Par Valérie Mahaut, envoyée spéciale en Thaïlande
Photos Ian Teh / Agence Vu
Durant l’hiver parisien, les jeunes des cités franciliennes partent faire la fête à Phuket, une île du sud de la Thaïlande. Ils dépensent des sommes colossales, souvent d’origines douteuses.
Patong beach, île de Phuket, Thaïlande.
Ses néons, ses couleurs, ses décibels assourdissants, ses gogo danseuses, ses plages, ses touristes venus s’encanailler… et ses airs de cité de banlieue parisienne.
« Un nouveau département de France », s’exclamait mi-mars, entre deux bars de Bangla Road, la rue où bat le cœur de Patong, un vacancier français.
Pendant l’hiver, les jeunes des cités grises de la petite couronne investissent ce coin de l’île de Phuket, centre névralgique du tourisme sexuel et festif.
A plus de 10 000 kilomètres de chez eux, ils y ont créé leur autre banlieue.
Qu’ils y passent de simples vacances ou viennent y dépenser l’argent du trafic de cannabis, loin des brigades des stups, ils se retrouvent dans les mêmes bars, les mêmes boîtes de nuit, les mêmes hôtels et sur les mêmes plages.
La cité et les codes de ceux que les Thaïlandais de Phuket appellent les French Arabics (Arabes français) y sont reconstitués.
D’ailleurs, un quartier entier de Patong est rebaptisé « Les 4 000 », du nom d’une cité de La Courneuve, en Seine-Saint-Denis.
Au cœur d’une dizaine de blocs d’immeubles de cinq étages qui abritent des hôtels bon marché et des restaurants, on retrouve l’esprit et les habitudes des cités.
En rentrant de la plage en fin de journée, il convient de parader torse nu sur des motos louées à la journée pour 8 à 15 euros.
Et de se retrouver au pied des bâtiments, entre le salon de massage La Mamounia, les hôtels restaurants Paris Milan, le Garden Phuket Hotel… tenus par des Français, comme la plupart des établissements des « 4 000 » de Thaïlande.
Sur Nanai Road, même ambiance.
Les restaurants halal français s’alignent entre les guesthouses (chambres d’hôtes), les coiffeurs proposant « la coupe française » et les bars à chicha.
A la carte du Green Ice 2, adresse incontournable de cette rue sinueuse : escalope de poulet halal, burger frites et salade à la sauce algérienne.
Le bar est la réplique du Green Ice de La Courneuve, sandwicherie appartenant officieusement aux Houmani, redoutable fratrie de dealeurs du 93, arrêtés en mai 2014.
Au Gossip, sur Bangla Road, on sirote du whisky ou de la vodka en fumant la chicha.
« En mai, juin, on ne verra plus les gens des cités jusqu’à l’hiver », commente Laurent, un salarié.
Ici, c’est « ambiance lounge », avec tables basses, poufs, musique à un niveau sonore normal.
Le service de sécurité s’applique à « éviter les problèmes avec ceux des banlieues qui se croient chez eux et n’ont pas d’éducation », précise le gérant.
Au bruyant rez-de-chaussée du bar de Seth Gueko, ouvert par le rappeur du Val-d’Oise, même son de cloche sur l’attitude des Français.
Ce 14 mars, perché sur un tabouret, un œil sur la danseuse, Liès profite de la soirée.
« Nous, on ne se mélange pas avec ceux qui font des histoires », lâche ce Toulonnais de 30 ans. Deux tables plus loin, Julien et ses copains s’apprêtent à aller en boîte.
Ils sont en vacances à Patong, « parce que c’est incontournable ».
« Et comme on écoute du rap, on s’est arrêté au Seth Gueko Bar », précise ce trentenaire originaire de l’Essonne.
Des concerts de rap dans les boîtes
La clientèle des cités est si importante à Phuket que les rappeurs français viennent s’y produire.
Le 11 mars, la nouvelle coqueluche des amateurs de rap, Gradur, fait un concert au Seduction, la discothèque la plus prisée.
A 24 ans, « L’Homme au bob », du nom de son album, se devait de se produire à Patong, « qui fait désormais partie du circuit de la réussite, autant que certaines salles de la région parisienne, de Marseille ou de Lyon », explique Alex Kirchhoff, directeur de son label, Millenium Barclay.
« En Thaïlande, les jeunes de banlieue fréquentent des établissements tenus par des Français, qui font venir les rappeurs parce qu’ils ont le public », poursuit-il.
Le lendemain du concert de Gradur, l’Illuzion, l’autre grosse discothèque de Bangla Road, riposte en accueillant sur scène le rappeur franco‑algérien Rim’K et la chanteuse de R’n’B Kayna Samet.
Les femmes, prêtes à monnayer leurs charmes, savent, elles, que ces Français ont de l’argent, « certaines apprécient leur côté bad boy », selon un client.
Entre les morceaux qu’ils connaissent par cœur et les selfies en série, les spectateurs hurlent quand les stars chauffent la salle en s’assurant que « les Parisiens, les Marseillais, les Algériens, les Marocains, le 9-2, le 9-3… sont bien là ? »
Sur scène, Rim’K chante, comme Gradur, devant un écran géant diffusant ses clips tournés en Thaïlande, remplis de grosses voitures, flingues, billets de banque et filles.
« Les mêmes vidéos, avec villas, jet-skis et hélicoptères coûteraient quatre fois plus en France, justifie Alex Kirchhoff.
Et les gens sont contents de voir des images de la Thaïlande qu’ils connaissent. »
Dépenser à Phuket l’argent du trafic
Si une partie des vacanciers a économisé pour s’offrir deux ou trois semaines au soleil, d’autres dépensent à Phuket l’argent du trafic de drogue.
Depuis une dizaine d’années, les enquêteurs français de la brigade des stupéfiants entendent, sur les écoutes téléphoniques, les suspects évoquer leurs voyages et en trouvent des traces lors de perquisitions.
« Patong, c’est aussi le tourisme mafieux », constate le manager du Gueko Bar.
Chez un dealeur présumé arrêté à Noël, à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), dans un appartement où était stockée 1,2 tonne de haschich, la police a trouvé des billets d’avion pour Phuket.
« On déniche souvent des photos qui attestent ces voyages, commente un enquêteur. Les trafiquants de drogue prennent la pose sur les plages, sur des motos ou avec des kalachnikovs. »
Depuis une dizaine d’années, les enquêteurs français de la brigade des stupéfiants entendent, sur les écoutes téléphoniques, les suspects évoquer leurs voyages et en trouvent des traces lors de perquisitions.
« Patong, c’est aussi le tourisme mafieux », constate le manager du Gueko Bar.
Chez un dealeur présumé arrêté à Noël, à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), dans un appartement où était stockée 1,2 tonne de haschich, la police a trouvé des billets d’avion pour Phuket.
« On déniche souvent des photos qui attestent ces voyages, commente un enquêteur. Les trafiquants de drogue prennent la pose sur les plages, sur des motos ou avec des kalachnikovs. »
« Les photos sont aussi postées sur Facebook pour montrer à la cité qu’ils y sont allés », précise l’enquêteur.
S’ils savent que les séjours à Phuket permettent de dépenser incognito l’argent du trafic, les enquêteurs ne peuvent pas pister les suspects à l’autre bout du monde.
« Il faudrait des moyens que nous n’avons pas », explique un commissaire de région parisienne.
« De toute façon, là-bas, ils peuvent dépenser ce qu’ils veulent, ça ne peut pas leur être reproché », ajoute un autre.
Ceux qui investissent là-bas n’ont pas de souci à se faire non plus : « Nous savons que les gros dealeurs “placent” dans l’immobilier, mais pour les affaires financières, la coopération n’est pas simple avec la Thaïlande », souligne un juge parisien, spécialiste du crime organisé.
« Si t’as pas vu Patong, t’as pas vécu »
« L’argent du trafic est surtout flambé en Thaïlande », confirme l’une de ses collègues.
Flamber, c’est le mot.
Au Seduction, on mesure les fortunes au nombre de magnums de vodka commandés.
En cette nuit de mars, certains habitués, biceps moulés dans des tee-shirts siglés, pochette Burberry en bandoulière, rejoignent leurs tables réservées dans la salle VIP.
Sur celle de Mehdi*, trentenaire des Hauts-de-Seine, trône un mathusalem (six litres) de vodka, entouré de bouteilles plus petites.
Derrière le bar, les serveurs thaïlandais préfèrent oublier que ce flacon à 1 300 euros coûte cinq fois leur salaire mensuel.
« On a des tables à 15 000 euros », confie le patron du lieu, évaluant la part de l’argent issu du « deal de shit » (trafic de cannabis) à 50 % de son chiffre d’affaires.
Avec un sourire entendu, Mehdi confirme que son argent provient de cette activité avant de rejoindre le deuxième étage, où l’on accueille les super-VIP, qui dépenseront encore davantage.
Flamber, c’est le mot.
Au Seduction, on mesure les fortunes au nombre de magnums de vodka commandés.
En cette nuit de mars, certains habitués, biceps moulés dans des tee-shirts siglés, pochette Burberry en bandoulière, rejoignent leurs tables réservées dans la salle VIP.
Sur celle de Mehdi*, trentenaire des Hauts-de-Seine, trône un mathusalem (six litres) de vodka, entouré de bouteilles plus petites.
Derrière le bar, les serveurs thaïlandais préfèrent oublier que ce flacon à 1 300 euros coûte cinq fois leur salaire mensuel.
« On a des tables à 15 000 euros », confie le patron du lieu, évaluant la part de l’argent issu du « deal de shit » (trafic de cannabis) à 50 % de son chiffre d’affaires.
Avec un sourire entendu, Mehdi confirme que son argent provient de cette activité avant de rejoindre le deuxième étage, où l’on accueille les super-VIP, qui dépenseront encore davantage.
« Dans les années 1980, les trafiquants venaient pour l’héroïne du Triangle d’or constitué par la Thaïlande, le Laos et la Birmanie », relève le juge d’instruction spécialiste du crime organisé.
Dix ans plus tard, c’est le muay-thaï (la boxe thaï) qui a attiré les jeunes de banlieue au pays du sourire.
Ils admiraient Dida Diafat, qui a quitté Villiers-le-Bel (Val-d’Oise) pour s’entraîner en Thaïlande et devenir champion du monde.
« Nous, on vient depuis 1996-1997, raconte Mehdi. On avait de l’argent, on nous avait parlé de la Thaïlande, voilà. »
Un enquêteur parisien se souvient des premiers voyages, notamment celui d’une équipe de dealeurs qui avait braqué 500 kilos de cannabis à ses concurrents.
Puis « les petits » ont suivi.
Aujourd’hui, « il faut pouvoir dire aux amis : j’y suis allé. Si t’as pas vu Patong, t’as pas vécu », résume Morad, d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).
Une mise au vert pour les délinquants
Destination plaisir, destination blanchiment, Phuket est aussi un « lieu de travail » pour les spécialistes des arnaques à la carte bancaire et une possibilité de repli pour les voyous.
« Avec tous les établissements tenus par des Français, les délinquants ont des réseaux sur place, qui leur permettent de se “mettre au vert” », relève un commissaire parisien.
C’est ce qu’avait fait Hassen Belferroum, l’un des braqueurs condamnés fin février pour les braquages de la bijouterie Harry Winston, avenue Montaigne, à Paris (8e).
C’est ce qu’avait prévu Bouchaïb El Kacimi, condamné en octobre à vingt ans de prison pour trafic de cannabis.
Membre du réseau Furax, qui a rapporté du Maroc, en go-fast, 50 tonnes de drogue en deux ans, il a été arrêté à Roissy en 2010, alors qu’il s’apprêtait à partir en Thaïlande, avec 30 000 euros.
Il avait réservé un séjour pour deux à 14 000 euros…
« Avec tous les établissements tenus par des Français, les délinquants ont des réseaux sur place, qui leur permettent de se “mettre au vert” », relève un commissaire parisien.
C’est ce qu’avait fait Hassen Belferroum, l’un des braqueurs condamnés fin février pour les braquages de la bijouterie Harry Winston, avenue Montaigne, à Paris (8e).
C’est ce qu’avait prévu Bouchaïb El Kacimi, condamné en octobre à vingt ans de prison pour trafic de cannabis.
Membre du réseau Furax, qui a rapporté du Maroc, en go-fast, 50 tonnes de drogue en deux ans, il a été arrêté à Roissy en 2010, alors qu’il s’apprêtait à partir en Thaïlande, avec 30 000 euros.
Il avait réservé un séjour pour deux à 14 000 euros…
Quand certains débarquent à Phuket avec des liasses de billets de 500 euros, d’autres se servent sur place en piratant les distributeurs de billets de banque.
Le 28 février, cinq personnes ont été arrêtées par la police thaïlandaise.
Les deux principaux suspects, âgés de 29 ans, sont originaires de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) et sont sous le coup d’un mandat d’arrêt délivré par un juge parisien dans un dossier de fraudes à la carte bancaire.
Pour l’heure, tous sont incarcérés à la prison de Phuket.
Pour eux, les vacances sont finies.
Le 28 février, cinq personnes ont été arrêtées par la police thaïlandaise.
Les deux principaux suspects, âgés de 29 ans, sont originaires de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) et sont sous le coup d’un mandat d’arrêt délivré par un juge parisien dans un dossier de fraudes à la carte bancaire.
Pour l’heure, tous sont incarcérés à la prison de Phuket.
Pour eux, les vacances sont finies.
* Le prénom a été modifié.
Les locaux parlent des Français
Propriétaire d’un bar restaurant sur la plage de Laem Sing Beach depuis trente ans, le Thaïlandais Ali observe ces Français qui fréquentent tant sa plage qu’elle a été rebaptisée « La Plage des Français ».
« Certains sont des gangsters qui se tirent dessus chez eux, mais ici, je le vois, ils sont amis », remarquait-il en 2014, évoquant les règlements de compte marseillais.
Ali constate la richesse de ses clients, « surtout les French Blacks, qui portent les plus belles montres et dépensent beaucoup. »
Les touristes des cités peuvent soudoyer la police quand ils sont arrêtés, parfois juste parce qu’ils ne portent pas de casque à moto.
« Les French Arabics ne respectent pas les règles, mais ont peur d’aller en prison, donc ils paient. »Non loin de Bangla Road, un commerçant ne s’émeut pas de savoir certains Français en prison.
« Ils ont un mauvais comportement, ne respectent pas leurs femmes, qu’ils laissent dans leur pays, ni les Thaïlandaises prostituées qu’ils viennent voir », s’emporte-t-il.
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