Au sujet des émeutes qui ont permis au monde entier de se faire une idée exacte de la douceur de vivre en banlieue, les versions se multiplient.
Il en a déjà été question dans les colonnes de Boulevard Voltaire, puisque le club de Liverpool a mal pris de se voir accuser, par Gérald Darmanin, d'être à l'origine des « troubles ». Ces dernières heures, un champion de MMA britannique, que l'on imagine moins sujet que d'autres à un « sentiment d'insécurité » pour sa personne, a raconté un autre morceau du dessous des cartes : billets prétendus faux, extorqués par les stadiers, puis revendus à leurs amis, agressions gratuites et sauvages jusque dans les rames de métro...
Décidément, la version officielle du ministère de l'Intérieur a du plomb dans l'aile. Gérald Darmanin s'en tient aux éléments de langage officiels, mais cela semble ne plus suffire. Un sondage Odoxa pour Le Figaro (2/6/2022) révèle que 76 % des sondés ne croient pas au narratif gouvernemental. Vous me direz que, comme d'habitude, les Français se montrent très réservés face au pouvoir macronien, plutôt à droite selon les critères médiatiques... mais votent comme un seul homme contre la bête immonde, les bruits de botte et le retour des heures sombres. Deux pas en avant, deux pas de côté, un pas en arrière : les Gaulois vont à l'abattoir en dansant le tango. On peut toujours croire qu'un jour, les gens se réveilleront, jetteront leur télé par la fenêtre et ouvriront les yeux. On peut...
Toutefois, l'élément le plus intéressant est, par déduction, le pourcentage de Français qui croient à la version du ministère : 24 %, donc. Un quart, ou presque. Pour ceux-là, ce sont bien des supporters britanniques, ivres de haine aveugle et de Guinness tiède, qui ont détroussé les honnêtes gens.
Ce sont bien 40.000 faux billets, soit la moitié des places du Stade de France, qui ont été présentés à des stadiers honnêtes par des Anglais vindicatifs. Ce sont bien eux qui, dans une Seine-Saint-Denis californienne (comme chacun sait), ont créé l'insécurité, tandis que la jeunesse multiculturelle et festive ne demandait qu'à profiter de cette belle rencontre. Par charité, on ne s'étendra pas sur la version de Brice Couturier, spécialiste en détox médiatique, qui envisage sérieusement une piste russe dans l'organisation de cette soirée de chaos. Passer du gauchisme culturel post-soviétique au complotisme antirusse premier degré, le tout sans se rompre les ligaments : bornons-nous à saluer la performance.Chose curieuse, parmi les 24 % de benêts qui ont cru les sornettes de Darmanin, on trouve des gens assez au fait de la marche habituelle du monde, y compris un haut représentant de l'État, le plus haut, même : Emmanuel Macron. Notre Président, qui ne commente pas l'actualité puisqu'il est jupitérien, est présentement en train de serrer des mains aux urgences dans les villes de province. Là aussi, belle souplesse des adducteurs. Il a cependant tenu à réaffirmer sa confiance à Gérald Darmanin. Le message est clair : c'est bien la version officielle qui doit être crue. La place Beauvau est bien gardée et ses éléments de langage sont dignes de confiance.
La finale devait avoir lieu à Saint-Pétersbourg. L'UEFA a-t-elle gagné au change ? Quelle différence y a-t-il, désormais, dans le storytelling absurde, entre la France de Macron et la Russie de Poutine, à part la météo ? On cherche. Entre la Russie et la France, il y a, en revanche, une différence de sécurité, peut-être : les jeunes femmes seules peuvent rentrer tard chez elles dans les rues de l'ex-URSS. Les familles ne sont pas rouées de coups par quarante sauvages pour un portable.
La France a accueilli le tiers-monde, elle devient le tiers-monde. Aussi cette solidarité gouvernementale lunaire ne rappelle-t-elle pas tant Moscou que Kigali ou Port-au-Prince : une foule barbare hors de contrôle, un pouvoir dépassé qui espère masquer sa nullité par la pédanterie et le copinage... et un peuple maintenu dans la révolte impuissante et l'abrutissement, jusqu'au jour où, peut-être...
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