Ukrainien
originaire du Donbass, ayant vécu en Russie, a longtemps vécu en
Russie, V. a accepté de témoigner si son anonymat pouvait être garanti.

M.R.
Publié le 29 novembre 2023
Victor
D. est ukrainien. Ingénieur de formation, il est né à Makiïvka dans la
région du Donbass, désormais République populaire de Donetsk, et a fait
ses études à l’université polytechnique d’Odessa.
Le conflit en Ukraine,
il le vit non pas depuis février 2022, mais depuis plus de neuf ans. Et
neuf ans, c’est très long lorsque l’on craint de voir chaque jour ses
proches, ses amis, mourir sous les bombes. Installé en Russie en 1994,
Victor a accepté de témoigner pour nos lecteurs de la réalité de ce
qu’il vit et de ce que vivent les russophones du Donbass depuis 2014.
N'oublions pas, d'ailleurs, que la France s'était portée garante des
accords de Minsk et a donc trahi son engagement... Pour des
raisons évidentes de sécurité, nous ne pouvons vous donner le nom de
l’homme interviewé, de même que celui de la journaliste ayant réalisé
cet entretien.
Vous êtes né en Ukraine et vous vivez désormais en Russie. Pouvez-vous expliquer votre parcours à nos lecteurs ?
J’ai 73 ans. Je suis né à Makiïvka, dans
ce qui était le Donbass ukrainien à l’époque. J’ai fait mes études
d’ingénieur à l’université polytechnique d’Odessa, une ville créée par
la tsarine Catherine II. J’ai commencé à travailler à Vladivostok en
tant qu’ingénieur en électronique. L’usine fabriquait des composants
pour les sous-marins nucléaires russes, les porte-avions et les navires
de guerre. Navires qui étaient ensuite assemblés dans une usine près
d’Odessa.
Vous êtes retourné régulièrement en Ukraine ?
Oui. C’est là que j’ai grandi et j’y avais
encore beaucoup d’amis. C’est ma terre, l’endroit où mes ancêtres, et
mes parents désormais, sont enterrés. En plus, dans la religion
orthodoxe, nous avons une tradition : le neuvième jour après la Pâques,
nous rendons hommage à nos morts en visitant le cimetière dans lequel
ils sont inhumés. Nous leur parlons. C’est une façon de renouer avec nos
racines, nos ancêtres, de les honorer.
Vous avez eu des problèmes cette année pour vous rendre au cimetière ?
Oui. En avril dernier, il y avait de
violents combats dans cette partie du Donbass et nous ne pouvions pas
venir honorer nos morts, c’était trop dangereux. J’ai été arrêté à la
frontière de la République de Donetsk du fait des bombardements.
Heureusement, cette partie du Donbass est devenue russe, aussi ai-je pu
prendre le risque de m’y rendre depuis pour visiter la tombe familiale.
Mes amis d’enfance, qui habitent toujours sur place, se sont occupés de
la sépulture. Je leur dois des remerciements parce qu’après les
bombardements, ils devaient restaurer les monuments. Ils m`envoyaient
des photos des tombes qu’ils essayaient de rendre à leur état d’origine.
"Les gens sont morts sous les bombes fournies par l’OTAN"
Vous avez risqué votre vie sans hésiter pour revenir dans votre ville de naissance ?
C’était un risque, certes. Le cimetière
était interdit du fait de la présence des bases russes juste à côté et,
surtout, des bombardements incessants. Mais c’est un devoir de rendre
hommage à nos ancêtres. C’est important. Si vous négligez de vous
occuper des tombes de vos ancêtres, alors vos compatriotes ne vous
respectent plus. Vous serez mal jugé...
Les bandéristes ont fait beaucoup de dégâts sur la ville ?