La voiture de police brûlée par des manifestants dans le Xe arrondissement, le 18 mai 2016. Cyrielle SICARD/AFP
FIGAROVOX/ENTRETIEN -
Le procès de la voiture de police incendiée a été interrompu par des militants d'extrême-gauche. Laurent Bouvet décrypte les motivations et l'idéologie de ces groupuscules radicaux.
Laurent Bouvet est professeur de Science politique à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Il a publié L'Insécurité culturelle chez Fayard en 2015. Son dernier livre, La gauche Zombie, chroniques d'une malédiction politique, est paru le 21 mars 2017 aux éditions lemieux. Il est l'une des principales figures du Printemps Républicain.
FIGAROVOX.- Le procès de la voiture de police incendiée a été interrompu suite aux pressions de militants de l'ultra gauche. Des journalistes ont également été virés et insultés. Que cela révèle-t-il?
Laurent BOUVET.- Cela révèle, comme les violences régulièrement commises pendant les manifestations de l'an dernier par ces militants d'extrême-gauche, leur conception de la politique: une conception purement idéologique au sein de laquelle la violence est légitimée.
Les policiers, comme ceux qu'ils ont agressés dans cette voiture, sont pour eux les défenseurs d'un système à abattre.
Tout est permis à leurs yeux.
Même chose avec la justice ou la presse, qui participent du système.
Ils sont peu nombreux mais très «bruyants», très visibles et donc très efficaces dès lors qu'ils peuvent faire irruption dans une manifestation ou se rassembler comme lors de cette première journée de procès.
Cette gauche qui se qualifie d'«antifasciste» est-elle paradoxalement totalitaire?
Si elle accédait au pouvoir, elle le deviendrait assez vite.
On a des exemples suffisamment probants dans le passé pour le dire aujourd'hui.
La légitimation de la violence politique pour abattre un régime et prendre le pouvoir est un classique, bien connu et théorisé même par certains penseurs révolutionnaires.
Le grand problème, c'est qu'en général, une fois au pouvoir, cette violence ne cesse pas.
Il y a toujours des ennemis à éliminer: ceux qui s'opposent au nouveau régime bien évidemment mais aussi des ennemis à raison de «ce qu'ils sont» et non de ce qu'ils font: des ennemis de classe, des ennemis «de race», des ennemis de religion, etc.
C'est ainsi que se met en place le totalitarisme.
Fort heureusement, l'extrême-gauche actuelle ne pourra pas parvenir au pouvoir.
A la fois parce que nous
gardons la mémoire, collective, du totalitarisme, et parce que nous avons à faire à des «petits fonctionnaires» de la révolution davantage qu'à des désespérés qui n'ont rien à perdre.
Cette extrême-gauche violente n'a pas de base sociale.
Quel est le profil sociologique de ces militants?
On ne dispose pas de beaucoup d'éléments sur ceux qui sont en cause dans le procès actuel hors les enquêtes des journalistes, mais de manière plus générale, les études faites sur les groupes radicaux d'extrême-gauche ces dernières années montrent que ce sont surtout des jeunes issus de la petite bourgeoisie déclassée (i.e. dont le niveau d'études est supérieur aux emplois occupés) qui les alimentent en militants.
On y trouve peu ou pas de jeunes issus des catégories populaires.
La question qui se pose, et qui est malheureusement peu ou mal traitée par les sciences sociales, est celle de leur motivation idéologique, de la construction de leur vision du monde, de ce qui les conduit à s'engager ainsi dans des groupes prêts à la violence.
La réduction par la sociologie contemporaine de toute explication des faits sociaux (et politiques…) à la question sociale rend opaque le processus à l'oeuvre chez ces militants.
Car une fois que l'on a expliqué qu'ils se rebellent contre un système qui les rejette (parce qu'il ne leur «offre» pas l'emploi espéré ou souhaité notamment), on a du mal à comprendre pourquoi certains, très peu nombreux, choisissent cette voie militante en enrobant leur engagement d'un discours révolutionnaire ou anarchisant forgé à une autre époque - dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils sont bien incapables de le renouveler ou même de l'actualiser.
On est là devant une difficulté plus large: celle des sciences sociales, en particulier de la science politique, à saisir la réalité de ce qui est à l'œuvre dans notre société, du fait du refus ou du rejet dans cette discipline de certains outils d'analyse.
C'est valable pour l'extrême-gauche comme pour l'islamisme par exemple.
Geoffroy de Lagasnerie a publié dans Libération, un texte en défense des agresseurs. Cela signifie-t-il que l'idéologie de ces groupuscules se diffuse au-delà du petit cercle des militants? Que cela dit-il de la gauche aujourd'hui?
Je dis «classiquement» car ça a toujours été le cas.
Le romantisme révolutionnaire, surtout lorsqu'il est assorti d'une violence dont ils sont strictement incapables, a toujours été très prisé chez certains intellectuels.
Au-delà, on peut constater aussi que ces militants ont des soutiens, plus ou moins affirmés, dans la gauche politique, syndicale, associative, dans la presse aussi.
C'est là le signe d'un délitement préoccupant à gauche, à la fois d'une grande paresse intellectuelle et d'un éloignement de la réalité.
On peut paraphraser Lénine en disant cette inclination pour le gauchisme est la maladie infantile de la gauche.
Pour ce qui est des intellectuels, celui que vous citez est emblématique.
On peut même dire qu'il fait profession de gauchisme, en intervenant systématiquement dans ce sens depuis quelques années.
Mais au-delà de ce cas exemplaire, il est indispensable de comprendre le mécanisme de fascination du gauchisme qui s'exerce sur une grande partie de la gauche.
L'appel permanent à la «révolution», l'usage légitimé de la violence contre le «système», la dénonciation de toute pensée non conforme, la disqualification de tout adversaire politique accusé d'être d'extrême-droite, etc., tout cela est très répandu, bien au-delà des groupuscules dont il est ici question.
Comme si, au sein de la gauche, existait un complexe vis-à-vis d'une avant-garde toujours plus à gauche, toujours plus proche d'une inaccessible vérité.
On a à faire à une forme de platonisme.
Un exemple frappant de cette inclination en forme de complaisance pour le gauchisme était observable in vivo au moment de Nuit Debout.
Pendant des semaines, des chercheurs, des journalistes, des politiques… nous ont expliqué que ce rassemblement de quelques centaines de personnes place de la République représentait un phénomène politique exceptionnel, qu'au cœur de Paris s'inventait une «nouvelle politique», que la gauche allait se régénérer et que le paysage politique allait en être bouleversé.
Il s'agissait d'ailleurs souvent des mêmes qui défendent aujourd'hui les accusés du procès de la voiture de police incendiée!
Des heures d'antenne et des pages entières de journaux ont ainsi été consacrées à décortiquer le moindre aspect de ce «phénomène» politique.
On a su ce qu'on mangeait à Nuit Debout, la manière dont on votait la moindre des propositions dans les «assemblées citoyennes» réunies sur la place, les vêtements que portaient les militants les plus déterminés, etc.
On a tout su.
Résultat, pas grand-chose de neuf ni de vraiment intéressant, de l'aveu même d'un certain nombre des acteurs de ces semaines de «mobilisation».
Et pendant ce temps, rien ou presque sur la constitution très rapide des grands mouvements politiques qui joueront un rôle essentiel dans la présidentielle, tout spécialement sur celui qui fera élire le nouveau président de la République.
Si un quart seulement de l'énergie politologique, sociologique et médiatique qui a été consacrée à Nuit Debout avait été consacrée à En Marche, on comprendrait sans doute mieux ce qu'est la France politique aujourd'hui.
C'est ça le problème de cette complaisance très générale pour le gauchisme.
Deux ans après le 11 janvier où la police avait été applaudie, comment expliquez-vous le retour de la «haine antiflics»?
Les Français qui ont applaudi et soutenu les forces de l'ordre après les attentats continuent de le faire même si c'est moins démonstratif que lors de la grande manifestation du 11 janvier bien évidemment. Cela n'a pas changé.
En revanche, ce qui a changé, c'est que les tenants, très minoritaires, de la «haine antiflics» se sont eux remobilisés, à l'occasion des manifestations de l'an dernier et de quelques affaires qui ont impliqué des policiers ou des gendarmes - on pense ici à Sivens, à l'affaire Traoré ou à celle de Théo.
Cette remobilisation s'est faite en raison du croisement de trois phénomènes distincts mais concomitants ces deux dernières années: la protestation contre l'état d'urgence et ses conséquences directes sur certains milieux militants ; la violence anti-flics classique de l'extrême-gauche dans les manifestations contre la loi travail ; la mobilisation associative et médiatique contre les «violences policières» dont sont victimes des jeunes issus de l'immigration.
Cette concomitance a cristallisé dans toute la «gauche de la gauche» un discours très violent contre les forces de l'ordre et contre l'Etat lui-même accusé d'être liberticide, raciste, etc. Ce qui a eu plusieurs conséquences.
D'abord de libérer et de légitimer la violence physique dont il est question dans l'affaire du véhicule de police incendié ; ensuite de reléguer pour toute cette gauche le combat contre l'islamisme au second voire au troisième plan ; enfin de nourrir le discours identitaire de haine de la France qu'on trouve chez les «décoloniaux», chez les «indigènes de la République», au sein de l'islam politique et de ses nombreuses déclinaisons associatives (CCIF, Baraka City, Lallab, Bondy Blog…).
Cette cristallisation attisée et encouragée par des médias (on pense évidemment ici à Mediapart!), par des chercheurs et des intellectuels, par des responsables politiques aussi notamment au sein de la France Insoumise pose aujourd'hui un problème politique à la gauche, au-delà de la légitimation de la violence dont on parlait plus haut.
Ce problème, c'est celui de la capacité d'un mouvement comme la France Insoumise au premier chef (mais aussi des tentatives de personnalités comme Benoît Hamon) à surmonter de telles dérives. Celles-ci occultent en effet aux yeux de nombre de nos concitoyens toute réflexion et toute proposition un tant soit peu sérieuse de ce côté-ci de l'échiquier politique.
Ce qui est toujours dommageable au débat démocratique.
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