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mercredi 29 juin 2016

Rescapée de Daech, elle raconte l'horreur

Le 29/06/2016
Par nos envoyés spéciaux en Irak. Texte: Cléa Favre. Photos: Yvain Genevay.. Mis à jour à 14h31


 
 
Image: Yvain Genevay
 
L’Etat islamique a anéanti toutes les raisons de vivre d’Adar, une yézidie qui lui a servi d’esclave sexuelle. Témoignage.

Alors que, le 16 juin dernier, la commission d’enquête de l’ONU accusait l’Etat islamique de génocide à l’encontre des yézidis, cette minorité religieuse monothéiste, issue d’anciennes croyances kurdes, paraît profondément fragilisée.
Adar*, 43 ans, en est l’illustration.
 On devine à peine son corps maigre dans sa robe marron.
Elle donne l’impression de risquer de se briser à tout moment.
Mais la voix qui sort de cette femme – assurée et forte – contredit le pronostic.
Assise bien droite, elle raconte le cauchemar amorcé en août 2014, au moment où l’Etat islamique s’est emparé de son village, Khocho, près de Sinjar, au nord de la Syrie.
«Les dix premiers jours se sont bien passés. Daech se mélangeait à nous, discutait, buvait le thé, se souvient-elle. Mais le village voisin a pris peur. Les habitants se sont enfuis. L’Etat islamique a encerclé Khocho pour nous empêcher de faire la même chose. J’ai dit à mes frères de tenter de partir, mais ils ont voulu suivre les ordres du chef du village et rester. Daech a aligné au sol tous les hommes qui se trouvaient là, et les a tués. Il a capturé les femmes.»
Violée puis vendue.

Adar est emmenée à Tall Afar, vers l’est.
Elle y reste pendant un mois.
«Il n’y avait pas assez de nourriture. On nous insultait en permanence.»
 Ensuite, elle est déplacée à Mossoul, encore plus à l’est.
 Là, elle a été violée à trois reprises.
 «A chaque fois, par quatre hommes.»
 Adar, comme bien d’autres femmes yézidies, a fini par être vendue sur un marché.
C’est un combattant de Daech qui remporte les enchères et qui l’emporte en Syrie.
Cette fois, direction Raqqa, la capitale de l’Etat islamique.
Elle habite alors avec plusieurs femmes.
 Elle ne se rappelle plus combien.
Parfois, tout se brouille.
Elle réalise qu’elle est désormais la propriété de différents hommes qui achètent en commun des yézidies.
 Elle n’entre pas dans les détails de ce mois passé là-bas.
Si ce n’est que, refusant de se convertir à l’islam, elle a été frappée sauvagement.
Notamment à la tête avec la crosse d’une arme.
Elle était dans un sale état.
Ne pouvait plus bouger son bras droit.
Elle ne supportait pas ce qu’on lui faisait, s’arrachait les cheveux par poignées.
«A Raqqa, je n’avais pas le droit de sortir de la maison. Nous étions peu nourries, on nous injuriait et on nous menaçait de tel ou tel châtiment si on ne se convertissait pas. Ils nous traitaient comme des animaux. C’était des monstres.»

Elle réussit à s’échapper.
 De nuit. A l’initiative de la femme la plus âgée.
Elles se mettent toutes d’accord et s’enfuient à pied.
Adar ne se souvient de rien d’autre.
 Elle s’est réveillée à l’Hôpital de Khanke, ville du Kurdistan irakien où elle vit aujourd’hui dans un camp.
«Je n’ai pas reconnu mon mari et mes enfants. Et j’ai vu tellement de spécialistes: un neurologue à cause des coups à la tête, des médecins pour mes multiples fractures, un gynécologue, un psychiatre…» se remémore-t-elle, très lasse.

Trois mille deux cents femmes et enfants sont aujourd’hui toujours détenus par Daech.
Libre, Adar a, elle, fait plusieurs tentatives de suicide.
Autrefois infirmière, elle ne peut plus lire ni écrire.
Rien ne s’imprime plus dans son cerveau.
Elle est suivie par une psychologue et est sous médication.
 Comment voit-elle son avenir?
Personne sous son toit n’a réussi à trouver du travail.
Les conditions de vie sont rudes.
L’un de ses fils est devenu peshmerga et elle a le sentiment de l’avoir déjà perdu.
 «Je suis la seule en vie de ma famille. Ma mère, mon père et tous mes frères et sœurs ont été tués.»

Elle tend son portable et montre la photo d’un garçon dans une voiture, une arme bien trop grande sur les genoux: «C’est le seul qui me reste, mon neveu.»
 L’enfant, 10 ans, a été enrôlé de force par Daech.
A l’heure actuelle, il est en Syrie et est devenu un convaincu de la «cause»: «Il s’est converti et veut tous nous convertir. Il dit que l’islam est la seule religion.»

Alors elle dit que, non, elle n’a pas peur de Daech.
«Ils ne peuvent rien nous faire de plus.»

D’ailleurs, elle a tout oublié de cette vie, même avoir peur de l’Etat islamique, ajoute-t-elle, avec le regard de quelqu’un qui n’attend plus rien.

* Prénom d’emprunt (Le Matin)
Créé: 29.06.2016, 14h31

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