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lundi 27 mars 2023

INFO BLAST : Macron et Kohler détournent la correspondance de l'Elysée


 
INFO BLAST : Macron et Kohler détournent la correspondance de l'Elysée

Benjamin Jung


À travers des documents, courriers internes et témoignages exclusifs, Blast révèle la manière dont le service de la correspondance de l'Elysée a été réquisitionné au moment des législatives de 2022, pour servir de boîte aux lettres au parti d'Emmanuel Macron, Renaissance ! 

Le service s'est transformé en officine partisane malgré le principe de neutralité auquel ses agents sont tenus. 

Explosive, l’affaire met en cause le plus haut sommet de l'Etat, notamment Alexis Kohler, le secrétaire général de l'Elysée. Ce fonctionnement clandestin révèle un détournement de fonds publics et constitue, à l’évidence, une infraction aux règles de financement des campagnes électorales.

Branle-bas de combat au palais de l'Alma. Face à l'Elysée, sur l'autre rive de la Seine, le service de correspondance de la présidence de la République est une véritable ruche. En ce mois d'avril 2022, les fonctionnaires en charge du courrier du président s'affairent à une tâche inhabituelle. Ce service, qui compte 72 agents, est un des plus importants de l’Élysée. Chaque jour, il traite les 1 000 à 1 500 lettres et mails adressés à Emmanuel et Brigitte Macron. Mais pendant plusieurs semaines, une tâche peu orthodoxe accapare les employés de l'État. Pour la première fois de son histoire, ce service public effectue le travail d'un parti politique. Celui du président de la République.


L’impératif de Macron

Nous sommes deux mois avant le scrutin des législatives de juin 2022. Réélu le 24 avril sur la promesse d’un changement de méthode face à Marine Le Pen, Emmanuel Macron a besoin d'un maximum de sièges à l'Assemblée nationale pour se garantir une majorité et pouvoir gouverner. La partie s’annonce d’autant plus ardue, à l’approche de l’échéance, que la gauche fait front commun sous la bannière de la toute Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES).



Le 24 avril 2022, Emmanuel Macron et son épouse arrivent au Champs-de-Mars, entourés d’enfants. Réélu, il souligne que ce vote « [l’]oblige pour les années à venir ». Image équipe de campagne d’Emmanuel Macron

À l'aube des élections, nombreux sont les postulants à l'investiture du parti du président de la République. Pour décrocher celle-ci, ils doivent envoyer un courrier avec une lettre de motivation et un curriculum vitae à la direction de la République en Marche (renommée Renaissance depuis septembre 2022). Par erreur ou manque d'informations, plusieurs des postulants adressent leur demande directement à l'Elysée.

« Le traitement des investitures aux législatives d'un parti politique n'est pas de notre ressort pour d'évidentes raisons, explique à Blast un agent du service de la correspondance de l'Elysée. Les moyens de l'administration n'ont pas à être utilisés au service d'un camp politique ou d'un autre. Néanmoins nous ne pouvons pas empêcher une personne de nous écrire, la seule chose que nous pouvons faire c'est ne pas traiter sa demande et lui expliquer qu'il convient qu'elle soit adressée au parti politique concerné et non à l'administration. »

La règle est claire, de bon sens et parfaitement connue et appliquée depuis des décennies, quelque soit le locataire du moment à l’Elysée.

 
Avant : jusqu’en 2022, les candidatures à l'investiture de la formation créée par Emmanuel Macron n'étaient pas traitées par le service de la correspondance de l'Elysée. Comme on le voit sur cette réponse de novembre 2021, conformément aux textes.
Document Blast

Pourtant, à partir d'avril 2022, la procédure change. « Nous avons effectué un travail de « boîte aux lettres » de LREM », confirme et s'insurge notre fonctionnaire. Qui détaille le circuit mis en place : « Nous lisions le courrier des candidats avec attention, puis nous rédigions un objet et un bordereau de transmission. Ces bordereaux sont, en temps normal, réservés à l'administration. Ils comportent d'ailleurs une adresse mail administrative pour les retours de service, afin que le suivi du courrier soit effectué par un fonctionnaire. Dit autrement, nous avons traité LREM comme s'il s’agissait d'une administration. »

Nous ne sommes pas le secrétariat d'une formation politique

Tout au long des mois précédant sa réélection, le président-candidat Emmanuel Macron a habitué les Français au mélange des genres. Ses opposants l’avaient accusé de faire campagne sans le dire, sous couvert d’interventions sous sa casquette de chef d’État. En particulier quand il avait profité d’un discours devant le Parlement européen le 19 janvier 2022 pour entrer en campagne. Emmanuel Macron avait par ailleurs été mis en garde le 11 mars 2022 par la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale (CNCCEP) pour avoir utilisé les réseaux sociaux de la présidence. Actuel ministre délégué chargé des Comptes publics, Gabriel Attal, alors secrétaire d'État et porte-parole du gouvernement, avait de son côté suscité des protestations après avoir diffusé une vidéo de soutien au candidat Macron - malgré la réserve que lui imposait sa fonction.

Des pratiques qu’on avait déjà connues dans le passé, notamment sous Nicolas Sarkozy en 2012 - l’épisode Hollande, qui ne s’était pas représenté en 2017, constituant entre temps un cas à part.

 
En mars 2022, la députée Les Républicains Valérie Boyer épingle le porte-parole du gouvernement pour son soutien public au candidat sortant Emmanuel Macron.
Image compte Twitter Valérie Boyer

Mais ce que Blast dévoile aujourd’hui est inédit. Jamais auparavant autant de moyens publics n’avaient été mobilisés par les prédécesseurs d’Emmanuel Macron, en soutien d’une aventure personnelle. Et surtout de façon aussi directe pour jouer les supplétifs d’intérêts partisans.

« Notre employeur est l'État et nos fonctions se limitent à la présidence, nous ne sommes théoriquement pas là pour faire le travail de secrétariat d'une formation politique », rappelle le fonctionnaire rattaché à la correspondance de l'Elysée.

Pourtant, les documents que nous nous sommes procurés démontrent clairement que des agents de l’État ont participé à la préparation des législatives pour La République en marche, en réceptionnant, traitant, effectuant un travail de tri puis en fléchant des échanges qui n’ont rien à voir avec les missions qui sont les leurs. Ce faisant, ils ont fait une partie du travail de cette formation, pour lui permettre de se présenter en ordre de bataille aux élections. Ils ont en réalité pleinement participé au travail et à la promotion politique du président Macron.

 
Après : à partir d’avril 2022, après les consignes, les candidatures sont lues et transmises directement au parti du président. La communication de l'Élysée s’adresse au directeur général de la République en marche comme si elle en était une sous-division…
Document Blast

Double infraction

Fort de ces découvertes, Blast a contacté la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, pour avis. En réponse, la CNCCFP rappelle que c’est l’article L. 52-8 du code électoral qui fixe la règle « les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. » En remplaçant « personne morale » par « service de correspondance de la présidence de la République » et en substituant « gratuit » à « prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués », la conclusion s’impose d’elle même : cette innovation imposée aux fonctionnaires de l’Elysée tombe sous le coup d’une infraction à la loi.

À double titre.

Selon une source juridique également contactée par Blast, l'utilisation des moyens humains, financiers et techniques du service de la correspondance pourrait d'une part être qualifiée de détournements de fonds publics (au titre de l'article 432-15 du code pénal) mais également de financement illégal de campagne électorale. Blast a aussi interrogé la Cour des comptes au sujet de la situation de fonctionnaires aux missions soudainement élargies et renouvelées. La rue Cambon s’est montrée intéressée, précisant qu’elle allait donner au dossier tout l’intérêt qu’il mérite.

Enfin, Laurent Dublet, administrateur d’Anticor spécialiste de ces questions, a eu « les cheveux dressés sur la tête » devant nos informations. « Si elles sont avérées, commente le secrétaire général de l’association anticorruption, alors ça relève de la propagande électorale avec les moyens de l’Etat. C’est complètement interdit. Et s’ils le font, ils le savent très bien ».

Des courriers pour draguer l'opposition

Mais l'utilisation à des fins politiques des moyens et des agents du service de la correspondance de l'Elysée ne s'arrête pas là. Les législatives de juin 2022 passées, Emmanuel Macron, qui n'a obtenu qu'une majorité relative, sait qu'il va devoir composer avec une forte opposition. Il lui faut se trouver des alliés au palais Bourbon. Une vaste entreprise de rédaction de courriers se met en place.

« Une partie d'entre nous avons également été mobilisés pour rédiger une masse considérable de courriers de félicitations », révèle et complète un employé du service de la correspondance. Des messages qui ont été adressés aux députés nouvellement élus, tous bords confondus.

La rédaction de ces lettres a nécessité en réalité des moyens considérables et une lourde machinerie. Chacune d'elles, avant d’être validée et envoyée au destinataire, a été personnalisée pour tenir compte du profil du parlementaire, de sa sensibilité et de sa proximité ou non avec la cause présidentielle. Le texte, rédigé par des fonctionnaires selon des critères politiques, étant ensuite transmis au secrétariat général de l'Elysée. Une fois le visa délivré par Alexis Kohler et huit autres personnes, il était, enfin, soumis à la signature d'Emmanuel Macron.

 
Avant d'atterrir sur le bureau du président de la République pour signature, les courriers aux parlementaires ont nécessité l’intervention d’une dizaine de personnes, dont le secrétaire général de l'Elysée Alexis Kohler.
Document Blast

Plusieurs agents du service, après avoir insisté sur « le volume énorme de courriers rédigés », ont manifesté leur malaise vis-à-vis de cette nouvelle mission. L'ordre qui l’a déclenchée a été reçu avec surprise par les fonctionnaires comme le montrent plusieurs emails échangés en interne, que Blast a pu consulter. Nous avons choisi de ne pas les publier afin de protéger nos sources.

Alors qu'ils sont habitués à respecter une neutralité imposée par leur statut, il leur était demandé cette fois de rédiger des courriers partisans, sur la base de considérations politiques.

Dans la lettre adressée par exemple à Jordan Guitton, député Rassemblement national de l’Aube, Emmanuel Macron évoque ainsi « l'intérêt général ». Une façon de l’inviter à dépasser les clivages partisans. Le courrier à Aude Luquet, élue de Seine-et-Marne du Mouvement démocrate, allié de la formation du président, sollicite plus simplement le « soutien » de la députée.

 
Signés par le chef de l’Etat, les courriers aux députés nouvellement élus ont été rédigés en fonction du bord politique du parlementaire et de sa proximité ou de sa distance avec le signataire. Ils ont été préparés par des fonctionnaires.
Document Blast

« Sur le pont », au nom de la cause

« C'est assez inhabituel pour un fonctionnaire de devoir effectuer sa mission de service public en établissant ce genre de distinctions, c’est le moins qu'on puisse dire » constate l’un de ceux qui sont affectés au palais de l’Alma, à la correspondance, qui ajoute : « On ne nous demande pas de faire ce genre de choses habituellement. Nous devons en toutes circonstances, y compris en dehors de notre travail, nous tenir à la plus grande neutralité possible. »

Le 4 mars 2022, trois mois avant les législatives, Patrick Strzoda, le propre directeur de cabinet du président de la République, rappelait dans une note au personnel de la présidence que « l'activité professionnelle doit, par principe, être clairement distinguée d'une participation à une campagne électorale. »

 
 
Trois mois avant les élections législatives de 2022, le préfet Strzoda rappelle aux fonctionnaires leur devoir de neutralité : « La participation des agents de la présidence à la campagne électorale est possible (…) uniquement en dehors des heures de service » et « sans mobiliser aucun moyen ni équipement public ».
Document Blast

Une source interne précise à Blast que la rédaction de ces courriers avant et après les élections a mobilisé des rédacteurs de tous les bureaux. « Y compris le bureau Madame, le pôle Opinion et le bureau du courrier des particuliers. Tout le monde était sur le pont », affirme ce témoin.

Une autre mission

Cette mobilisation générale ne s’est pas faite seulement en violation de la tradition et des règles, donc en rupture de la neutralité que l’État doit assurer entre les partis politiques, mais aussi au détriment des administrés. « À la même période, ne pouvant faire face à la charge de travail, nous avons archivé des centaines de courriers non traités, avec la mention « à classer, tardif », dont des requêtes de personnes en grande difficulté économique, sociale ou administrative, dont la situation parfois extrêmement difficile n'a fait l'objet d'aucune prise en charge par l'administration, dénonce une autre fonctionnaire, choquée par ces pratiques. Notre charge de travail ne nous permettait pas de traiter leurs demandes, les ressources humaines du service étant consacrées à une autre mission que le service public qui est pourtant notre raison d'être. »

« Ce sont autant de courriers de femmes battues qui n'ont pas été transmis à la préfecture, de personnes en situation de handicap dont la demande de recours suite à la suppression de leur allocation sera restée lettre morte, ou d'enseignants dont nous avons archivé sans traitement la demande de mutation afin d’obtenir un rapprochement familial ou pour soigner un enfant malade », détaille ce témoin.

Contacté par Blast, l'Elysée n'a malheureusement pas donné suite à nos sollicitations.


 
Alors que l’affaire qui porte son nom a connu ces derniers jours de nouveaux développements (avec la mise en examen de deux de ses anciens supérieurs), Alexis Kohler est désormais sous la menace d’un nouveau dossier compromettant.
AFP

À la veille de sa réélection douloureuse d’avril 2022, entre les deux tours de la présidentielle, Emmanuel Macron avait promis à ses compatriotes qu’il avait entendu leur message. Et d’en tenir compte, en changeant sa méthode en étant le président transpartisan de tous les Français. On ne sait si le chef de l’État et son lieutenant Alexis Kohler considèrent cette reconversion temporaire imposée aux fonctionnaires de l’Elysée comme la première pierre de la nouvelle gouvernance promise. Une chose est sûre : autant qu’elle est illégale (en en faisant les supplétifs d’un parti), l’histoire de cette cellule partisane au coeur de l’Elysée éclaire d’une lumière crue la stratégie qui a permis à un président aux abois de sauver 9 mois plus tard son gouvernement pour 9 voix à l’Assemblée nationale. Et d’assurer le passage en force de sa réforme des retraites.

Crédits photo/illustration en haut de page :
Adrien Colrat

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