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dimanche 19 avril 2020

Ils nous disent : pénurie !


 


Le maître mot de cette crise est un petit mot tout simple aux conséquences gigantesques. 

« Pénurie » nous vient du grec (πείνα – peina – signifiant « faim », « besoin de manger ») à travers le latin (penuria, ae, « manque de vivres »). C’est assez dire que la pénurie attaque les besoins vitaux de l’homme.

Ce petit mot, on ne l’a pas vu venir, on l’a pris de haut, un peu comme un chat dans la gorge : ça gratouillait, mais pas de quoi s’alarmer.
Au contraire, on suivait distraitement les agitations chinoises.
Ces visages coupés en deux nous faisaient un peu rire.
Ici, à l’autre bout du monde, histoire de se moquer un peu, certains se mettaient n’importe quoi sur le visage : des slips colorés, des strings, et publiaient leurs photos sur le Net.
Tordant ! Du reste, les gens ordinaires n’étaient pas les seuls à rire.
Nos princes aussi de s’esclaffer : « Ah, ah, ah ! Juste une petite grippette », « Ce truc ne viendra pas chez nous », « Regarde ces idiots, ils ferment leur frontière », « Dormez, braves gens, nous contrôlons ». Tordant !
Et puis, peu à peu, la rigolade s’est effilochée et de petits bouts de vérité sont apparus.
On nous a dit : « Lavez-vous les mains. » Pas de bol, on manquait de gel hydroalcoolique.
On a dit aux gens : « Les masques, c’est pas pour vous, c’est pour les hospitaliers. »
Pas de bol, il n’y avait plus de masques, pour personne.
Il n’y avait plus, non plus, pour les soignants, de blouses, de surchaussures, de charlottes. Pas de bol !
Des infirmières se sont rabattues sur des sacs-poubelles pour se protéger.
Il n’y avait plus de lits : vraiment pas de bol !
À mesure que le temps passait, les pénuries, comme un méchant virus, gagnaient du terrain, s’étalaient partout, dans tous les domaines.
Pénurie de respirateurs. Pénurie de réactifs pour les tests.
Sédatifs, curare, morphine, antibiotiques, la pénurie de médicaments arrive, soyez patients, on y aura droit aussi ! Pénurie de circulation.
Pénurie de livres, de jouets, d’ordinateurs.
Pénurie de confraternité lorsqu’un médecin qui guérit est attaqué par des confrères stakhanovistes de la norme et du CERFA.
Pénurie de tout, pour tous, tout le temps. La France est nue !
Et tous les soirs, on nous récite la litanie des morts.
Et puis, pour couronner le tout, la petite touche sur le chef-d’œuvre, comme au Moyen-Âge, survient cette pénurie qui ne doit rien aux approvisionnements à l’étranger ni aux réserves de précautions de certains, et qui, par malheur, amplifie gravement les effets des manques listés ci-dessus : la pénurie de sincérité.
On en a encore la preuve avec le prétexte bidon pour rouvrir les écoles.
Elle entraîne dans son sillage, comme son ombre, la pénurie de confiance dans les gens qui gouvernent ce bateau ivre qu’est devenu notre pays.
On entend déjà de bons esprits tenter d’expliquer comment rafistoler l’épave avec les vieux matériaux, les vieilles recettes, les vieilles personnes.
Il est sûr que cela ne marchera pas.
Tonnerre de Brest, on n’est pas sorti de la pénurie d’intelligence !
Pourtant, tout espoir n’est pas perdu car il y a un domaine où la pénurie de sévit pas, qui ne dépend pas de nos élites et dont on voit la preuve tous les jours : la fraternité.

 Yannik Chauvin

1 commentaire:

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