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mercredi 13 septembre 2017

Mineurs délinquants. La cote d'alerte en Bretagne

 
À Rennes, la police interpelle quasiment chaque nuit un mineur étranger pour des faits de délinquance.
À Rennes, la police interpelle quasiment chaque nuit un mineur étranger pour des faits de délinquance.

Publié le 13 septembre 2017 à 08h21
Hervé Chambonnière avec Claire Staes

Agressions, vols et cambriolages en série commis par des mineurs étrangers : le phénomène semblait jusqu'alors limité à Rennes et Nantes. Notre enquête démontre que celui-ci s'amplifie et frappe de plus en plus de villes. Elle révèle aussi l'inquiétante absence de prise de conscience et de réaction de l'État.
 
À l'annonce de leur âge, les policiers brestois ont dû s'étrangler. Face à eux, dans la nuit du samedi 2 au dimanche 3 septembre, trois jeunes auteurs présumés d'une violente tentative de vol.
Il est 3 h du matin.
La scène se déroule dans la principale artère commerçante de la ville, rue Jean-Jaurès.
Quatre étudiants viennent d'être roués de coups par trois gamins âgés de 17... 10 et 9 ans !
Trois mineurs étrangers.
Compte tenu de leur âge, les deux plus jeunes sont laissés libres et remis à des éducateurs.
Le troisième est convoqué devant un juge pour enfants.
Deux jours plus tard, il sera à nouveau interpellé, pour la troisième fois en quelques jours, pour un autre délit.

Stups, agressions et vols

Ces épisodes, hormis le très jeune âge annoncé par deux des trois auteurs présumés, ne cessent de se produire depuis plusieurs mois.
À Nantes, Rennes et Brest.
« La journée, ils font du deal de rue mais ils commettent aussi des vols à l'étalage et des cambriolages. La nuit, on les retrouve beaucoup sur des vols avec violence. Ils s'en prennent à des proies faciles, en ciblant les personnes isolées et/ou alcoolisées », rapporte Patrick Chaudet, directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) d'Ille-et-Vilaine. Tous les policiers interrogés dans les trois métropoles rapportent les mêmes faits, « qui augmentent et se répètent sans cesse ».
Tous ont le sentiment de « vider l'océan à la petite cuiller », et disent leur exaspération.
« On interpelle et on arrête les mêmes auteurs dans la rue, quelques jours plus tard », dénonce le syndicat de police Alliance.
 « C'est une bombe à fragmentation », résume un responsable policier nantais.


Diffusion à Nantes, Brest, Quimper...

« Le problème est très complexe, avertit Patrick Chaudet, le DDSP 35. Nous sommes touchés par des mineurs ou des faux mineurs qui entendent profiter de l'excuse de minorité et qui savent qu'ils ne peuvent pas être expulsés.
Il y en a certains pour qui nous parvenons à prouver la majorité mais cela prend du temps et reste difficile à établir.
Ces individus nient systématiquement les faits, ne parlent pas et refusent tout examen ».
À Rennes, le procureur Nicolas Jacquet rejette tout laxisme et met en avant la création d'un groupe local de traitement de la délinquance dédié, en 2016, associé « à une politique pénale offensive ». Malgré cette réponse sévère (lire ci-contre), exceptionnelle pour la justice spécifique des mineurs (les mesures éducatives sont toujours privilégiées, conformément à la loi), le phénomène ne s'est pas résorbé.
« On l'a cru il y a un an. Beaucoup sont partis. Mais d'autres ont pris leur place. On constate même qu'ils sont plus jeunes et plus violents », confesse le procureur rennais.
Des interdictions de séjour ont été prononcées.
« Cela a peut-être renforcé la diffusion du phénomène dans d'autres villes, notamment à Nantes et Brest », observe un officier de police.
La trace de certains a été repérée à Saint-Brieuc, Quimper, Caen, Angers, Bordeaux...
« Ils sont très mobiles et réactifs, commente un autre policier. Pendant l'été 2016, on les a retrouvés sur les plages de Saint-Malo (35), où ils volaient les sacs des baigneurs ».

Les inquiétants résultats d'une enquête

Le phénomène est-il plus étendu ?
Quel est le profil de ces jeunes étrangers ?
Des réseaux sont-ils à l'oeuvre ?
Une enquête, initiée par le procureur de la République de Rennes, a bien été lancée en 2015.
Ses résultats, que seule la direction départementale de la sécurité publique d'Ille-et-Vilaine a accepté de nous communiquer, auraient pourtant dû alerter à plus haut niveau.
Fin décembre 2015, plus de 600 mineurs étrangers « posaient problème » dans le Grand Ouest.
« Le phénomène est en augmentation à Rennes et Nantes, note Patrick Chaudet, le DDSP 35. Nous allons refaire un recensement ».
Alors que l'enquête lancée en Ille-et-Vilaine n'a « pas établi l'existence d'un réseau criminel », à Nantes, la responsable du service mineurs du parquet, la vice-procureure Véronique Surel se dit persuadée du contraire.
« Nous n'avons pas pu le prouver jusqu'à présent mais de nombreux indices vont pourtant dans ce sens. Ces enfants sont exploités, sommés de ramener de l'argent. Certains sont drogués, prostitués et violentés ».
Ce sentiment qu'un réseau criminel est à l'oeuvre, partagé par le patron de la police bretillienne, change toute la donne.
« Ces mineurs se retrouvent victimes et auteurs. Pour le moment, faute de moyens et d'informations, nous en sommes réduits à ne traiter que le premier volet... », se désole Véronique Surel, qui estime aussi que « la réponse ne peut pas être que judiciaire ».

«Il n'y a pas de concertation, pas de stratégie»           

Y a-t-il un pilote dans l'avion ?
À Nantes, la responsable du service du parquet des mineurs, la vice-procureure Véronique Surel, ignorait l'existence de l'enquête lancée en 2015 dans le département voisin.
« Nous avons tous conscience que le phénomène prend de l'ampleur, que c'est compliqué et que nous sommes démunis. Mais je n'ai pas l'impression que le phénomène est pris au sérieux. Aucune étude globale n'est menée. Il n'y a pas de concertation, pas de stratégie et pas de solution qui se dégage. Moi-même je suis en grande difficulté au quotidien pour traiter ce problème », déplore la magistrate.
Au niveau national, aucun service policier n'a enquêté.
« C'est de la délinquance de voie publique. C'est traité localement. Il n'y a pas de réseau criminel », assure le service communication de la police nationale.

En squats, pas en foyers

Cécité ?
Problème de remontée d'informations ?
Mauvaise évaluation du problème ?
Les préfectures d'Ille-et-Vilaine et du Finistère n'ont pas répondu à nos sollicitations.
Celle de Loire-Atlantique a refusé d'y donner suite réduisant la problématique, à tort, à celle des « mineurs non accompagnés » (auparavant « dénommés mineurs isolés étrangers »), « qui est du ressort du conseil départemental ».
Si le chiffre de ces « mineurs non accompagnés » explose depuis quelques années, l'immense majorité de ceux-ci « sont dans une volonté d'insertion et n'ont pas affaire à la police ni à la justice », assure un cadre d'un conseil départemental breton, qui met en garde contre « les amalgames ».
« Ce n'est pas le cas des mineurs que vous évoquez qui ont un profil très différent. Eux ne viennent pas de pays en guerre, et sont clairement là pour voler, et rien d'autre. Ils refusent d'ailleurs toute prise en charge et nous n'avons pas le droit de la leur imposer. Ils ne relèvent donc pas de notre compétence ».
Le patron de la police d'Ille-et-Vilaine abonde : « Ces jeunes qui ne respectent ni la police, ni la justice, ne veulent pas non plus se faire assister. Quand on les envoie dans des foyers, ils descendent au premier feu rouge ! Ils logent le plus souvent dans des squats. La voie royale pour eux est de séduire une jeune femme, de lui faire un enfant et d'habiter chez elle ».
 
Du Maroc, via l'Espagne par groupes de 50 à 60           

L'enquête de 2015 a déterminé que la plupart des mineurs en cause à Rennes arrivaient d'Oujda, une zone frontalière avec l'Algérie située au nord-est du Maroc.
« Ils arrivaient à Rennes le dimanche matin, en cars, via l'Espagne, par contingents de 50 à 60, de préférence en été. Puis, ils disparaissent deux ou trois mois après et d'autres arrivent. C'est ce qui me fait penser à une filière organisée », commente le patron de la sécurité publique brétilienne.
              
600 mineurs délinquants étrangers recensés dans le Grand Ouest           

Il y a déjà deux ans, fin 2015, l'enquête conjointe de la police judiciaire et de la police aux frontières initiée en Ille-et-Vilaine, recensait 250 mineurs étrangers « posant problèmes » en Loire-Atlantique, 90 dans le Maine-et-Loire, 90 en Vendée, 71 dans le Finistère, 80 en Ille-et-Vilaine et 22 dans le Calvados. Depuis, le phénomène s'est « amplifié à Rennes et à Nantes ».
À Rennes, le nombre de mineurs en cause s'élèverait désormais « entre 80 et 100 ». Pour le seul premier trimestre 2017, 63 interpellations ont eu lieu à Rennes.
 « Actuellement, nous en interpellons quasiment toutes les nuits », relève le patron de la police en Ille-et-Vilaine.
              
Rennes : 50 mineurs condamnés à de la prison ferme en 2016           

Selon les chiffres du parquet de Rennes, 180 mineurs étrangers ont été interpellés en 2016.
Parmi eux, 45 (un sur quatre) ont été au final identifiés majeurs et jugés et condamnés comme tels, « souvent en comparution immédiate », par le tribunal correctionnel. Les autres procédures ont fait l'objet de 127 poursuites pénales, « dans les deux mois », devant le tribunal pour enfants, avec 50 condamnations à de la prison ferme.
 

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