La belle idée européenne continue d’être dévoyée, déformée, trahie.
De nouvelles décisions de Bruxelles qui ouvrent largement le droit d’asile (suppression de la « procédure prioritaire » droit au travail des demandeurs d’asile) et donc indirectement l’immigration, doivent être appliquées en France dans les mois à venir, sous peine de lourdes sanctions financières.
Cette ouverture accrue, ce démantèlement des moyens de maîtrise des flux migratoires, dans un contexte où toutes les structures d’accueil et les capacités d’intégration se trouvent débordées, avec 3 à 5 millions de chômeurs, sont évidemment destructeurs.
Comment en est-on arrivé là ?
Le transfert de la compétence à Bruxelles en matière de politique d’asile, de libre circulation et d’immigration (la communautarisation), remonte au traité d’Amsterdam de 1996-1997.
A cette époque, je travaillais au ministère de l’Intérieur comme chargé de mission pour les affaires européennes et à ce titre, assistais aux réunions préparatoires du traité d’Amsterdam qui se tenaient au ministère des affaires étrangères.
J’y défendais avec ardeur la position de mon ministère, qui était aussi la mienne : transférer sans garanties un sujet aussi sensible à Bruxelles, c’est-à-dire pour l’essentiel, à la Commission européenne sous l’influence des associations sans-frontièristes, mène à une grave impasse.
Une ambassadrice d’une soixantaine d’années, a-politique, discrète, simple, une vraie grande dame, ne cessait elle aussi de mettre en garde le Quai d’Orsay. Elle a été évincée de son poste.
De mon côté, je me retrouvais seul face à une horde d’eurocrates français qui s’impatientaient de mes réticences.
Un jour l’un d’eux est entré dans une colère noire, une rage folle :
« L’Intérieur bloque tout ! L’Intérieur veut saborder la construction européenne ! L’Intérieur nous met les bâtons dans les roues! Puisque c’est ainsi, je soumets le projet (de traité d’Amsterdam) à l’arbitrage de Matignon ! »
Nous étions en 2006. Le Premier ministre Alain Juppé a tranché, sans l’ombre d’une hésitation : tout devait basculer à Bruxelles.
Dès lors, un engrenage était enclenché, car Bruxelles fonctionne comme un rouleau compresseur.
Ses bureaucrates mettent sur la table des règlements et directives qui affaiblissent et paralysent toujours plus les gouvernements nationaux. Les ministres et les fonctionnaires français qui suivent ces dossiers au Conseil des ministres européen (représentant les Etats) sont psychologiquement et idéologiquement incapables de dire « non », avec leur phobie de «l’isolement» et d’étape en étape, nous nous retrouvons les pieds et les poings liés.
Les hommes ou femmes politiques qui veulent aujourd’hui «sortir de Schengen (la libre circulation)» Mme Dati et M. Wauquier, après Sarkozy, se montrent plus lucides et audacieux que la moyenne mais leurs déclarations relèvent du vœu pieux : depuis le traité d’Amsterdam et ses suites, la libre circulation, (Schengen), est totalement imbriquée dans le droit européen.
Seule la Commission européenne, dans la logique du système, a « le droit d’initiative » c’est-à-dire la faculté d’engager une réforme. Et pour elle, l’idée d’une « sortie de Schengen » relève de l’hérésie. Elle s’y opposerait jusqu’à sa dernière goutte de sang.
Le monstre bruxellois, à mes yeux profondément anti-européen, ce Frankenstein conçu par des gouvernements nationaux dans un climat d’aveuglement, est en train de provoquer partout en Europe une montée vertigineuse des partis protestataires, de l’extrémisme, de la haine, du fanatisme, du racisme sous toutes ses formes, l’explosion des communautés nationales, une poussée de l’euroscepticisme alors que l’Europe, l’Europe des peuples et des nations, notre Europe que nous aimons, a tant besoin d’unité et de solidarité face aux défis planétaires.
En France, seule l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération politique éclairée, d’une personnalité de caractère, entourée d’une équipe lucide et visionnaire, soutenue par une large majorité de Français, capable d’affronter les tabous et une crise avec Bruxelles, permettrait peut-être de rompre avec cette logique infernale.
Pour l’instant, nous ne voyons strictement rien venir, comme prisonniers d’un brouillard opaque, pauvres canotiers entraînés par un courant fou vers une chute finale dont le grondement se rapproche.
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