« Toutes n’en meurent pas, mais toutes sont frappées » : c’est le lot de presque toutes les professions depuis la pandémie, et la médecine n’y échappe pas.
Mais si les joutes pseudo-scientifiques par écrans interposés entre patrons petits et grands – ou entre praticiens de base autoproclamés virologues ou épidémiologistes – ont largement contribué à décrédibiliser la profession, elles ont aussi mis en évidence et aggravé un phénomène plus antérieur : le clivage générationnel. La querelle des Anciens et des Modernes n’est certes pas née au XXIe siècle, et on sait depuis longtemps que les jeunes cons sont plus dangereux que les vieux, puisqu’ils ont tout l’avenir devant eux.
Mais de leur apprentissage basé sur le compagnonnage, les médecins avaient longtemps conservé le respect de l’expérience des anciens, dans une activité qui, pour être fondée sur la science, n’en était pas moins toujours un art. Un peu comme la cuisine, qui a ses grands principes, mais qu’on peut toujours enrichir d’une petite note personnelle, intuitive, basée sur la méthode des essais et des erreurs : « J’ai fini par faire comme ça, et ça a toujours marché… »
Mais dans les années 80, l’evidence based medecine (EBM, « médecine basée sur des preuves ») a commencé à asservir la médecine à la pure rationalité technicienne : chaque décision médicale devait désormais se justifier par des études validées et respecter les protocoles et les bonnes pratiques, sous peine de se retrouver au tribunal au moindre pépin.
Ce qui entraîna pléthore d’examens inutiles mais dispendieux, avec le corollaire d’un déficit croissant pour la Sécurité sociale, prétexte à encadrer plus encore l’exercice médical. Jusqu’à sortir totalement du jeu le secteur libéral, comme le fit le gouvernement dès le début de la crise, alors qu’il existe des thérapeutiques efficaces, à condition de les appliquer dès les premiers symptômes.
Mais c’est à cette école tenue en laisse courte qu’ont été formés les jeunes médecins d’aujourd’hui, comme Martin Blachier (35 ans), que sa profession d’épidémiologiste confronte non à des patients mais seulement à des tableaux Excel. D’où un point de vue, au sens propre, différent des confrères de terrain sexagénaire dont la carrière est faite, comme Éric Caumes (62 ans), Christian Perronne (65 ans) ou Didier Raoult (68 ans).
Et quand cette génération disparaîtra, l’intelligence artificielle aura commencé à s’ajouter à l’EBM. On nourrira un logiciel avec le sexe et l’âge du patient, quelques-uns de ses symptômes et deux ou trois résultats d’examens, et la machine listera les diagnostics possibles par ordre de probabilité, et la conduite à tenir dans chaque hypothèse. Le médecin (car il en faudra tout de même encore quelques-uns pour éviter les trop gros bugs) n’aura plus qu’à « s’exécuter ». Il n’y aura plus grand-chose à discuter sur les plateaux télé…
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