L’efficacité d’une police dépend en partie des renseignements dont elle dispose.
Toutes les polices du monde tiennent donc des fichiers où elles notent scrupuleusement les renseignements qui pourraient être utiles, dans le futur, sur chaque quidam auquel elles daigneraient porter un intérêt. Il y a des fichiers de police qui n’attirent pas de critiques démesurées. Que le policier ou le gendarme qui vous contrôle sur la route puisse vérifier, d’une part, l’authenticité de votre permis de conduire et, d’autre part, que la plaque minéralogique de votre véhicule correspond bien à la carte grise présentée en parfaite conformité avec le fichier des immatriculations, ça n’empêche personne de dormir. Il y a aussi des renseignements plus sensibles, et par conséquent des fichiers plus intrusifs.
Le ministère de l’Intérieur a publié, le 4 décembre dernier, une série de trois décrets[1] modifiant le Code de la sécurité intérieure pour étendre et détailler le périmètre d’usage de trois fichiers sensibles. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ratisse large. Ainsi, ce n’est plus seulement les activités publiques qui seront fichées, mais aussi les opinions politiques et syndicales, les appartenances religieuses, les opinions philosophiques, les pseudonymes des comptes sur les réseaux sociaux, les pratiques sportives, les affiliations au sein de groupes de fait ou de personnes morales… Enfin, le secret médical devient très théorique pour une personne qui présenteraient des troubles psychiatriques ou psychologiques : ils y seront renseignés. Une restriction disparaît : la précédente version interdisait d’user des photographies stockées (y compris celles de votre mur Facebook) pour une reconnaissance faciale, et cela ne sera plus le cas.
Monsieur le ministre de l’Intérieur souhaite que ses services sachent tout de nous dès lors que nous présentons un intérêt pour la sécurité publique. Cette sécurité publique pourrait aller jusqu’à l’atteinte aux institutions de la République. Diantre ! Un Jean-Luc Mélenchon et un Arnaud Montebourg qui souhaitent porter en terre la Ve République tout entière pourraient gagner un ticket d’entrée dans ces fichiers… et y voisiner avec toute l’Action française !
Quelques réflexions.
Il est assez vraisemblable que si de tels décrets paraissent, c’est que ces données étaient déjà collectées et stockées en catimini et qu’il convient de légitimer a posteriori une vieille pratique.
L’un de ces fichiers sert aux habilitations. Sachez-le, détenteurs légaux des secrets de l’État, vos comptes sur Twitter et vos adresses mail privées, malgré leurs pseudonymes réputés incassables, seront liés à vous.
De graves contestations agitent la rue sur une loi de sécurité globale bien mal préparée et perçue comme liberticide. La publication de ces textes en cette période est-elle une tentative de passer sous le radar pendant que l’attention est focalisée ailleurs ?
Bien sûr, la lutte contre le terrorisme est invoquée pour justifier des extensions de ces fichiers. Mais ne serait-ce pas un paquet cadeau destiné à calmer les indignations de ceux qui contesteraient le bien-fondé de traitements de données aussi intrusifs ?
La lucidité commande d’alimenter presque chaque jour un faisceau d’indices concordants qui confortent dans la conviction que ce pouvoir a des tentations totalitaires et qu’il travaille à l’avènement d’une société autoritaire où le contrôle du citoyen est systématique. Sacrifier les libertés publiques contre un incrément de sécurité est le marché de dupes proposé par l’État : il n’a ni l’intention ni les moyens d’honorer sa part d’engagement. Big brother is watching you!, mais vous pouvez croire que c’est pour votre bien et que ça sera efficace.
[1] Décret n° 2020-1510: https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042607266
Décret n° 2020-1511 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042607323
Décret n° 2020-1512 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042607387
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