles, est plus présent qu’autrefois.
 Les collégiens, même les plus jeunes, respectent davantage le ramadan.
 Et pour la fête de l’Aïd, le collège est quasiment désert.
 
«La pression du quartier y est pour quelque chose, estime Nadia. Ici, ce serait mal vu d’envoyer son enfant à l’école ce jour-là.»

«Problème d’identité»

Cette entorse à la laïcité est tolérée car elle ne serait qu’un symptôme de la non-mixité, dont certains effets s’avèrent plus pervers : «Nos gamins ont un problème d’identité, et c’est beaucoup plus grave qu’un problème d’intégration, s’inquiète Laurent. Ils ne se sentent pas français et ne sont pas marocains. Leur identité, c’est d’être musulmans.»
 
 «Cette question d’identité est très prégnante chez eux, enchaîne Chloé, prof de français. Ils disent "Vous, les Français", comme si on ne pouvait pas être "tous français pareil", comme s’il y avait les "vrais" et les "faux" Français.»
 
Pire : «Beaucoup d’enfants de sixième et de cinquième ne savent tout simplement pas s’ils sont français», témoigne Mustapha.
 «Finalement, la seule mixité culturelle et sociale du collège vient des adultes étrangers formés ici, et des élèves handicapés accueillis en classe spécialisée», constate amèrement Chloé.
Et quand les élèves de Las Cazes débarquent au lycée, le choc est rude.
 «Pour eux, c’est comme un pays étranger, raconte Nadia. Ils étaient entre eux depuis la maternelle. En découvrant la mixité, ils perdent leurs repères, sont déstabilisés, pétrifiés, fermés aux apprentissages.»
 Il faut alors les accompagner : des professeurs du collège s’en chargent bénévolement.
Pour réinjecter de la mixité dans cet établissement, Isabelle Marsala, adjointe déléguée à la réussite éducative à la Ville de Montpellier, propose d’y installer les cinq classes d’une «calendrette» (école occitane associative), soit une centaine d’enfants «d’un autre milieu».
 
 L’idée fait bondir Renaud Calvat, conseiller départemental : «Sous un prétexte de mixité, on ne peut pas mettre dans une même cour de récré des ados et des enfants de 8 ans ! Pour moi, le dossier est clos.»
 
Pour autant, personne ne veut baisser les bras.
 Le cas Las Cazes est étudié de très près par le cabinet de Najat Vallaud-Belkacem et devrait faire l’objet de l’expérimentation départementale.
«Nous trouverons tous ensemble les moyens de rendre à nouveau ce collège attractif, espère Renaud Calvat. Ce sera peut-être long, mais nous y parviendrons.»
 
Sarah Finger Correspondante à Montpellier 

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