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jeudi 12 octobre 2023

Conflit israélo-palestinien : « La population libanaise a de quoi s’inquiéter »


 Sabine de Villeroché 11 octobre 2023

 

Après les exactions du Hamas sur le territoire israélien et la promesse d'une riposte massive, la population libanaise redoute une escalade des violences. 

Richard Haddad est historien, politologue, spécialiste du Moyen-Orient, et dirige les Éditions Godefroy de Bouillon. Pour les lecteurs de BV, il donne son éclairage sur la situation vue du côté du Liban.

Sabine de Villeroché. En quoi le conflit entre le Hamas et Israël peut-il avoir des répercussions sur le Liban ?

Richard Haddad. Le Liban est connu pour être un pays multiconfessionnel, mais il est aussi un pays multinational ou multi-identitaire, ce que beaucoup refusent d’admettre, préférant vivre dans le déni. Il faut se rappeler que depuis 1943 (date de l’indépendance du Liban), la Constitution libanaise est fondée sur un pacte national entre chrétiens et musulmans intitulé « Ni Orient ni Occident », d’où la fameuse formule de l’écrivain Georges Naccache : « Deux négations ne font pas une nation. » Inutile de préciser que ce pacte n’a jamais été respecté par la partie musulmane, qui ne manque pas une occasion pour basculer ce pays dans le monde arabo-musulman, que ce soit sur le plan politique, culturel ou religieux. En résumé, la population musulmane parle du « Liban arabe » et la chrétienne du « Liban ». La première est solidaire des autres peuples arabes, de leurs causes, en particulier la cause palestinienne. La deuxième est plutôt proche de l’Occident et se sent menacée de disparition par ces mêmes peuples arabes.

Par ailleurs, le Liban héberge plus de 500.000 Palestiniens avec leurs groupes armés (Fatah, FPLP, Hamas, Jihad islamique…) sur son sol.

Et ces derniers ne manquent pas une occasion pour lancer des attaques contre Israël, mettant ainsi le Liban en danger d’une réplique de l’Etat hébreu sur son territoire.

Enfin, depuis les années 80, un puissant mouvement chiite téléguidé par les mollah iraniens a pris de l’ampleur dans le pays jusqu’à devenir un État dans l’État, avec sa puissante milice mieux équipée que l’armée libanaise et dotée de missiles de longue portée. Le Hezbollah obéit à un agenda iranien et a déjà déclenché des guerres contre Israël, se moquant royalement de ce qu’en pense l’État libanais, les populations chrétiennes ou musulmanes, et encore moins des conséquences de ses actes sur le pays.

Le Liban est donc concerné par ce conflit parce que plusieurs de ses acteurs directs ou indirects se trouvent sur son sol et risquent de l’y entraîner, quitte à le mener vers le chaos.

S. d. V. Quelle est, aujourd’hui, la situation sur le territoire libanais ? Quelles sont les forces en présence ?

R. H. Le Liban est aujourd’hui sans président de la République, le Hezbollah bloque cette élection faute de pouvoir imposer son candidat, chrétien corrompu et à sa solde. Le gouvernement démissionnaire gère les affaires courantes. Dans les faits, il ne gère rien du tout, le pays est en faillite…

Le Hezbollah est très affaibli politiquement et militairement depuis sa participation à la guerre en Syrie, même si sa capacité de nuisance demeure importante. Il est très contesté, sa coalition avec le parti du général Aoun (chrétien) a perdu les dernières élections législatives, ses alliés chrétiens sont complètement discrédités. Les accrochages armés entre les membres de sa milice et des militants des partis chrétiens se multiplient, le pays est au bord de la guerre civile. Quant à l’armée libanaise, multiconfessionnelle mais commandée obligatoirement par un chrétien, elle n’a jamais servi à défendre le Liban et les Libanais. Dans le meilleur des cas, elle ne se mêle pas des conflits ; au pire, elle devient la police politique du régime en place lorsqu’il est à la botte de la dictature syrienne ou du Hezbollah. Totalement noyautée par ce dernier depuis les année 90, elle lui sert discrètement de supplétif !

Enfin, tous les groupes palestiniens armés sont représentés au Liban mais ne peuvent agir sans l’aval du Hezbollah, donc de l’Iran.

S. d. V. La population libanaise a-t-elle raison de redouter « une escalade » ?

R. H. Oui, elle a de quoi s’inquiéter. Le Hezbollah qui serait l’auteur de cette escalade ne se soucie guère de ses conséquences sur le pays. Son agenda est iranien et la situation de la population libanaise ne le concerne pas. Par ailleurs, les mollahs et leurs partisans, qui représentent un tiers du pays, n’ont pas les mêmes valeurs que nous concernant la vie humaine. La guerre, la mort, les destructions renforcent leur pouvoir, la survie de leur idéologie est plus importante que celle de leurs populations.

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