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lundi 7 avril 2014

Marseille : sécurité, le rapport censuré.

Marseille


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Une étude sur "l'approche globale", à l'échelle d'un quartier, Frais-Vallon, a déplu à la préfecture de police

La fameuse "approche globale", développée dans les ZSP, est-elle efficace ?
Quel est l'impact sur la population de ce concept sécuritaire censé nettoyer les 39 cités marseillaises du trafic de stups ?
En octobre dernier, la préfecture de police décidait d'en avoir le coeur net.
 Elle commandait donc un rapport à un policier retraité, Serge Supersac, afin d'observer son effet à l'échelle d'un quartier.
Le choix s'arrêtait sur Frais-Vallon (13e) pour un examen de deux mois et demi.
 Le 20 décembre dernier, le chercheur remettait ses conclusions de 53 pages au préfet et l'Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS) les mettait en ligne sur son site internet.
Quelques semaines seulement...
 Un coup de fil du cabinet exigera qu'il soit immédiatement retiré...


Remisé dans un tiroir préfectoral

Pourquoi ce rapport, commandé et payé, a-t-il été censuré et remisé dans un tiroir préfectoral ?
 "Pas assez objectif", argumente la préfecture (voir encadré).
 "J'ai répondu honnêtement, rétorque Serge Supersac.
Je ne suis pas là pour flatter le préfet".
 Mais ses conclusions ont dû faire tousser jusqu'au sommet de l'État.
Selon le rapport de l'ancien policier, ce dispositif sécuritaire, jugé "innovant" et "spécifique" par l'ancien ministre de l'Intérieur est... inefficace !

Outre son aspect endémique, Serge Supersac a pu constater sur le terrain que le trafic s'adaptait parfaitement aux diverses opérations de police.
 "La population a appris à vivre avec. Il fait partie du quotidien, observe-t-il. Surtout qu'après l'héroïne, l'arrivée du cannabisa été considérée comme un mieux".
Dans un souci de bon voisinage, les "choufs" aident régulièrement les mères de famille à monter leurs courses.

"La forte pression policière induit des réflexes de solidaritécorporatistes"

Un échange de bons procédés qui aurait même conduit, selon l'auteur du rapport, un gardien à confier la propreté d'un couloir à un "charbonneur"...
 D'où un effet assez limité des opérations de police.
 "Le trafic ne s'arrête jamais, assène Serge Supersac. Même quand il y a les CRS !"
 Selon son rapport, les clients sont envoyés vers d'autres points de deal qui s'ouvrent de façon transitoire ou vers d'autres cités.
"Il y a des règlements de comptes mais il y a aussi de l'entraide, même si on n'en est pas encore à la mise en place d'un syndicat de dealers, note, surpris, le chercheur. Cette forte pression policière induit des réflexes de solidaritécorporatistes."

D'après l'ancien policier, ce sont surtout les habitants qui subissent des pressions à l'issue des actions des forces de l'ordre.
"Les membres du réseau deviennent nerveux, détaille le rapport. Un jour, des policiers se sont déguisés en ascensoristes. Du coup, tous les techniciens étaient devenus suspects".
 Plus grave, Serge Supersac raconte qu'à la suite de l'interpellation d'un chef de réseau, son remplaçant avait décidé de faire des économies en réduisant le nombre de guetteurs.
Pour limiter les accès désormais sans surveillance, il avait aussi verrouillé les portes des escaliers, mettant ainsi en danger les riverains, notamment en cas d'incendie.

"On se rend compte que les CRS n'ont pas de consignes précises. Alors qu'ils doivent lutter contre les trafics, ils font aussi des contrôles routiers, souligne-t-il. Il n'y a pas de véritable dialogue. Du coup, personne ne comprend vraiment ce qu'ils font là. Pour la population, Brennus ou approche globale, c'est ésotérique, de la gesticulation policière. Eux, les habitants, ils ne pensent qu'à remplir leur frigo".
Dubitatif sur l'effet durable de ces actions, "des pansements alors qu'il faut des points de suture", Serge Supersac déplore que "les policiers répondent à une productivité alors qu'ils doivent être régulateurs de paix".
"Ce concept d'approche globale n'est pas totalement inutile mais il faut profiter de cette dynamique pour reprendre pied parmi la population, martèle-t-il. Tant que la police n'ira pas vers la population, ça ne marchera pas. Les faits sont têtus !"

"Pas objectif", selon la préfecture

Sollicitée au sujet de la censure de ce rapport qu'elle avait pourtant commandé, la préfecture de police estime que "le résultat de cette étude n'a pas répondu à la demande initiale, à savoir connaître le ressenti de la population de Frais-Vallon par rapport à l'approche globale".
 "L'étude produite comportait essentiellement le propre avis de M.Supersac sur la façon notamment d'organiser la police marseillaise, argumente la préfecture. Il n'y a quasiment pas d'éléments objectifs chiffrés et argumentés sur l'impact de l'approche globale auprès des habitants de ce quartier, affirme le cabinet du préfet. Dès lors, ce rapport n'avait pour nous pas d'utilité. Par ailleurs, il s'agissait d'une commande pour disposer d'un outil de travail interne qui n'avait nullement vocation à être publié".

Mais comme le préfet de police est toujours "soucieux d'évaluer le dispositif mis en place dans les ZSP", il a d'ores et déjà lancé des démarches "pour faire réaliser une évaluation de l'approche globale par une ou plusieurs entités neutres et extérieures au périmètre policier".
"Ce sont pourtant eux qui sont venus me chercher, rétorque Serge Supersac. Mais manifestement, ils se sont trompés. En voyant mon passé de policier, ils ont pensé que je rentrerais dans le rang. J'ai réalisé un travail objectif, qui n'était pas destiné à faire plaisir à qui que ce soit."


L'auteur

Ancien gardien de la paix et CRS, notamment à Marseille, Serge Supersac collabore régulièrement avec l'Institut national des hautes études de sécurité et avec l'Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS).
Depuis plus de dix ans, il travaille sur la relation police-population.
Il a notamment réalisé une étude sur l'UPU (Unité de prévention urbaine), brigade qui existe uniquement à Marseille, intitulée "Le meilleur au milieu du pire".

Approché par le cabinet du préfet de police en octobre dernier pour vérifier l'impact des nouveaux dispositifs de sécurité sur la population, il a pris l'exemple de la cité de Frais-Vallon.
Un choix arrêté en concertation avec la préfecture.
 Pendant deux mois et demi, il a rencontré des habitants, des commerçants, des travailleurs sociaux et même des dealers.



Retrouvez dans La Provence d'aujourd'hui et dans notre édition Abonnés : "Les différentes méthodes pour assainir les cités du trafic de drogue"

Laetitia Sariroglou

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