Lors de sa visite à Berlin, le 21 mars dernier, le président tchèque Petr Pavel a proposé, à l’issue de son entrevue avec son homologue le président Frank-Walter Steinmeier, ancien ministre social-démocrate des Affaires étrangères dans le gouvernement Merkel de 2013 à 2017, que l’Allemagne « joue un rôle de premier plan dans les efforts de sécurité européenne » et prenne même « la direction des opérations en Europe ».
Cet ancien général récemment élu président avait fini sa carrière militaire en tant que président du comité militaire de l’OTAN.
Européiste et atlantiste avéré, le général Pavel rêve donc d’une armée européenne sous commandement allemand. Cette nouvelle n’est pas neutre au moment où l’Allemagne investit 100 milliards dans sa Défense, voulant faire de la Bundeswehr l’armée modèle de l’OTAN. Nul doute que cette déclaration du président tchèque doit gêner quelque peu la « fausse modestie » de nos voisins d’outre-Rhin, au moment où le Bundestag vient d’éditer, le 14 mars, un rapport catastrophique sur l’état de l’armée fédérale allemande selon lequel cette dernière « manquerait de tout » suite à son aide à l’Ukraine et serait dans une situation matérielle jugée « pitoyable ».
Alors, pourquoi cette déclaration incongrue, voire surprenante, de la part d’un chef d’État européen, d’un ancien pays du pacte de Varsovie, dont le zèle otanien et européen se double d’une admiration pour le pays qui a pourtant martyrisé sa population à l’époque où un certain Reinhard Heydrich fut « vice-gouverneur de Bohème-Moravie » du 27 septembre 1941 au 27 mai 1942, date de son assassinat par des résistants tchécoslovaques entraînés et parachutés par les Britanniques quelques mois auparavant. Heydrich, le planificateur en chef de la solution finale, avait également fait condamner à mort le Premier ministre tchèque soupçonné de contacts avec Londres.
Le président Pavel a sans doute la mémoire courte et, à sa place, quelqu’un de plus attaché à la mémoire de sa nation aurait sans doute demandé à la France de reconstituer une Petite Entente à l’est de l’Europe avec la Pologne, la Tchéquie et la Slovaquie (ex-Tchécoslovaquie) ainsi que la Roumanie où un colonel français, depuis le 10 mars dernier, commande actuellement le Battle Group de l’OTAN face à la menace russe. Non ! Monsieur Pavel admire la « deutsche Qualität » du Leopard 2 allemand et rêve d’une armée européenne où chacun des contingents obéirait (en allemand ou en anglais, selon…) à un général de la Bundeswehr. Les Français portent-ils encore les stigmates de la conférence de Munich de 1938 au terme de laquelle la Tchécoslovaquie fut démembrée ? La Tchécoslovaquie abandonnée par Daladier et Gamelin, la Pologne laissée à son triste sort un an plus tard. Non, décidément, autant faire confiance à ces Germains américanisés si rassurants et avec des équipements terrestres tellement fiables, tels que le Leopard ou le Gepard (char antiaérien), voire le Patriot américain servi par des Allemands qui en ont déjà engagé une batterie chez le voisin slovaque.
Que retenir de tout cela ? Tout d’abord, le grand pays européen qui exerce une influence diplomatique et militaire sur l’est de l’Europe n’est plus la France depuis un bon moment, un peu plus de cent ans après la création de la Petite Entente. Cette époque est révolue et l’Allemagne a remplacé l’URSS du pacte de Varsovie car, depuis la chute du mur de Berlin, une fois la réunification réalisée, l’Allemagne a pu mettre en place son rôle crucial et fédérateur dans la Mitteleuropa qu’elle avait jadis tenté de soumettre avec plus ou moins de succès. Depuis la guerre en Ukraine, le rôle de l’Allemagne à l’est de l’Europe est appelé à se renforcer, avec ou contre la Russie, et le tout sous le parapluie américain. En outre, certains fonctionnaires européens de Bruxelles sont en train de réfléchir à ce que pourrait être une armée européenne unifiée (même uniforme, une langue de commandement, une école de guerre unique et, surtout, un cérémonial commun*). L’Autriche-Hongrie que semblent regretter aujourd’hui nombre d’Européens de l’Est, anciens sujets de leurs majestés impériales et royales, pourrait constituer une référence, notamment pour les affaires militaires. La langue de commandement ne serait plus l’allemand mais l’anglais et les généraux pourraient ne plus être américains mais, bien sûr, allemands.
Depuis le Brexit, les Britanniques n’appartiennent plus à aucune structure, y compris militaire, de l’Union européenne, et les Français se retrouvent sans doute bien seuls face à leurs homologues allemands, autrichiens, hongrois, polonais, tchèques… Heureusement, il reste les Belges et peut-être encore les Luxembourgeois. Souvent, les commentateurs spécialistes des affaires de Défense soulignent la présupposée « nullité » de nos camarades allemands qui n’ont aucun savoir-faire tactique et, même, qui ne seraient pas prêts à mourir au combat. Sans doute nos ancêtres devaient avoir le même raisonnement à l’été 1870, lorsqu’ils se lancèrent à corps perdu dans le désastre que l’on connaît. Sedan fut à la fois le cimetière de notre Second Empire, mais le Sedan Tag** devint aussi, jusqu’en 1945, le jour de célébration militaire des Second et Troisième Empires allemands. Curieusement, une berline*** aux États-Unis se traduit par sedan car. La boucle est bouclée…
* Lire, à ce sujet, Das Habsburger Reich – Inspiration für Europa Eine Spurensuche – Éditions Böhlen à Vienne et à Cologne – traduit du néerlandais en 2022 par Leopold Decloedt, de Caroline de Gruyter (essayiste néerlandaise ayant vécu à Vienne et proche des institutions européennes)
**Le jour de Sedan en souvenir de la reddition de Napoléon III
***« eine Limousine » en allemand
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