J’ai assisté avec étonnement puis effarement, en direct à la télévision, à la charge policière qui a gravement blessé une manifestante de 74 ans à Nice, samedi dernier.
Cette action confirme les risques observés depuis quatre mois à employer des unités de police peu formées et mal encadrées pour cet exercice très délicat qu’est le maintien de l’ordre, affaire de professionnels.
Mes sept ans d’expérience de commandement d’escadrons de gendarmerie mobile m’autorisent à donner un éclairage technique sur ce qui s’est passé à la vue d’images très claires et parlantes diffusées sur les médias d’information.
La situation calme des lieux ne nécessitait manifestement pas d’effectuer une charge afin de disperser quelques dizaines de manifestants, même si les sommations ont bien été faites réglementairement, en direct aussi.
Je n’ai pas remarqué, non plus, d’hostilité ou de nervosité de la part des premiers rangs de manifestants, peu nombreux, à l’égard des policiers.
Entendons-nous, il ne s’agit pas de remettre en cause la légalité de l’emploi de la force, qui a été faite réglementairement après sommations, mais de la légitimité et de la proportionnalité de la force employée.
Le chef qui en a donné l’ordre en porte la responsabilité ainsi que le préfet, si celui-ci lui a donné l’ordre de le faire.
Un des grands principes de notre doctrine du maintien de l’ordre est la proportionnalité de l’emploi de la force légitime.
Celle-ci ne s’imposait pas, samedi dernier, à Nice, aux abords de la place Garibaldi.
La situation calme nécessitait d’effectuer ce que l’on appelle une « vague de refoulement », c’est-à-dire que le rang de boucliers avance lentement, en ligne, en ordre et en refoulant « en douceur » les manifestants, mais certainement pas une charge.
Le calme des troupes et du chef est nécessaire dans une telle situation, et non l’excitation.
Or, le chef a manifestement manqué de discernement et de calme, sans doute par manque de formation et de compétence, ce qui a entraîné cette erreur de jugement.
En effet, l’unité employée, une compagnie d’intervention de la police nationale dont la mission première et unique n’est pas le maintien de l’ordre, n’était pas constituée de professionnels du maintien de l’ordre.
Les sommations du commissaire de police, précédant la charge, étaient irresponsables devant une foule calme.
Voilà ce qui arrive quand on emploie des unités non professionnelles du maintien de l’ordre.
Seuls les escadrons de gendarmerie mobile (EGM) et les compagnies républicaines de sécurité (CRS) sont des professionnels du maintien de l’ordre.
Cet « accident » de maintien de l’ordre est aussi la conséquence de l’ordre ministériel de Christophe Castaner de ne pas hésiter à employer la force, sous-entendu : vous pouvez y aller, vous serez soutenus.
On le sait, à ses yeux, les gilets jaunes restants sont tous des factieux.
En ce sens, les propos du ministre de l’Intérieur sont aussi irresponsables car n’ayant pas différencié le traitement à infliger aux manifestants par rapport à celui des casseurs.
Devant la généralisation du mouvement des gilets jaunes depuis dix-neuf semaines sur l’ensemble du territoire, on comprend bien qu’il faille faire appel à des unités de ce type, mais le mouvement devant s’inscrire dans la durée tant que des décisions politiques ne seront pas prises, il est urgent d’améliorer le niveau de formation au maintien de l’ordre de ces compagnies d’intervention.
Il en va de même pour les ordres donnés aux nouvelles unités anti-casseurs baptisées BRAV (brigades de répression de l’action violente) afin qu’elles s’imbriquent harmonieusement avec l’action des EGM et des CRS.
Sinon, il faut s’attendre à d’autres débordements de ce type, les mêmes causes produisant les même effets.
Philippe Franceschi
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