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dimanche 28 janvier 2018

Ces écoles où l’on ne parle plus français

 
 
 
Photo © Chamussy/SIPA
 



Témoignage. Loin des regards du monde politique, des parties entières du territoire font lentement sécession.
 
Un processus inquiétant qui se manifeste dès l’école.
C’était une fin de journée d’automne.
Hélène, une institutrice chevronnée, raccompagnait chez eux quelques élèves de la cité voisine.
« Je m’y revois encore, raconte-t-elle. J’étais au coin de cet immeuble quand j’ai entendu qu’on m’appelait : “Madame la maîtresse, madame la maîtresse.”
Je me suis retournée, j’ai vu deux petites filles voilées. J’ai dû faire un effort pour les reconnaître. C’était deux de mes élèves. Je leur ai demandé pourquoi elles étaient voilées puisqu’elles ne l’étaient jamais en arrivant à l’école. Elles m’ont répondu qu’elles allaient assister à leur cours d’arabe. »
La scène s’est déroulée dans une cité d’une petite ville au nord de Paris.
On y arrive par le train.
Dès la sortie de la gare, le regard découvre les magasins fermés, les stores baissés et l’impression que l’activité qui subsiste malgré tout a changé de visage : enseignes de restauration rapide, maisons à vendre, boutiques de téléphonie, supérettes bas de gamme, coiffeurs exotiques…
Dans la rue, on croise des groupes de jeunes, maghrébins ou turcs, beaucoup d’Africains aussi, et des jeunes filles voilées.
Cette ville, parmi les plus pauvres de France, compte une cité qui a longtemps défrayé la chronique avant d’être l’objet d’un programme de réhabilitation qui, si elle a changé la forme, n’a rien réglé sur le fond.
C’est dans les écoles de cette cité qu’enseigne Hélène.
« Dans ma classe, il n’y a aucun primo-arrivant, mais les origines sont pour un tiers africaine, un tiers turque et un tiers maghrébine, explique-t-elle. J’ai quelques Picards, souvent issus de familles très défavorisées, des “cas sociaux”, comme ils disent eux-mêmes, et aussi quelques enfants de “gens du voyage” qui se sont sédentarisés. Pour la religion, c’est 90 % de musulmans. En tant qu’institutrice, ce qui m’inquiète au plus haut point, c’est que ces enfants, qui sont tous français, sont de moins en moins capables de comprendre notre langue. »


Et de décrire une cour de récréation scindée en plusieurs groupes, définis non plus par l’ancestrale séparation entre le football, la marelle ou l’élastique, mais par la langue parlée : le turc, l’arabe ou le soninké.
Le français a presque disparu.
Les parents d’élèves, très impliqués, ont d’ailleurs récemment émis le souhait que le compte rendu du conseil de classe, qui leur est adressé, soit désormais rédigé en trois langues.

L’apprentissage du Coran est jugé prioritaire par les parents

Les conséquences sur le niveau scolaire sont dramatiques. « Je passe des heures à leur apprendre à lire, reprend l’institutrice. Ils accusent en moyenne deux années de retard. Et il faudrait ouvrir des créneaux d’enseignement de langues étrangères ? Est-ce qu’ils ont conscience au ministère qu’ici, c’est le français la langue étrangère ? »
Les rapports avec les parents s’en trouvent considérablement compliqués.
« Avant, il y avait toujours une grande soeur ou une voisine pour expliquer à la maman quel était le problème avec l’enfant. Aujourd’hui, on n’a même plus ça. On ne va pas quand

Pour Hélène, aujourd’hui en fin de carrière, c’est l’arrivée des paraboles qui a tout changé.
Les familles, qui regardent les chaînes de télévision de leur pays d’origine, n’entendent presque plus jamais parler notre langue.
« Je dis aux parents : mettez au moins les dessins animés en français », se lamente l’institutrice.
La cité, où la nuit tombe doucement, est plutôt proprette, à l’exception de quelques bâtiments qui n’ont pas été refaits et qui se délitent lentement.
L’oeil exercé observe cependant quelques rassemblements suspects, quelques regards hostiles qui pèsent sur un véhicule inconnu, des commerces, qui n’étaient pas “licites”, récemment vandalisés, et même une voiture de la Bac en maraude, feux éteints.
Hélène désigne du doigt l’immeuble où la scène qui l’a tant marquée s’est produite.
Les deux petites étaient là, occupées à faire griller du maïs sur un barbecue de fortune.

« Elles font comme chez elles, poursuit l’enseignante. Dans l’immeuble lui-même, les appartements sont ouverts, ils communiquent. C’est le village africain. On a quelques familles polygames. Quand les pères sont au pays, les mères s’entraident. Elles ne posent pas de problèmes, d’ailleurs. Elles bossent, les hommes aussi, et tous respectent l’école et les professeurs. »

Les “cours de Coran” évoqués ont lieu en fin de journée, deux heures par jour, cinq fois par semaine, comme une école complémentaire.
La structure n’existe pas à proprement parler — il s’agit d’un ancien garage, d’un appartement privé, de l’arrière-salle d’un restaurant.
Rien d’officiel, mais précisément cette clandestinité rend les pouvoirs publics impuissants.
« Ils peuvent bien annoncer la fermeture d’une “école coranique”, il s’en ouvre une autre cent mètres plus loin huit jours plus tard », commente Hélène.
À l’entendre, c’est inexorable, en tout cas ici, dans une région qui vit naître la dynastie capétienne.
Le problème n’est pas tant que des enfants musulmans apprennent le Coran, mais que cet apprentissage, jugé prioritaire par les parents, empêche des élèves déjà faibles, chez qui le français n’est pas maîtrisé, de faire leurs devoirs le soir, ou d’aller à l’étude et d’acquérir les outils nécessaires à leur intégration future.
Au lieu de cela, ils s’imprègnent d’un matériau qui ne constitue pas un des éléments de base de la citoyenneté française, tant s’en faut.

« Prenez les jeunes filles, insiste Hélène. Les familles n’ont aucune envie de les voir s’instruire. Elles ne maîtriseront pas le français, ne sauront jamais conduire, resteront subordonnées — on le voit bien avec les mamans, dont la signature n’a pas de valeur… »

Et l’institutrice d’évoquer le cas d’une famille pakistanaise dont trois des cinq filles ont suivi un chemin identique.

« À 15 ans, elles repartent passer de très longues “vacances” au pays où leur père, qui n’est pas pauvre, tient un commerce de tissus. Elles en reviennent enceintes et on apprend qu’elles sont mariées ou qu’elles vont l’être. Elles n’ont rien pu y faire et nous non plus. »

À l’encontre du “pas de vagues” qui tient souvent lieu de mot d’ordre, une équipe éducative et sociale a tenté d’intervenir.

L’affaire a pu être portée à la connaissance de la justice, qui a diligenté une enquête.

« C’est terrible à dire, mais ça donne une impression de conquête lente, conclut Hélène en approchant de la gare. Une conquête qui passe par le ventre de ces jeunes filles. »

valeursactuelles  via

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