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mercredi 27 septembre 2017

Paris, ville sale

 
La saleté due l’évolution comportements habitants, occupation l’espace public s’étire plus journée. 


La saleté serait due à l’évolution des comportements des habitants, et à une occupation de l’espace public qui s’étire de plus en plus dans la journée. - Hugo AYMAR/HAYTHAM-REA

Massimo Prandi  Le 26/09

ENQUÊTE Dans la perspective des Jeux Olympiques de 2024, la propreté est un enjeu crucial pour la capitale. Pourtant, nombre de riverains se plaignent de la saleté de ses rues. Pourquoi en est-on toujours là ?
 
Six heures du matin, rue de la Roquette.
Les noctambules sont allés se coucher, la voie est libre, les balayeurs sortent de leur atelier souterrain de la Bastille.
Une équipe de quatre arpente la rue de la place de la Bastille à la place Léon-Blum.
Canettes, emballages plastique, déchets organiques, sacs-poubelle éventrés, épanchements d'urine en quantité : nuit et jour, des dizaines de milliers de Parisiens et de touristes affluent dans cette rue, parmi les plus fréquentées de la capitale.
Et leurs déchets s'accumulent.
Les nettoyeurs vident les corbeilles de rue - les poubelles grises dotées de sacs en plastique, au nombre de 30.000 dans Paris - puis laissent les sacs d'ordures remplis et fermés à côté des corbeilles dans l'attente de leur enlèvement...
Attente qui peut parfois durer des heures.
Vers 7h30, les balayeurs arrivent, eux, au bout de la rue.
Le jardinet qui jouxte la bouche de métro de la place Léon-Blum est lui aussi truffé de déchets.
Il risque de le rester...
Le nettoyage des espaces verts relève en effet du service des parcs et jardins de la Ville, mais les jardiniers rechignent à jouer les éboueurs.
Résultat : trop souvent, les espaces verts se transforment en dépotoirs de longue durée.
 
Palmarès de la saleté urbaine

La rue de la Roquette n'est pas une exception.
Au Champ de Mars, Jean-Sébastien Baschet, président de l'association chargée de le défendre, déplore « une dégradation continue de la propreté du site depuis des années ».
Dominique Feutry, qui dirige l'association Vivre le Marais (association de riverains qui compte le plus de membres de la capitale avec quelque 2.000 adhérents) constate que son quartier donne « une impression de saleté », surtout le week-end, au moment de plus grande affluence des touristes.
Le canal Saint-Martin, lui, est défiguré chaque nuit par environ deux tonnes et demie de déchets générés par les noctambules.
Le palmarès de la saleté urbaine revient sans doute à la petite rue Dejean, au nord de Paris, derrière Barbès.
Ses 70 mètres sont littéralement couverts de déchets alimentaires, avec ses commerces de bouche à l'hygiène parfois douteuse et, surtout, ses dizaines de vendeurs à la sauvette qui proposent des cacahuètes grillées, poissons fumés et séchés, et parfois même de la viande de brousse, dont la vente est interdite en France.

Il y a un laisser-faire énorme. Le balayage n'est pas fait le samedi après-midi
 
La petite association La Vie Dejean a fait condamner par deux fois la Ville et l'Etat par  le tribunal administratif pour « carences fautives » et « rupture d'égalité » de traitement avec les autres arrondissements parisiens, en matière de sécurité et de propreté.
Mais rien n'a changé.
« Il y a un laisser-faire énorme. Le balayage n'est pas fait le samedi après-midi. Les bennes à ordures, qui vident les bacs [poubelles vertes, NDLR], passent quatre fois par jour, mais le lavage au Kärcher n'est fait qu'une fois par jour, très tôt le matin, et les balayeurs, quand ils sont là, cessent d'être présents à partir de 19 h 30 au plus tard », résume Yveline Levy-Piarroux, présidente de l'association de La Vie Dejean.
 
Les quartiers « riches » pas épargnés

Son réquisitoire est partagé par Philippe Limousin, président de l'association déCLIC 17/18 des riverains du 17e et du 18e arrondissement.
 « A 6 heures du matin, Paris est une poubelle. Tout est permis. Dans les années 1960, les concierges étaient verbalisés si ce n'était pas propre devant leur porte. Pourtant, à l'époque, on se chauffait encore au charbon », rappelle ce professeur à la retraite, qui habite près du carrefour de la Fourche, côté 18e arrondissement.
Les quartiers « riches » n'échappent pas à l'avancée des ordures.
« J'habite le 16e arrondissement. Le quartier est sale et il ne s'est pas amélioré depuis mon arrivée en 2004 », regrette Yoshiko Inai, une jeune Japonaise qui dirige Green Bird.
Une fois par mois, cette association, composée de Japonais résidents ou de passage mais aussi de Parisiens excédés par la saleté, organise des balayages dans la capitale.
Son exemple est Tokyo, ville de 9,5 millions d'habitants où il n'y a pas de poubelles publiques. Pourtant, on n'y voit pas traîner des ordures ni circuler des rats.
 « Les gens rapportent les déchets chez eux. Dès l'école primaire, les enfants apprennent à nettoyer leur salle de classe », explique la ressortissante japonaise.
Les rats sont un symptôme
 
La prolifération des rats à Paris est l'une conséquences les plus fâcheuses des ratés de la propreté publique. « Les rats sont un symptôme. Les rongeurs ne pâtissent pas de la faim dans la capitale. La nourriture est non seulement accessible dans les corbeilles et par terre, mais également du fait du nourrissage de pigeons et chats opéré par certains habitants - un phénomène dont je ne soupçonnais pas l'étendue en prenant ma fonction », raconte Georges Salines, chef du Bureau de la santé environnementale et de l'hygiène de la Ville de Paris.
En un mot, « Paris est dégueulasse », lance Régis Vieceli, secrétaire général de la puissante CGT du nettoiement.
Paris est dégueulasse
 
Pourquoi ?
La raison principale a trait aux modifications comportementales de ses habitants. « On est face à des évolutions importantes de l'usage de l'espace public. On assiste à une méditerranéisation de la ville », analyse Mao Péninou, adjoint à la Maire de Paris en charge de la propreté, du traitement des déchets, de l'assainissement.
L'occupation de l'espace public s'étire de plus en plus dans la nuit, comme le souhaite d'ailleurs la mairie de Paris.
Tous les arrondissements sont désormais visés par cette « movida ».
 
Les horaires en question

« Cette évolution heurte la tradition parisienne de nettoyage, à savoir un grand coup de propre le matin entre 6 et 9 heures, concède l'édile.
Le taux de salissure augmente, et on a des rues sales dès l'après-midi. Il faudrait qu'une partie croissante des quelque 3.500 balayeurs de la Ville, repartis en 130 ateliers, travaillent l'après-midi et en soirée. »
Les syndicats bloquent la modulation du temps de travail
 
Mais « l'appel au volontariat, pour que les personnels acceptent de travailler en équipe de l'après-midi, ne marche pas, avoue Mao Péninou.
Les syndicats bloquent la modulation du temps de travail », ajoute-t-il.
La CGT, syndicat très implanté chez les éboueurs, « est attachée au service public mais elle le fait avec des positions conservatrices », estime l'élu.
« Faux ! » réagit Régis Vieceli.
« Nous sommes ouverts à une discussion sur les 3x8, mais il faut embaucher 1.000 éboueurs supplémentaires et renforcer la propreté à 6 heures du matin », précise-t-il.
Par ailleurs, les incitations salariales au travail en équipe de l'après-midi octroyées par la Mairie sont jugées insuffisantes : 100 euros par mois de plus pour les équipes jusqu'à 23 h30.
 
Recours croissant au privé

Un débat d'arrière-garde, si l'on considère que bon nombre de grandes villes occidentales ont adapté depuis longtemps le temps de travail des éboueurs aux nouveaux défis de la propreté.
A Milan, la vie nocturne se concentre dans le quartier central des Navigli, les anciens canaux commerciaux de la ville.
La Mairie dépêche à 3 heures du matin des bennes et des équipes nourries d'éboueurs qui font place nette.
« Infaisable ici. On n'est pas dans une perspective de 24x24 », tranche Mao Péninou, très soucieux de préserver « la nuit » et le dialogue social avec les syndicats.
Du coup, Paris confie de plus en plus de missions de nettoyage en seconde partie de journée aux sociétés privées.
Ces dernières collectent déjà les ordures dans la moitié des arrondissements parisiens avec beaucoup moins de personnels mobilisés que ceux de la Ville.
La centaine de bennes de Pizzorno, avec ses 250 agents sur les camions, vident les poubelles d'immeuble de 540.000 habitants de la capitale.
Pour sa part, Derichebourg emploie 40 bennes et environ 160 agents travaillant en deux équipes (de 5 h30 à midi, et de 17 heures à 23 heures) pour vider les poubelles et les corbeilles de quatre arrondissements parisiens (1er, 3e, 4e et 7e).
La Mairie ne communique pas le nombre moyen d'éboueurs employés chaque jour sur les bennes chargées de la collecte des poubelles dans les dix arrondissements parisiens qui sont confiés à la Propreté de Paris.
D'après la CGT, il s'agit d'environ 1.000 agents sur 300 bennes.
Mais l'absentéisme est élevé.
Pas de pourcentage officiel disponible.
Le taux de 13 % est souvent évoqué « off » par les élus.
Un chiffre franchement sous-estimé, suggèrent plusieurs élus d'arrondissement.
Pizzorno et Derichebourg, eux, annoncent un taux d'absentéisme de 5/6 %...
 
Des amendes trop faibles

Autre problème, les amendes infligées aux salisseurs.
Elles sont dérisoires, comparées à celles d'autres villes occidentales : 68 euros contre plusieurs centaines de dollars à New York, et jusqu'à quelques milliers de livres au Royaume-Uni.
Après le plan annoncé en février 2016 , la Mairie a lancé en mars un nouveau plan pour corriger la copie .
Celui-ci prévoit avant tout des investissements en matériels, car le parc est trop souvent désuet.
En outre, la Mairie recrute quelque 200 éboueurs répartis dans sept ateliers sur les 130 que compte la capitale pour qu'ils travaillent jusqu'à 19 h 30.
A ceux-ci s'ajoute une centaine d'éboueurs qui prennent leur service en fin d'après-midi et travaillent jusqu'à 23 heures dans les quartiers les plus affectés par les ordures tardives.
« Ça ne résoudra rien. Ce n'est que de la communication, commente le syndicaliste CGT Régis Vieceli. La Mairie promet aussi 50 % d'inspecteurs verbalisateurs en plus d'ici l'été prochain. Mais avec une amende dont le prix ne bouge pas, l'effet de dissuasion n'est guère assuré. C'est mieux que rien, mais ce plan ne change pas la donne, surtout dans la perspective, pas si lointaine, des Jeux olympiques en 2024. » 
La Mairie déclare qu'il est trop tôt pour détailler des mesures supplémentaires par rapport au plan de mars 2017.
 
Champs-Elysées et berges
 
Premier collecteur privé de poubelles de la ville, depuis 2009, la société Pizzorno est également chargée par la Mairie du balayage des trottoirs et de vider les corbeilles de rue des Champs-Elysées en seconde partie de journée.
D'une durée de quatre ans, le contrat est en phase de renouvellement.
Ses équipes assurent la propreté de l'avenue de 13 heures à 20 heures tous les jours.
Pour remplir cette mission, Pizzorno dépêche une vingtaine d'agents, deux balayeuses électriques appelées « gloutons ».
Derichebourg, lui, se charge du nettoyage des berges de la Seine dès le début de l'après-midi jusqu'à 1ou 2 heures du matin en été.

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