L’été dernier, Giorgia Meloni avait servi de matière à tous les télégraphistes de la caste ne reculant jamais devant une occasion de s’adonner à leur genre préféré : l’antifascisme d’opérette.
« Néo-fasciste », « post-fasciste », « droite radicale », « extrême droite », etc. Les habituels noms d’oiseaux dont la presse subventionnée aime tant se gargariser fusaient de toute part.
Mais, à peine en poste, le 3 novembre 2022, celle qui était encore soupçonnée quelques semaines plus tôt d’être à la tête d’une Seconde Marche sur Rome fait son entrée à Bruxelles dans un climat consensuel et affiche une certaine complicité avec Ursula von der Leyen. Les plus intransigeants y avaient alors vu une preuve de la validité de leur pressentiment selon lequel le projet Meloni est depuis le début sous contrôle, la nouvelle cheffe du gouvernement italien n’ayant pas tardé à faire ouvertement allégeance à la Commission européenne. Qu’en est-il vraiment ?
Meloni, soutien indéfectible de Kiev
Le traitement médiatique français de la campagne électorale italienne était si biaisé que l’on se serait presque surpris à oublier un point clé du personnage Meloni : son atlantisme carabiné et son parti pris pour Kiev, qui ne datent pas de son arrivée à la présidence de Conseil italien. La prétendue nouvelle bête noire du jeu européen a donc ceci de particulier qu’elle ne rechigne pas un seul instant à chanter les louanges de saint Zelensky, se retrouvant ainsi au beau milieu d’un ramassis de suppôts de l’axe otano-bruxellois, dont une bonne partie est d’extraction socialo-wokiste.
À la manière des conservateurs au pouvoir en Pologne — pays de longue tradition anti-russe —, Meloni patauge donc en plein marécage euro-ukrainien et doit bien sentir que ce dernier ne présage rien de bon pour les « valeurs conservatrices » qu’elle entend défendre. Car il faut bien reconnaître à Meloni, qui en 2019 rappelait de manière énergique qu’elle était une femme, une mère, une Italienne et une chrétienne, une bonne dose de sincérité lorsqu’elle part en croisade contre l’avortement à tout-va et l’agenda LGBT. Elle ne peut en revanche ignorer que cette croisade sera de courte durée si elle accepte les règles en cours au sein du cloaque bruxellois.
Il est vrai qu’adopter une ligne sceptique sur l’Ukraine n’aurait pas nécessairement été une garantie pour mener cette croisade à bien. Aucun élément sérieux n’est en mesure de corroborer la thèse selon laquelle rester ouvert à la Russie permettrait de mieux lutter en faveur de la famille traditionnelle. Bien qu’ayant des apparences plus traditionnelles, la Russie n’est en effet pas véritablement un modèle en termes de défense de ces « valeurs conservatrices », et affiche des statistiques démographiques et un nombre d’avortements plus inquiétants que ceux d’une série d’États membres de l’UE, alors que Moscou et Saint-Pétersbourg sont dans leur genre des hauts lieux du cosmopolitisme occidental. Quoi qu’il en soit, il est certain que s’arrimer fortement à l’axe Bruxelles-Kiev équivaut inévitablement à s’exposer à de cuisants échecs si l’on entend sérieusement cogner contre le wokisme et mettre en place des politiques natalistes sans faire l’objet de tous les jurons — alors même qu’il n’est d’ailleurs pas sûr que ce genre de politique soit efficace pour pallier au déclin démographique.
C’est pourtant le choix que Meloni a fait. Il n’est d’ailleurs pas absurde de se demander si ce choix était délibéré. On se souvient qu’en 2018, Meloni avait provoqué un tollé en déclarant que grâce à Bachar el-Assad, à la Russie, à l’Iran et au Hezbollah les chrétiens de Syrie allaient pouvoir célébrer Noël. Soutenir que le Hezbollah fait du bon boulot est à l’évidence tout sauf une bonne idée quand on a pour projet de faire carrière sur la scène européenne. Meloni l’a bien sûr parfaitement compris, sa ligne pro-Kiev a payé sur le plan électoral, et à Bruxelles on ne voit plus en elle le diable mais une partenaire sérieuse.
Meloni, cheffe de file d’une coalition baroque
Faut-il pour autant accorder une importance primordiale à ces questions d’affiliations internationales pour comprendre le phénomène Meloni ? Se pencher sur la politique d’un pays étranger par le prisme des questions internationales conduit quasi-systématiquement à une impasse. Oui, Meloni aurait sans doute eu bien plus de mal à prendre le pouvoir si elle avait tenu des propos vus comme étant pro-russes. Mais du point de vue des électeurs italiens, ce raisonnement paraît assez secondaire. Le succès de Meloni tient avant tout à des raisons internes, et il ne faut d’ailleurs pas exclure qu’une part de son électorat sait pertinemment que lutter dans les limites du paradigme progressistes/conservateurs ne débouchera que sur des succès relatifs.
Si Meloni a pu prendre les reines de l’Italie, c’est avant tout en raison de dynamiques propres à la politique italienne. Comparée à ses deux partenaires de coalition, la Lega de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi, elle dégage une aura respirant la quasi-virginité politique. Le premier peine à se défaire de son image de traître ayant lâchement courbé l’échine devant Mario Draghi, alors que le second est un dinosaure en fin de course roi de la combine et des compromissions. Plus rien de conséquent ne peut sortir de ces deux personnages, d’où le boulevard qui s’est ouvert à Meloni.
A priori, la présence de ces deux énergumènes au sein de la coalition menée par Meloni pourrait présenter des inconvénients et aboutir à des conflits. Certes, mais une autre approche pourrait tout aussi consister à y voir un gage de stabilité, ces deux partenaires ne pouvant raisonnablement avoir d’autre ambition que celle se résumant à vouloir mettre le grappin sur quelques vulgaires strapontins. Par ailleurs, ce verrouillage interne de la coalition se double d’un verrouillage externe. Salvini et Berlusconi sont passablement grillés sur la question russe.
L’un s’exhibait en 2014 sur la place Rouge arborant un t-shirt à la gloire du président russe, alors que la Lega signait en 2017 un accord de coopération avec Russie unie, le parti de Vladimir Poutine. L’autre n’est quant à lui pas peu fier d’expliquer qu’il reçoit encore des caisses de vodka de son ami du Kremlin. Le 23 novembre 2022, les députés de la Lega et de Forza Italia votaient sans vergogne la résolution du Parlement européen qualifiant la Russie d’État soutenant le terrorisme.
C’est là qu’on comprend que le boulevard laissé Meloni est sécurisé par Bruxelles. L’affaire conclue arrange en réalité toutes les parties. Il est possible de faire chanter Meloni en s’appuyant sur ces deux partenaires de coalition. Meloni peut faire chanter ses partenaires, qui ont encore la possibilité de gérer des petites boutiques politiques, ce qui au vu de leur lourd passif relève de l’exploit. Et, enfin, la situation semble être stabilisée jusqu’au cœur même du gouvernement italien avec la présence d’Antonio Tajani aux Affaires européennes, européiste pur sucre et ancien président du Parlement européen. Là nous ne sommes plus dans le baroque, mais carrément dans le rococo !
Meloni, élue sur les ruines laissées par la gauche et Draghi
La victoire écrasante de Meloni ressemble sous bien des aspects à celle de Viktor Orbán en 2010. Elle est le résultat d’une gauche en perdition qui butant sur le mur de la réalité laisse la place à un technocrate tentant de vendre le concept d’un gouvernement dirigé par un « expert ». En Hongrie, en 2009, ce rôle avait été joué par le banquier d’affaires Gordon Bajnai, venu remplacer le socialiste Ferenc Gyurcsány avec le résultat qu’on connaît : un raz-de-marée de la coalition dirigée par Orbán.
En Italie, c’est Mario Draghi qui s’est collé à la tâche. En février 2021, lorsque ce dernier est propulsé à la tête du Conseil des ministres, il est de bon ton de le surnommer « Super Mario », l’homme dépassant les clivages, un professeur d’économie diplômé du MIT, un banquier de chez Goldman Sachs, l’ancien directeur de la Banque centrale européenne, bref, du sérieux. Super Mario avait bien été capable, selon les niaiseries colportées par la presse subventionnée, de sauver l’euro (donc allons-y franchement, l’Europe toute entière !), sauver l’Italie était donc parfaitement dans ses cordes.
La suite est connue, Super Mario n’a rien sauvé du tout et a préféré quitter le navire avant que la situation ne se mette à dégénérer. Il faut dire à sa décharge que la technique de l’expert qui ne fait pas de politique avait déjà en partie été utilisée juste avant lui en la personne de Giuseppe Conte, cet avocat universitaire qu’on présentait lui aussi comme un sage ne se souciant pas de querelles politiciennes. Avec Draghi le bouchon de l’arnaque à l’expert a été poussé trop loin.
Mario Draghi n’est pas un expert comme les autres, c’est l’Italien disposant des plus solides réseaux internationaux et la courroie de transmission incontournable des politiques monétaires et économiques ayant fait de l’Italie un pays dont la dette le met dans une situation hautement vulnérable, dont l’industrie est en lambeaux et dont la voix est quasi-inexistante sur la scène internationale, alors que le poids de son économie souterraine est considérable. S’il fallait choisir un président à l’État profond italien, le nom de Draghi serait le premier sur la liste. Le fait qu’il ait dû sortir de l’ombre en 2021, chose dont il se serait bien passé, témoigne d’un niveau de détresse italienne maximale. L’intermède Draghi aura entrainé l’utilisation d’une carte longtemps qualifiée de risquée : Giorgia Meloni.
Il ne pouvait en être autrement. Le parti de Meloni, Frères d’Italie, est le seul à ne pas avoir apporté son soutien à la grande coalition de Draghi. Si la magie Draghi n’a pas opéré, c’est aussi parce que l’histoire s’est considérablement accélérée depuis mars 2020. Car Draghi n’est pas seulement un membre de premier plan de la caste euro-bruxelloise, il s’est aussi très vite révélé comme étant le plus appliqué des adeptes de la secte bio-sécuritaire. Rappelons-nous d’ailleurs que sur le continent européen, c’est en Italie, à Bergame, que le spectacle pandémique a débuté, à une époque où Draghi n’était pas encore sorti du bois, bien qu’il se fendait dès le 25 mars 2020, dans le Financial Times, d’une tribune appelant à la guerre contre le virus. Une fois installé à la présidence du Conseil italien, il fait tout pour mériter un nouveau surnom : Super Great Reset Mario.
Meloni, remède au Great Reset ?
Draghi, c’est l’homme du « Green pass » italien, de l’obligation vaccinale pour les plus de 50 ans, l’auteur d’un projet qualifié de « magnifique » selon le Conseil scientifique italien et un chaud partisan d’une ligne bio-sécuritaire consistant à « emmerder les non-vaccinés ».
Succéder à Draghi en n’ayant pas participé directement à la folie covidiste et en affirmant que cette voie n’est plus praticable, ce serait presque passer pour un héros libertarien ! De ce point de vue, l’arrivée de Meloni aux affaires peut être vue comme une bonne nouvelle et un bol d’air frais pour tous ceux voyant dans le poison covidiste le plus grand danger pesant sur nos économies, nos libertés et notre santé. Quelques jours après sa prise de fonction, le 31 octobre 2022, Meloni annonce la réintégration immédiate des médecins et infirmières, environ 4000 concernés, suspendus pour avoir refusé de se faire injecter le vaccin. C’est dans l’Italie de Draghi que cette mesure avait été prise pour la première fois en Europe, alors que l’ancien directeur de la BCE avait été pionnier en matière de passe sanitaire.
Il ne faut cependant pas s’y méprendre : si Meloni semble vouloir se démarquer clairement de la brutalité bio-sécuritaire de Draghi, elle se garde bien de toucher à la narration officielle. Elle a certes promis qu’elle n’imposerait pas de nouvelles « mesures sanitaires » qui pèseraient sur les Italiens, mais elle tient fondamentalement à rester dans un cadre politique lui assurant d’être fréquentable. D’ailleurs, ce désir de fréquentabilité lui a déjà joué des tours. Fin décembre, elle a insisté auprès de l’UE pour obliger les voyageurs en provenance de Chine à se faire tester. L’UE, manifestement trop occupée sur le théâtre ukrainien, a jugé cette demande injustifiée.
Il n’y a pas grand chose à attendre de Meloni en la matière. Si le cirque covidiste se mettait à reprendre, elle serait très probablement de la partie et certainement pas une amazone qui partirait en guerre contre le covidisme. Elle paraît propre sur elle car elle contraste avec Draghi, qui a fait de l’Italie un véritable laboratoire du Great Reset et à côté duquel même Emmanuel Macron pourrait passer pour un amateur. Draghi n’était pas une simple marionnette du Great Reset, il connaît ce projet dans ses moindres rouages, particulièrement son versant économique, monétaire et financier — un versant dont on peut même considérer qu’il en est un des concepteurs. Sur le papier, Meloni a néanmoins un programme économique qui dénote avec ce communisme 2.0 de facture Draghi. Deux mesures annoncées par Meloni sont à cet égard très intéressantes.
La première consiste à revenir sur les lois votées par les majorités précédentes en matière de paiement par carte bancaire. Meloni prend parti pour l’argent liquide et entend bien autoriser les commerçants à refuser les paiements par carte inférieurs à 60 euros et porter le plafond des achats en espèces de 2000 à 5000 euros. Finalement, l’idée de ne plus sanctionner les commerçants refusant d’accepter les paiements par carte a été abandonnée fin décembre, sous la pression de la Commission européenne. La deuxième concerne le revenu de citoyenneté d’un montant de 550 euros par foyer mis en place en 2019 par le Mouvement 5 étoiles (M5S). Meloni veut y mettre fin à partir du 1er janvier 2024, tout en durcissant ses conditions d’accès dès cette année.
Mesure phare du gouvernement Conte, un homme qui affirme que son cœur « penche à gauche », le revenu de citoyenneté a créé une clientèle électorale et assuré le maintien du M5S aux dernières élections. Le banquier de Goldman Sachs Draghi ne l’a pas supprimé, ce qui en dit long sur les implications réelles d’une politique prenant pathétiquement la défense des pauvres. L’assistanat et la distribution de revenus sans conditions sont en réalité la plus belle porte d’entrée au Great Reset. Couplés à une fin de l’argent liquide, ils deviennent un véritable bijou davosien. Meloni met donc ici deux coups de canif (dont le premier est en partie raté) dans le contrat Great Reset que Draghi and Co. voudraient imposer au peuple italien. Disons qu’après la traumatisante séquence Draghi, et s’appuyant sur le fait qu’elle observe les rites de la religion euro-ukrainienne avec beaucoup d’entrain, elle peut se le permettre. Mais le vrai projet de Meloni est-il vraiment de multiplier ces coups de canif ?
Meloni, un résultat inédit pour un projet politique des plus classiques
La politique italienne ne peut se comprendre sans l’opposition nord/sud. Meloni n’a évidemment pas réussi à effacer ce clivage géographique, mais ses résultats se caractérisent néanmoins par une homogénéité assez inédite. Dans le sud de l’Italie et en Sicile, le M5S maintient son implantation, alors que le parti de Meloni domine presque tout le reste du pays. Le Parti démocratique (PD) semble quant à lui en état de crise finale et n’a su réaliser de bons scores qu’autour de Bologne et de Florence et dans quelques grandes villes du nord.
Par rapport aux élections précédentes, la différence en termes de répartition géographique des résultats est on ne peut plus nette. En 2018, les résultats montraient un découpage territorial en trois zones : la Ligne du Nord au nord, la PD au centre et le M5S inondant tout le sud et grignotant le centre. En 2022, bien que le M5S soit toujours fort dans le Sud, pour les raisons évoquées précédemment, Meloni a fait exploser cette logique de morcellement, à la faveur, il est vrai, d’un taux de participation en chute de près de dix points par rapport à 2018 (63,91% contre 72,93% en 2018).
Le M5S n’ayant plus de moyens politiques pour entretenir sa clientèle électorale, il est probable qu’à défaut d’adhérer au projet anti-assistanat de Meloni et sans force politique alternative, les populations du sud rejoignent encore plus le rang des abstentionnistes. Meloni a donc devant elle un PD devenu presque exclusivement urbain et un M5S en disgrâce. Une nouvelle donne de potentielle consolidation électorale et territoriale, dont elle sait pertinemment que le maintien ne peut historiquement être assuré que par un seul projet politique, le seul étant majoritaire et permettant de tempérer les clivages régionaux dans l’Italie d’après 1945 : la Démocratie Chrétienne italienne.
C’est là que toutes les accusations de fascisme fondent comme neige au soleil. Certes ancienne membre du Mouvement social italien (MSI), fondé en grande partie par des fascistes, Meloni a incontestablement compris que cette ligne devait être abandonnée au profit d’un centre-droit (le nom de sa coalition) historiquement incarné par la Démocratie Chrétienne, ennemie jurée du MSI. Le quotidien centriste Corriere della Serra a d’ailleurs tenu à expliquer dès le 7 octobre 2022 que Meloni ne représentait pas de danger pour la démocratie italienne et qu’il fallait arrêter de fantasmer sur le retour des chemises noires.
Meloni, qui avait obtenu 4,3% des voix en 2018, a su prendre un nombre astronomique de voix à la Ligue, mais aussi au M5S et même au PD. Cette réussite est due au fait qu’elle a habilement placé la balle au centre-droit. S’écarter de cette ligne serait pour elle s’exposer à de sérieux périls. D’ailleurs, ses cent premiers jours montrent une attitude politique des plus classiques.
Les droitards et autres défenseurs naïfs d’une alliance des conservateurs anti-immigration ont hélas été mis devant leurs contradictions en ce début d’année. Les chiffres officiels publiés pour le mois de janvier sur les arrivées de clandestins par voie maritime sont catastrophiques pour celle qui avait fait du combat contre l’immigration illégale extra-européenne un de ses principaux thèmes de campagne. En janvier 2023, 4963 clandestins ont débarqué en Italie, et au 8 février les autorités italiennes ont confirmé que ce rythme d’entrée se poursuivait. Les données montrent une multiplication par un facteur de 4 par rapport à début 2021 et de 2 par rapport à 2022. Les pics d’arrivées ont traditionnellement lieu en été ; à l’année cela donne 105 129 en 2022 et 67 477 en 2021. Si l’année 2023 se poursuit sur la tendance actuelle, tous les records risquent d’être battus.
Sans verser dans le souverainisme compulsif, il faut bien admettre que ferrailler contre l’immigration en respectant les règles établies par la machine euro-bruxelloise revient sans exception à passer pour le plus parfait des cocus. Le centre-droit italien choisi par Meloni est certes une garantie de succès électoral, mais il est historiquement profondément europhile, atlantiste, complètement soumis à l’OTAN et a été un des principaux moteurs de la construction européenne. Ayant abandonné toute ambition souverainiste (et ne parlons même pas d’Italexit), Meloni ne peut se que transformer en un animal politicien classique, qui se définit avant tout par la pratique massive de la promesse non tenue. À l’occasion du sommet européen des 9 et 10 février, Meloni a haussé le ton sur l’immigration, pensant pouvoir réveiller ses partenaires pour les convaincre de défendre ensemble les frontières extérieures de l’UE. Avec quelques mois supplémentaires de recul, nous saurons de quel bois Meloni se chauffe, si elle communique ou si elle agit. Des indices font nettement pencher la balance dans le sens de la communication.
Et ces indices ne se limitent pas à la question migratoire. Sur le terrain du traitement d’une autre plaie italienne, celle des finances publiques, les soins prodigués par Meloni sont eux aussi discutables. La dette italienne est abyssale mais Meloni a été élue sur un programme économique de baisse de la pression fiscale sur les entreprises et les ménages. Là encore, pour « faire profil bas et préserver ses relations avec Bruxelles », Meloni a choisi de reculer sur de plusieurs points de son programme.
Les plus optimistes diront qu’elle temporise et tente de s’affirmer dans le paysage européen avant de passer aux choses sérieuses. Une analyse plus que bancale, la situation économique italienne ne pouvant sérieusement être réglée si les totems monétaires, énergétiques et économiques ne sont pas attaqués de plein fouet. Ce n’est assurément pas le projet de Meloni, qui en définitive risque de se solder par des mesurettes de soutien au paiement des factures énergétiques, des ristournes en tout genre, qui sont d’ailleurs simplement des extensions de celles mises en place par Draghi, par la révision des fonds du plan de relance européen en tenant compte de la hausse des prix des produits de base, mais certainement pas par une aventure sur le terrain d’un autre paradigme que celui défendu becs et ongles par Bruxelles. Cela veut-il nécessairement dire que Meloni sera une dirigeante tout aussi classique que ses prédécesseurs ?
Meloni, Italy is back ?
La présidente du Conseil italien ne sera probablement pas une force de résistance au status quo euro-bruxellois et au Great Reset davosien. En réalité, la première force de résistance au Great Reset en Italie réside dans l’inertie de l’économie souterraine et la longue tradition de réseaux mafieux. On voit en effet mal comment les adeptes de la secte davosienne pourraient efficacement mettre en œuvre leur projet de monnaie numérique et de contrôle social dans un pays gangréné par une économie parallèle fort d’un ancrage organique — une pieuvre qui est aussi très impliquée dans les architectures financières permettant la distribution des fonds européens à l’Italie (notamment ceux de la PAC), ce qui devrait pousser l’UE à se faire plus modeste en termes de « lutte contre la corruption », quand elle évoque la Hongrie par exemple. À défaut de pouvoir faire de la résistance pour mener une politique permettant à l’Italie de sortir de l’ornière économique, Meloni a une option dont elle a déjà commencé à dessiner les contours : le retour de l’Italie sur la scène européenne et internationale.
L’effacement de la France dans le jeu international est souvent évoqué. Dans le cas de nos voisins transalpins, c’est pire, il s’agit bien plus d’une disparition. La France a encore des restes et des réflexes lui permettant épisodiquement d’exister sur la scène internationale. L’Italie est devenue quantité négligeable. Elle a encore plus que la France été saccagée par une Europe construite sous le patronage des États-Unis et au profit de l’industrie des capos européens de ces derniers : l’Allemagne.
Pour jouer des coudes dans les réunions internationales et faire en sorte que l’on ignore moins l’Italie, Meloni a clairement un back-up. Ce ne sont à l’évidence pas les réseaux mondialistes chapelle Davos qui la couvrent, mais des réseaux mondialistes plus classiques : l’Empire US canal historique tendance républicaine. Meloni permet de comprendre à quel point ceux pensant que le Great Reset est un coup des Américains, ou encore plus ridicule de l’axe « atlanto-sioniste », ont tort sur toute la ligne. Cet axe perd pied face au mondialisme de type davosien, Donald Trump en sait quelque chose, mais ces vieux réseaux n’ont peut-être pas dit leur dernier mot. Meloni y est incontestablement bien introduite et elle en est désormais le prolongement européen disposant de la plus grande masse critique.
Elle peut donc sous leur couvert être mordante sur la scène européenne, taper sans problème sur les réseaux mondialistes chapelle Soros, complètement dépassés par la chapelle Davos. Meloni dispose ainsi d’une protection pour semer le trouble dans les rangs du mythique couple franco-allemand. Le spectacle européen s’accélère, des acteurs aussi dociles que Macron et Scholz se laissent occasionnellement aller à des sorties blessantes encore inimaginables il y a peu. La cheffe du gouvernement italien sent que le moment est venu pour l’Italie de revenir dans le jeu — bien évidemment autrement qu’en faisant venir à Bruxelles la star Draghi, secrétaire perpétuel du parti de l’étranger.
Meloni risque bien de mettre en place une technique consistant à déceler des brèches, des divisons entre pays membres pour se forcer une place, au pire uniquement sur la photo et au mieux pour être en mesure d’imposer quelques thèmes. Cette démarche, qui comporte une bonne dose de communication, peut le cas échant être utilisée à des fins de consolidation de son électorat, en jouant sur le registre « J’ai été à Bruxelles et j’ai joué franc-jeu avec eux. » Qu’importe en réalité le résultat, c’est bien souvent plus le geste qui compte.
Mais l’Italie a bien sûr plus de possibilités sur le plan international que la Hongrie n’en a. Meloni a même pour projet de renouer avec un écosystème international sur lequel l’Italie avait par le passé la main. Elle veut que l’Italie ait à nouveau un rôle et du prestige en Libye et dans la Corne de l’Afrique en lançant de nouvelles politiques de coopération. À Alger, le 24 janvier, Meloni a annoncé le renforcement des liens de l’Italie, surtout énergétiques, avec l’Algérie et a disserté sur les problèmes de toute la région nord-africaine et du Sahel en se faisant la championne de la stabilité. Ce voyage en Algérie se place dans la ligne du plan Enrico Mattei (du nom du fondateur d’ENI, le trust énergétique italien qualifié d’ « État dans l’État ») visant un nouveau partenariat entre l’Italie et l’Afrique. Débutée avant l’arrivée au pouvoir de Meloni, cette course au gaz algérien a un grand perdant : la France. Emmanuel Macron avait voulu mettre sur pied un obscur projet d’achat commun européen du gaz algérien, Meloni (et même Draghi avant elle !) a sur ce coup joué une carte plus nationale. Rappelons néanmoins pour être juste avec le président français que la France n’est pas aussi dépendante en gaz que l’Italie, mais il n’en demeure pas moins que c’est une humiliation supplémentaire pour la France.
Meloni, épiphénomène ou nouvelle donne italienne ?
Ceux plaçant des espoirs démesurés dans Meloni risquent d’être cruellement déçus. Au vu de l’instabilité inhérente à la politique italienne et du panier de crabes que constitue la coalition actuelle, il est impossible de prédire la durée que Meloni passera à la tête du gouvernement italien. Mais, objectivement, de nombreux éléments plaident en faveur de sa longévité. La gauche est au plus bas et doit tout reconstruire. Les sondages après quelques mois aux affaires montrent toutefois que Meloni a perdu trois points d’approbation (28,5%), le soutien que lui apporte la population n’ayant quant lui pas bougé (43%). Par ailleurs, les régionales qui se sont tenues en Lombardie et dans le Latium les 12 et 13 février lui ont été favorables.
2023 sera un premier test à passer, elle devra sans doute dissimuler au mieux ses pas en arrière à une population de plus en plus fragilisée sur le plan économique et attendant des positions fortes sur l’immigration. Si elle parvient à passer le test, 2024 sera une année fatidique pour elle. Les tractations politiciennes en vue des alliances aux élections européennes ont déjà débuté, et certains scénarios envisagés — notamment celui d’une alliance avec Tusk et Weber — ont certes le mérite de totalement normaliser Meloni mais sont surtout la preuve qu’elle n’entend absolument pas faire autre chose que de l’agitation et de la communication, chose que son électorat risque à terme de ne plus tolérer. 2024 sera aussi l’année de l’élection américaine. En admettant que Meloni tienne jusque là, elle misera alors en théorie sur la victoire d’un candidat d’une caste concurrente à la caste davosienne. L’idéal serait un De Santis se mettant à étendre ses charges floridiennes contre le Great Reset à une plus grande échelle, Meloni aurait alors un patronage plus solide et verrait son champ d’action s’agrandir. Mais nous sommes là en pleine fiction. Un peu comme lorsqu’on se met à gober l’idée selon laquelle Meloni serait une opposante conséquente à la caste. Une fiction.
Yann Caspar, Journaliste franco-hongrois basé à Budapest
Crédit photo : DR
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