Publié le | Le Point.fr
Le journaliste Yvan Stefanovitch publie une violente charge contre la Haute Assemblée. Gérard Larcher annonce qu'il le poursuit en diffamation. Interview.
En publiant Le Sénat. Un paradis fiscal pour des parlementaires fantômes, paru le 2 juin aux éditions du Rocher, Yvan Stefanovitch est devenu l'ennemi public numéro 1 des sénateurs.
Dans son ouvrage, le journaliste décrypte leurs privilèges, légaux, mais « scandaleux » selon lui.
Et explique pourquoi le système de sanction mis en place par le président de l'institution Gérard Larcher est opaque, inefficace, et surtout contre-productif en ce qu'il détériore encore plus l'image du sénat.
Ce dernier a d'ailleurs prévenu les sénateurs dans une lettre que nous publions au bas de cet article qu'il prévoit d'attaquer le journaliste en justice pour ses écrits.
Le Point.fr a contacté Yvan Stefanovitch.
Le Point.fr : Pourquoi vous intéresser au Sénat et aux privilèges des sénateurs ?
Yvan Stefanovitch : Ce n'est pas par intérêt pour le Sénat et ses privilèges, mais pour la recherche de la transparence en politique.
Ceux qui prétendent que je suis un farouche opposant de la Haute Chambre feraient mieux de lire mon livre, où j'y aborde les nombreux points positifs de cette institution indispensable sur l'échiquier politique français où il représente une force tranquille d'analyse et de propositions.
J'avais déjà publié en 2008, avec Robert Colonna d'Istria, Le Sénat : enquête sur les super-privilégiés de la République.
Huit ans plus tard, malgré les efforts méritoires de son président Gérard Larcher, le Sénat reste toujours la plus fabuleuse usine à vraie-fausse transparence au sein de nos institutions politiques. Certes l'Assemblée nationale bénéficie des mêmes privilèges légaux, mais le Sénat, lui, se glorifie aujourd'hui d'être plus transparent.
Quels sont ces privilèges ?
Chacun des 348 sénateurs est rémunéré 11 350 euros net par mois, mais ne paie l'impôt sur le revenu que sur 4 140 euros et empoche ainsi plus de 7 000 euros net au black !
De plus, 45 sénateurs dignitaires touchent, en outre, une prime de fonction allant de 700 à 7 000 euros mensuels net qui échappe également à l'impôt sur le revenu.
C'est complètement scandaleux, mais tout à fait légal répliquent discrètement les sénateurs interrogés, puisque voté par leurs prédécesseurs et maintenu en vigueur par les principaux intéressés.
La même vraie fausse transparence se cache derrière le système de retenues financières mis en place le 1er octobre 2015, appliqué uniquement à hauteur de 710 euros par mois et par parlementaire, pour sanctionner l'absentéisme endémique des sénateurs.
C'est un incontestable progrès sur le papier, insuffisant en pratique lorsqu'on examine le système de plus près.
Pourquoi ?
Comme le disait le président Gérard Larcher, en juin 2011, dans une interview qu'il m'avait accordée dans France-Soir : « Il faut plus de transparence et de justificatifs pour que les Français respectent leurs sénateurs. »
Question d'exemplarité oblige, plutôt que d'envisager de déposer une plainte en diffamation contre moi, le patron du Sénat devrait rédiger un projet de loi pour abroger les privilèges fiscaux extravagants dont profitent les parlementaires.
Ce serait une mesure très simple – parfaitement juste et équitable – pour que les Français retrouvent le chemin des urnes et faire reculer le populisme.
Il ne s'agit pas de du tout de renverser la table, de crier haut et fort qu' « ils » sont « tous pourris », mais de réfléchir aux moyens de rendre confiance en nos institutions.
Obliger ces parlementaires, sous la menace de sanctions financières, à venir à contrecœur au Sénat n'a qu'une utilité médiatique.
La responsabilité de cette situation incombe aux grands électeurs qui sont en quasi-totalité des conseillers municipaux.
L'investiture des candidats sénateurs par les grands partis et la cuisine politique qui s'ensuit reste la clé du problème.
Le sénateur doit être dévoué au bien public, donc présent, technicien, voire polyvalent et expérimenté.
Mais, pour la première fois dans l'histoire du Sénat depuis plus d'un siècle, 14 sénateurs ont été sanctionnés financièrement pour absentéisme excessif. Cela n'a-t-il servi à rien ?
Face à un système protégé par un quasi secret défense, j'ai pu établir l'identité des sénateurs sanctionnés au dernier trimestre 2015.
Ces derniers se répartissent en deux catégories.
Pour la première, qui comprend une très forte proportion des 19 sénateurs d'outre-mer, l'absentéisme s'explique par l'éloignement qui se traduit par plus de 20 heures d'avion à l'aller ou au retour pour certains !
Or, demander à ces derniers d'être présents au moins à 1/3 des réunions ou séances obligatoires n'est pas raisonnable, il faut diminuer ce seuil.
Il ne s'élève qu'à 50 % pour leurs collègues métropolitains : un vrai non-sens !
Jean-Pierre Masseret (PS-Moselle), Gérard Collomb (sénateur-maire PS de Lyon) et Serge Dassault (sénateur LR de l'Essonne qui ignorait qu'il devait assister aux questions orales d'actualité au gouvernement !) ont ainsi été sanctionnés à hauteur de 710 euros par mois le dernier trimestre 2015. Être ainsi privé d'un peu plus de 6 % de son revenu mensuel pour ne pas avoir été présent à la moitié de son temps de travail obligatoire : quel salarié, ou patron, peut envisager les choses de cette façon ?
En fait, ce système de sanction n'est qu'un leurre.
La nouvelle réglementation sur l'absentéisme au Sénat (l'article 23 bis) n'a fait qu'introduire une sorte de présence minimale, sorte de certificat de bonne conduite.
Pendant chaque trimestre, sur un total de 33 journées en moyenne de travail en hémicycle et commission, un sénateur peut réglementairement échapper à toute sanction s'il se montre présent à une douzaine d'entre elles.
Soit une moyenne harassante de quatre ou cinq jours de travail par mois au Sénat pour... 11 350 euros net mensuels !
Quelles sont vos sources ?
Nous avons mis au jour ce chiffre étonnant à partir des « tableaux d'activités » de chaque sénateur publiés sur le site du Sénat (rien de tel à l'Assemblée nationale) et des relevés de ces mêmes présences publiés au Journal officiel.
Pour ne pas être sanctionné sur un trimestre, un sénateur doit être présent à 6 des 11 séances de questions d'actualité au gouvernement, donc il peut en sécher 5 !
Il doit également assister à 2 ou 3 des 3 ou 4 votes solennels, et à 4 ou 5 séances de sa commission permanente, dont il peut manquer le tiers ou le quart des réunions sans encourir la moindre sanction. Petit cadeau supplémentaire : 1 ou 2 des votes solennels se déroulent le même après-midi qu'une séance de questions orales d'actualité au gouvernement.
Un vrai système passoire…
Mais des sénateurs peuvent être compétents et peu présents ?
Irréaliste.
Les 100 sénateurs sur 348 au total qui font tourner la boutique Sénat sont sans exception présents, en commission ou dans l'hémicycle, tous les mardis, mercredis et jeudis, comme il se doit pour faire la loi.
C'est une question d'éthique personnelle pour ces bourreaux de travail.
Ces gens de qualité ne demandent jamais à être excusés, c'est-à-dire à être considérés comme présent grâce un certificat médical impossible à contredire ou un cas de force majeur invérifiable.
Ce système légal des excuses permet aux 45 dignitaires du Sénat et à certains autres sénateurs d'échapper à toute sanction s'ils sont présents moins de 4 jours par mois.
Que préconisez-vous ?
Comme aux États-Unis, un Sénat puissant et efficace ne doit pas compter plus d'une centaine de sénateurs, un par département. Ne bénéficiant plus de privilège fiscal, ces sénateurs seront aidés d'une cinquantaine de collaborateurs. Ces changements seraient un signal fort, dont les Français ont besoin pour retrouver leurs repères et une certaine foi en la politique. Il en va de la pérennité du Sénat…
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