Le Figaro, seul journal à essayer de rester équilibré a demandé à Jérôme Sainte-Marie de raconter l’acte IV des gilets jaunes.
Avec cette présentation:
« RÉCIT - Le politologue n'a pas raté une manifestation parisienne depuis de nombreuses années.
Y participant en tant qu'observateur, il a eu tout loisir de se forger une mémoire de ce type d'événement.
Le week-end dernier, il a observé de l'intérieur de l'acte IV des «gilets jaunes».
Voici son témoignage. »
La lecture de ce texte serre le cœur.
J’ai moi-même croisé de ces groupes de prolos calmes et déterminés, parlé avec eux, leur ai dit ma reconnaissance.
Et les voyant s’éloigner, drapeau tricolore déployé, j’ai eu cette impression poignante de pelotons qui montaient en ligne.
Voilà pourquoi je serai toujours de ce côté là.
Et voilà pourquoi Jérôme est mon ami.
« La Quatrième Journée
Les premiers rencontrés furent ceux de Pithiviers, quatre hommes demandant leur chemin des gendarmes mobiles, à la recherche de la Place de l’Etoile pourtant toute proche.
Dans les larges rues vides, inhabituellement calmes et où se ressent l’attente de l’événement, les Gilets Jaunes marchent par petits groupes.
La plupart arrivent de province, de Normandie, de Bretagne, du Nord ou de Lorraine principalement, parfois de la grande banlieue, très peu de Paris ou de ses environs.
Ils sont venus par trains, par bus loués ensemble ou par covoiturage.
Calmes et déterminés, ils se prêtent aimablement à la conversation, qu’ils ne recherchent pourtant pas.
Ils viennent d’abord pour retrouver les autres Gilets Jaunes et, via les médias, faire masse devant le pays.
Peu après les voici aux Champs-Elysées, dans un quartier hostile d’une ville hostile.
Une ville qui a donné 90% de ses suffrages à Emmanuel Macron.
Un quartier où se concentrent une fortune considérable, comme le clame sa splendeur immobilière. Les Gilets Jaunes, par leur condition modeste, n’y sont pas à leur place.
Il n’en fut pas toujours ainsi.
Le cortège populaire qui mena Jean Jaurès au Panthéon en 1924 traversait un Paris où l’activité ouvrière prospérait.
La manifestation des mineurs de Longwy en 1979 fut encore bien accueillie par une partie des citadins, même si des violences l’entachèrent.
Cependant, celle des mêmes ouvriers en 1984, victimes des restructurations industrielles décidées par la gauche, suscita un embarras teinté d’agacement dans une capitale qui commençait sa gentrification et ne voulait plus entendre parler de ces luttes révolues.
Cette fois, on ne sait ce qui l’emporte de l’indifférence ou du rejet.
Lors des premières journées de la présente contestation, les Parisiens et les Gilets Jaunes se croisaient encore.
Ainsi, il y a deux semaines, un homme doté de tous les signes du cadre supérieur, qui passait à la hauteur de quelques manifestant buvant de la bière autour d’un feu improvisé avec du matériel volé sur un chantier, murmurait : «la lie de l’humanité ».
Si cette scène de sourde détestation se produisit parfois, le plus souvent l’ignorance réciproque et délibérée fut de mise.
Encore au début ces deux peuples qui ne se parlaient pas pouvaient-ils s’apercevoir.
La quatrième journée de la contestation, l’acte IV si l’on préfère, il n’en fut plus question.
Hors la présence des forces de l’ordre, c’est un désert qui s’étendait autour des Gilets Jaunes.
Ainsi, lorsque des Champs-Elysées quelques cortèges s’ébranlaient, ils longeaient des immeubles dont tous les volets étaient clos en plein après-midi.
Alors qu’à l’accoutumée la curiosité amène les riverains d’une manifestation aux balcons et aux fenêtres, là aucune figure n’y apparaissait.
L’absence de toute présence humaine visible aux étages surplombait le tumulte de la rue.
Les Gilets Jaunes le savaient déjà : dans le quartier de toutes les réussites sociales, ils n’étaient pas grand-chose avant que d’y être entrés.
Désormais qu’ils s’étaient mal conduit, on y préférerait n’en plus entendre jamais parler.
Sans doute n’y avait-il pas grand-chose à se dire.
Des dizaines de conversations tenues avec des Gilets Jaunes tout ce samedi le même récit apparaît. Ceux rencontrés sur l’Avenue sont à peu près tous des ouvriers.
Tout simplement cela, des ouvriers : des caristes, des manutentionnaires, des chauffeurs-livreurs, des soudeurs, des tourneurs-fraiseurs, des chaudronniers, des plombiers ou des électriciens.
Parfois indépendants, parfois salariés, et quelque fois au chômage ou en congé pour longue maladie. Quelques personnes disaient appartenir à des sociétés de droit public, mais c’était l’exception, et d’ailleurs ils n’avaient pas le statut de fonctionnaire.
Toutes ces personnes racontent un quotidien dont la difficulté tient à une chose très évidente lorsqu’elle manque, l’argent.
Ayant échappé aux discours universitaires sur le post-matérialisme et autres fantaisies sur les valeurs post-modernes, ils veulent juste ne pas couler et l’expriment sans apprêt.
Souhaitent-ils vraiment qu’on les écoute, qu’on s’émeuve à leur récit, qu’on leur propose compréhension et empathie ?
Pas exactement, et souvent même pas du tout.
Ceux qui sont sur l’Avenue ont dépassé ce stade, s’ils l’ont jamais connu.
Ce rassemblement n’a rien de commun avec la bavarde et minuscule Nuit Debout, ni plus généralement avec les rassemblements contemporains de la gauche.
Ainsi, la fonction publique n’y est pas, et pas davantage le monde étudiant, à part quelques groupes souverainistes apparemment issus de certaines grandes écoles.
A ce propos, on a pu voir descendant les Champs-Elysées, samedi dernier, une large banderole ornée d’une citation de Charles Péguy, ce qui n’est certes pas l’ordinaire d’une manifestation parisienne.
Il y avait plus inhabituel encore.
La plupart des gens présents ne se connaissent pas, ou plutôt chacun n’identifie que les quelques-uns venus avec lui, rencontrés sur les ronds-points ou simplement sur internet.
De plus, beaucoup lors de cette quatrième journée sont ici pour la première fois.
Excédés par les mises en garde du gouvernement, ils en ont fait pour certains un point d’orgueil, et pour tous l’occasion de réclamer davantage à un pouvoir qui recule.
Ce sont sans doute les plus motivés qui sont sur les Champs-Elysées, et chez eux le revendications sociales se teintent d’un patriotisme blessé.
Plusieurs évoquent le « pacte de Marrakech » parmi leurs griefs.
Ils en veulent au Président de mal incarner, à leurs yeux, une République et un pays dont ils chérissent certains symboles.
Ainsi, comme les fois précédentes, ce sont surtout les drapeaux tricolores que l’on brandit et La Marseillaise que l’on entonne.
Alors, bien sûr, il y a les violences.
Les Gilets Jaunes exprimaient samedi leur rejet des pillages, commis surtout en fin de journée et par des bandes qui ne leur ressemblent pas.
A l’inverse, ils ne condamnent pas tous, loin s’en faut, les actes illégaux commis contre les symboles d’un Etat dont ils rejettent sans nuance la direction.
Ce n’était pas encore une émeute mais ce n’était plus une manifestation.
Les déprédations furent immenses, mais la dignité de la plupart des personnes rencontrées aussi. Voici ce que j’ai pu voir lors de cette quatrième journée.
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Jérôme Sainte-Marie »
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