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lundi 20 juin 2016

Anatole France : « Qui c’est celui-là ? » se sont demandé des candidats au bac


         

Le 20/06/2016


Les programmes sont ainsi faits que leur culture se limite au mieux à deux ou trois œuvres…

Vous vous souvenez peut-être de la chanson de Pierre Vassiliu, en 1974, « Qui c’est celui-là ? ».
 La presse rapporte que certains élèves de S et ES, découvrant dans le corpus de l’épreuve de français au baccalauréat un texte d’Anatole France, se seraient demandé : « Qu’est-ce qu’il fait, qu’est-ce qu’il a, qui c’est celui-là ? Complètement toqué, ce mec-là, complètement gaga… »
Ils n’en avaient guère entendu parler : il est vrai qu’un prix Nobel de littérature en 1921, c’est de la préhistoire !
Les commentaires sur Twitter sont édifiants.
Certains ont supposé que c’était une « meuf » : il fallait bien une femme, à côté de Victor Hugo, Émile Zola et Paul Éluard, pour respecter la parité !
D’autres ont cru reconnaître une station de métro ou un arrêt de bus.
Un autre s’indigne : « Mais tu es qui, toi, Anatole France, pour venir t’incruster au bac ? »
 Quoi qu’on pense de l’attrait de cet écrivain pour la génération contemporaine, on ne peut que regretter que son nom même soit tombé dans l’oubli.
À défaut d’avoir lu Crainquebille, L’Île des pingouins ou Les Dieux ont soif, les élèves auraient pu en retenir quelque citation aux résonances actuelles, comme : « C’est la certitude qu’ils tiennent la vérité qui rend les hommes cruels. »
Mais sont-ils responsables de ces lacunes ?
Les programmes sont ainsi faits que leur culture se limite au mieux à deux ou trois œuvres, quand ils les ont lues intégralement, et quelques groupements de textes.

Certes, ils sont censés situer les textes dans le temps, mais n’ont aucune vue d’ensemble de la littérature française : l’histoire littéraire n’est pas à l’honneur, ni le pauvre Anatole France…
Ce sujet de français est également éclairant sur le lexique prêté à la majorité des élèves.
 Ses concepteurs ont jugé devoir mettre une note pour expliquer le sens des mots « véhémence », « invectives » et « apologie ».
Passe encore pour « apologie » : tous les élèves ne connaissent pas l’Apologie de Socrate ou l’Apologie de Raimond Sebond.
Encore qu’ils eussent pu entendre parler des délits d’apologie de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de terrorisme.
 Estimer que les termes de « véhémence » et « invectives » sont probablement méconnus des élèves, c’est peut-être les considérer pour plus ignorants qu’ils ne sont.
D’autant que le sens de ces mots se devinait aisément dans le contexte.
Ces remarques sur le sujet de français en séries S et ES resteraient tristement anecdotiques si elles ne révélaient pas un mal profond dont souffre l’enseignement du français : un éparpillement historique aux dépens des grands courants littéraires et de la chronologie, une technicité jargonnante aux dépens de la sensibilité, une ambition démesurée aux dépens des acquisitions réelles.

Cette recommandation du ministère aux professeurs, à propos de l’objet d’étude concerné (« La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVIe siècle à nos jours »), en dit long : « La littérature sera envisagée ici comme l’indice, le lieu et le moyen convergeant (à l’intersection de la philosophie, de l’histoire, de l’histoire des arts et bien sûr de la poétique) d’une réflexion problématisée et historicisée sur la situation de l’homme à travers les siècles. »

Anatole France pensait que « le style simple est semblable à la clarté blanche. Il est complexe, mais il n’y paraît pas ».

Il doit se retourner dans sa tombe : oubliée, sa célébrité, oubliés, ses conseils de rationalité et de clarté !

 Ce sujet de français a eu le mérite de faire un peu parler de lui.

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