La liturgie s’est donc déroulée impeccablement.
Conformément à la tradition. Michel Barnier, 26e premier ministre de cette Ve République bien malade, pour ne pas dire agonisante, a donc prononcé son discours de politique générale à l’Assemblée nationale.
Puis, les présidents des groupes parlementaires sont montés à leur tour à la tribune pour jouer leur partition. Selon la tradition. La liturgie est toujours la même, le faste des dorures de cette cathédrale de la représentation nationale qu’est l’hémicycle est toujours là, avec ses roulements de tambours, ses gardes républicains, ses appariteurs en jaquette, les effets de manches de certains députés qui doivent un instant se pendre pour Blum ou Jaurès. Enlevez le son de cette séance et comparez en visionnant, toujours sans le son, les discours de Debré, Pompidou, Chaban, Chirac, Mauroy, Rocard, Juppé, Jospin, Fillon, Philippe et on en passe et des meilleurs et des moins bons, et vous aurez l’impression que c’est du pareil au même. Que rien ne change finalement.
Une extrême gauche vociférante
Et pourtant ! Cette séance était une première dans la vie de la Ve : la première fois qu’un nouveau premier ministre montait à la tribune dans un hémicycle dont aucun des groupes parlementaires lui faisant face n’est disposé à lui accorder un soutien inconditionnel. Et cela par la grâce et la magie d’Emmanuel Macron qui décida, sur un coup de tête, de chaud ou de baguette magique, un beau soir de juin, de dissoudre l’Assemblée nationale. Et c’est à un homme de 73 ans, portant sur son dos le poids – et l’expérience - d'un demi-siècle de politique locale, nationale et internationale, que revenait la lourde tâche d’affronter cette chambre improbable.
Avec, à son extrême gauche, les héritiers des sans-culottes de 93, vociférant à tout-va, représentés par une Mathilde Panot très en verve, tout de noir vêtue, qui n’hésite pas à comparer Macron à Caligula et, par voie de conséquence, Barnier au cheval que l’empereur romain fit consul. Un Barnier relégué au rang de « larbin », « rampant devant l’extrême droite ». Un Barnier qui a pris dans son gouvernement Bruno Retailleau (accrochez-vous), « figure abjecte du macrono-lepénisme ». Le sens de la mesure de cette dame force le respect. Retailleau qui, visiblement, devient la tête de Turc, non seulement de la gauche mais de la Macronie : Gabriel Attal, fielleux, parle d’ « hystérisation » du débat en faisant allusion à la sortie de Retailleau, sans le nommer, sur l'Etat de droit qui « n'est pas intangible ni sacré ». Un Retailleau, pourtant collègue de gouvernement des petits copains et copines macronistes d'Attal. Ça promet d’être sportif… Mais le montagnard Barnier est un sportif !
Marine Le Pen : « Qu'allez-vous faire de sérieux ? »
Barnier, un sportif qui, sur sa droite, doit faire face à une autre athlète de la politique française : Marine Le Pen. Une Marine Le Pen qui a rappelé que nous étions dans un véritable « bourbier » et souligné que pendant ces trois mois de « pantalonnade » orchestrés par Macron, la vie avait continué pour les Français avec des finances publiques qui se dégradent, une insécurité inquiétante et une immigration incontrôlée. Marine Le Pen qui refuse d’entraîner le pays dans plus de chaos et c’est pourquoi son groupe ne censurera pas le gouvernement. Tout en saluant la courtoisie, le respect dont fait preuve Michel Barnier, « qualité qui vous honore et qui se raréfie », l’ancienne présidente du RN n’en interpelle pas moins le Premier ministre : « Qu’allez-vous faire de sérieux contre l’effondrement des services publics, l’immigration… Vraiment ? » Car, le souhait de sortir du « en-même-temps » est, selon elle, « timide ».
Wauquiez : « total soutien » à Bruno Retailleau
Barnier, en tout cas, peut donc compter, si l’on a bien compris, sur les très minoritaires LR. Laurent Wauquiez, pour justifier la participation de son parti au gouvernement, qui, pourtant, il y a à peine trois mois, était dans l’opposition, estime que « la France danse sur un volcan » et qu'au lieu de bloquer le pays, il faut agir, apportant au passage son « total soutien » à Bruno Retailleau, ce qui ne fait peut-être pas tout à fait l'affaire de Barnier...
Mais avec ça, nous n’avons pas parlé du discours. Plutôt que de tenter de résumer les 53.894 signes, espaces compris, d'un discours, certes timide, pour reprendre l’adjectif de Marine Le Pen, mais de bonne tenue et globalement lucide sur l’état de la France (sauf sur la question migratoire : « Nous ne maîtrisons plus de manière satisfaisante notre politique migratoire », le doux euphémisme ! ), tenons-nous en à son introduction. « À cet instant, j’ai en mémoire l’ordre de mission que le général de Gaulle écrivait de sa main à son aide de camp Pierre de Chevigné en l’envoyant à Washington pour fonder l’antenne de la France libre, en mai 1942. ‘‘ Je vous demande de faire beaucoup avec peu, en partant de presque rien’’ ». Peu, pour Barnier, c’est évidemment l’état de nos finances publiques. Peu, c’est aussi ses troupes : peu nombreuses. La liturgie s’est déroulée impeccablement, selon la tradition. Michel Barnier, ce soir, a devant lui un destin, au pire de syndic de faillite, au mieux d'administrateur apostolique et son onction toute ecclésiastique va devoir faire des miracles. Mais ça va pas être simple...
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