Madame, tout récemment, vous avez, dans votre grande mansuétude et car vous êtes, de toute évidence, mieux qualifiée qu’eux pour décrypter les subtilités du patrimoine français, cru bon de renseigner les ruraux sur ce qu’est la place Beauvau.
Et ce, consécutivement au projet éponyme promu par le premier d’entre nous. Vous avez donné au micro de Sud Radio cette phrase qui, considérant sa singularité, pourrait rester gravé dans le verbatim politique : “Je vais expliquer aux gens qui nous écoutent, c’est l’adresse du ministère de l’Intérieur…” Et vous avez rajouté “Dans le fin fond de nos campagnes, ils savent ce qu’est un veau, un veau qui est beau”.
“Le fin fond de nos campagnes”,
voyons où se situe l’endroit. Derrière la tonne à lisier, dans l’alcali
des étables, au bout d’une petite route qui se termine entre une pile
de bois et un tas de goudron abandonné ? À moins qu’il ne s’agisse de
cette France perdue à l’extrémité de son âge, entre le balancier des
pendules qui décapite le temps et le mouvement, à peine perceptible,
d’une poignée de vivants ? Oui Madame, qui fûtes Ambassadrice des pôles,
donc apte à appréhender l’isolement et la déréliction des contrées
lointaines, pouvez-vous, à défaut de vous y être un jour transportée,
nous dire où se situe cet abîme champêtre ? Et tant qu’à répondre à
cette délicate interrogation, pouvez-vous nous renseigner sur ce “veau qui est beau”,
future génisse, déjà broutard, veau de lait ou veau de rivière dont
Molière vantait la tendreté, Fleur d’Aubrac ou autre Rosée des
Pyrénées ? Sachant, Madame l’ancienne ministre de l’Écologie, que dans
nos campagnes, lorsque l’on évoque votre nom, l’on se souvient surtout
de cette Agence pour la biodiversité que vous avez lancée au temps de
votre mandature. Quand, depuis vos ministères climatisés, vous avez
activé le classement des zones dites vulnérables. S’en suivit une
panoplie de mesures plus cœrcitives les unes que les autres, avec des
mises aux normes souvent inadaptables et inadaptées qui précipitèrent la
déprise et la fin de certaines exploitations agricoles dans ce que vous
définissez, non sans une certaine condescendance, comme étant le fin
fond de la France.
Cette France rurale qui n’a peut-être, effectivement, jamais entendu parler de Charles Just de Beauvau Craon, ministre de la Guerre sous Louis XVI et locataire à vie du site qui nous vaut ici votre indispensable érudition. Cette France des champs et des layons qui est encore capable de savoir où se situe le ministère de l’Intérieur car, voyez-vous, elle s’acquitte une fois par an de la redevance qui lui permet de posséder une télévision.
Depuis cette Muraille de Chine où vous évoquiez la “bravitude” des visiteurs, vous nous avez habitué à quelques mémorables saillies verbales. Mais cette fois-ci, Madame, vous êtes bien loin de la bourde, de la calembredaine et de la plaisanterie. Vous frayez dans les eaux basses de la suffisance et du mépris.
Ce “fin fond de nos campagnes” ou il faut peut-être, tant qu’à faire, aller chercher quelques “sans dents”, exprime à lui seul le clivage qui nous éloigne de nos dirigeants.
Diviser notre pays en catégories qui vivraient, soit dans un décor à la
Breughel, soit sous les pampilles de la haute société, en usant de
considérations géographiques, en dédaignant les territoires isolés,
participe à l’entretien d’une partition sociétale culturelle et
intellectuelle égocentrée.
Voilà madame,
très modestement, ces quelques mots adressés, sans rancune car j’ai pris
la mesure de votre inconséquence, à celle qui postula voici quelques
années à la présidence de l’État français. Du fin fond de ces Pyrénées
où je gîte et du fin fond de cet Aubrac où je me rends régulièrement, je
vous adresse l’expression de mes sentiments les plus cordiaux. Car nous
pouvons aussi, voyez-vous, derrière l’éther des lointains, blottis au
coin de l’âtre ou perdus dans la tourmente, faire preuve de révérence
sans pour autant mourir idiots !
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