Tout a bien commencé. Une manifestation proprette, avec une belle banderole en tête qui disait les choses,et une autre un peu plus loin qui les précisait…
Bref, une aubaine pour les journalistes et les photographes, regroupés sur le pont qui enjambe le Cours Lieutaud, où défilaient les Gilets Jaunes, en route vers la Préfecture — faute d’aller à l’Elysée. D’autant qu’il faisait grand beau.
Arrivés là, les manifestants ont joué aux lycéens de Mantes-la-Jolie :
Et tout le monde s’est dispersé : il était un peu plus de midi, il était temps de reprendre des forces, chacun sentait que la journée n’était pas finie.
Et justement, vers 15 heures, le climat a changé.
Des gendarmes mobiles ont été massés sur le Vieux-Port, autour de véhicules blindés — sans autre fonction que d’attirer des réactions, parce qu’il n’y avait pas même l’amorce d’un mouvement violent jusque-là.
La République face à l’armée — la dissociation de ce que la Fête de la Fédération, en 1790, et chaque défilé de 14 juillet, symbolisent.
Les Gilets Jaunes ont été un peu déconcertés.
Ils étaient venus pleins d’intentions pacifiques, mais le Pouvoir avait la ferme intention de faire croire à la France entière qu’ils étaient des casseurs.
Les vrais casseurs avaient fini par se réveiller — ils sont jeunes, ils sont sans emploi, ils font la grass’mat’, il faut le temps d’arriver des Quartiers Nord ou de la Belle-de-Mai avec cagoules, masques à gaz et lunettes de plongée…
Du coup, la police a décidé de faire régner l’ordre qui n’était guère menacé — et je peux témoigner qu’à part une innocente poubelle, rien n’avait encore été malmené.
Mais ça valait le coup d’envoyer quelques salves de lacrymos
— à ceci près que le mistral, qui soufflait assez fort hier, rabattait sur les policiers les nuages de fumées toxiques.
Faut étudier la météo avant de décider une action…
Mais l’hélicoptère en vol stationnaire au-dessus du port ne devait pas sentir les rafales, et donnait des ordres comme on bouge des legos. Alors, ça s’est embrasé
vraiment embrasé
Tout cela vous a pris un petit côté Belfast des années 80
Et les p’tits jeunes ont commencé — jusqu’à tard dans la soirée — à jouer au chat et à la souris, en remontant la Canebière, en s’infiltrant dans les rues adjacentes : Marseille n’est pas Paris, le baron Haussmann n’a pas sévi ici, la ville est un entrelacs de ruelles, y compris dans le centre, qu’aucune force de police ne peut entièrement contrôler..
Peu de magasins attaqués — ils avaient tous fermé dès le matin, devantures métalliques, panneaux de bois parfois.
J’en ai eu marre de respirer des vapeurs toxiques — d’ailleurs, la nuit tombait, ce n’était plus qu’un jeu de « Cours après moi que je t’attrape ».
Les pompiers tentaient bien d’éteindre les dégâts et ce matin la voirie effaçait les stigmates.
Mais on efface beaucoup plus difficilement les traces mentales d’une telle journée : les p’tits jeunes ont appris qu’ils sont à peu près insaisissables (il y a eu une quarantaine d’arrestations hier, sur plusieurs milliers de manifestants).
Il y avait de toute façon trop peu de flics pour procéder à des interpellations de masse comme à Paris (entre autres, les gens arrêtés préventivement parce qu’ils avaient des lunettes ou du collyre, cela me semble douteux du point de vue légal, les avocats vont se régaler si ça arrive jusqu’en phase judiciaire).
Au total, si l’objectif était d’inciter à la violence de façon à ce que l’opinion publique change de sentiment sur les manifestants, c’est raté : le chœur antique du Bar de la Marine, ce matin, composé de marins — justement — qui avaient toute la journée été témoins des faits, se demandait ce qu’était ce pouvoir qui n’avait d’autre réponse que les lacrymogènes aux questions que pose le peuple.
Et commentait en disant que si c’était le FN qui avait pris ce genre de mesures préventives et répressives, que n’aurait-on pas dit…
Mais heureusement, l’élection de Macron nous a préservés du pire…
Jean-Paul Brighelli
Toutes photos ©JPB
causeur.fr
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