SOURCE : YAHOO ! FINANCE
Très rentables, les géants mondiaux justifient leurs tarifs par le coût du risque et de l'innovation. Les Etats-Unis l'acceptent, mais l'Europe conteste…
Les labos affichent une profitabilité que n'atteignent que quelques majors du tabac, du luxe ou de la finance, loin devant le taux de profit moyen de 7 % des autres secteurs.
Malgré son fiasco dans la course au vaccin contre le Covid-19, pour Sanofi, l'année 2020 fut prospère. La rentabilité nette tirée de ses activités a passé la barre des 20 % du chiffre d'affaires, et si le groupe supprime des effectifs de chercheurs, il choie ses actionnaires en distribuant 4 milliards d'euros de dividende. Choquant ? En tout cas révélateur du modèle économique des géants pharmaceutiques mondiaux, qui répond plus aux exigences des marchés financiers qu'aux préoccupations de santé publique.
De fait, l'industrie du médicament est super rentable : avec une marge nette de 15 à 25 % (voir graphique ci-contre) ses dix plus grandes multinationales affichent une profitabilité que n'atteignent que quelques majors du tabac, du luxe, des logiciels ou de la finance, loin devant le taux de profit moyen de 7 % des autres secteurs. Eric Baseilhac, directeur des affaires économiques du Leem, l'association des entreprises pharmaceutiques, justifie : « Cette profitabilité est nécessaire pour attirer les investisseurs, alors qu'il faut dix ans et 1,5 milliard d'euros pour sortir un nouveau médicament, avec une chance sur cent d'arriver au bout. » En bref, elle rémunérerait le risque.
Poids du marketingOr, le coût de R&D (15 % du chiffre d'affaires) des Big Pharma, comme on les appelle, n'est pas plus élevé que dans la tech et l'aéronautique, et reste moindre que leurs frais de marketing (25 %). De plus, ces firmes s'appuient largement sur la recherche fondamentale universitaire et reçoivent aussi des aides publiques. En réalité, les Big Pharma ont su maximiser leurs profits en verrouillant leur marché. Ainsi, les industriels ont poussé les gouvernements à instaurer la brevetabilité de leurs technologies, alors que jusque dans les années 1960 les découvertes de la recherche médicale appartenaient au domaine public. « Ils ont plaidé que les brevets de vingt ans étaient le juste moyen de rémunérer l'inventeur et donc d'encourager l'innovation, accuse Olivier Maguet, à Médecins du monde. Sauf qu'en face ce n'est pas comme si les malades étaient des consommateurs qui auraient le libre choix de ne pas prendre le traitement qui peut les soigner ! »
L'eldorado des labos ? Incontestablement les Etats-Unis, où leur lobbying a amené en 2003 les républicains à faire voter une loi obligeant le gouvernement fédéral, qui couvre environ 40 % des Américains via Medicare (seniors) et Medicaid (pauvres), à accepter leurs prix sans discuter. Et les assureurs privés mettent peu de pression. Résultat : les médicaments y sont vendus deux fois plus cher qu'en Europe.
« Les grandes firmes pharmaceutiques réalisent ensemble 36 % de leur chiffre d'affaires aux Etats-Unis, mais y font plus de 65 % de leurs profits », a calculé Jean-Michel Peny, président du cabinet Smart Pharma Consulting.
Prix déconnectésDe ce côté de l'Atlantique, et particulièrement en France, où 80 % des médicaments sont remboursés par la Sécurité sociale, les industriels doivent certes marchander avec les Etats. Mais ils ont réussi à faire accepter l'idée de définir les tarifs des médicaments innovants non en fonction de leurs coûts de développement et fabrication, mais plutôt selon le « service médical rendu », l'efficacité par rapport aux traitements existants.
« Ce mode de fixation des prix, déconnecté des coûts, n'est pratiqué dans aucune autre industrie , proteste l'oncologue Jean-Paul Vernant, administrateur de la Ligue contre le cancer. Est-ce que les fabricants d'airbags font payer leurs produits en fonction du nombre de vies sauvées ? » Le cas du Sovaldi a marqué les esprits : en 2013, Gilead a sorti aux Etats-Unis ce traitement révolutionnaire contre l'hépatite C au prix de 67 000 euros. En France, après négociation, il a été introduit à 41 000 euros, mais à ce prix, la Sécu a dû pour la première fois rationner un traitement. Il a fallu l'arrivée d'un concurrent, en 2016, pour le faire descendre à 25 000 euros et que tous les patients puissent en bénéficier.
Pour Guillaume Dedet, économiste de la santé à l'OCDE, il s'agirait de rééquilibrer les rapports de force : « Les entreprises pharmaceutiques jouent leur intérêt financier, qui les pousse à faire payer de plus en plus cher des produits pas toujours meilleurs et à se focaliser sur les segments les plus “solvables”, comme le cancer, le diabète, le cholestérol… Mais c'est aux Etats de faire valoir les enjeux de santé publique, tels ces pans de recherche peu rentables, abandonnés, comme les maladies infectieuses, les résistances aux antibiotiques. » A voir les gouvernements se concurrencer pour acheter les vaccins anti-Covid plutôt que se coordonner pour contraindre les fabricants à accélérer les cadences de production, ce n'est pas gagné.
Double jeu occidental avec le programme CovaxL'idée est généreuse. Initié par la France et l'Union européenne, sous l'égide de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Covax, monté pendant l'été 2020, est un programme de coordination solidaire visant à assurer un accès équitable aux vaccins contre le Covid-19.
Rassemblant 190 pays, dont l'Union européenne, la Chine (depuis octobre) et les Etats-Unis (depuis janvier), Covax négocie des commandes aux fabricants, qui s'engagent à lui livrer des vaccins à prix quasi-coûtant, garantissant un accès à des pays qui n'auraient pas été en position d'obtenir de tels accords, et finançant l'achat des sérums pour les 92 nations les plus pauvres qui n'auraient pu se les payer.
Objectif : distribuer 2 milliards de doses d'ici à la fin de l'année en Afrique, Asie, Amérique latine. Mais l'exécution est laborieuse.
Certes, l'argent rentre : les 2 milliards de dollars visés par l'OMS en 2020 ont bien été levés, et les 5 milliards pour 2021 sont en vue, alors que les pays du G7 ont annoncé, le 19 février, 4,3 milliards de contributions. Mais les livraisons n'arrivent pas. Car, en parallèle, les pays riches surenchérissent pour préempter les doses, tandis que les fabricants peinent à en produire suffisamment. Les premières campagnes de vaccination Covax n'ont donc commencé que le 1er mars, au compte-gouttes, au Ghana et en Côte d'Ivoire. « Les pays du Nord jouent un jeu hypocrite : ils ont passé des ordres d'achat de 4,6 milliards de doses pour une population de moins de 1 milliard, surpassant leurs besoins, fustige l'économiste François Bourguignon. Du coup, ils créent la pénurie et sapent Covax, qui ne sera pas en mesure de livrer plus de 500 millions de doses cette année aux pays du Sud, où ils sont plus de 6 milliards ! »
Emmanuel Macron, jugeant cette lenteur « intolérable », a bien proposé au G7 de réserver 5 % de ses stocks pour Covax, mais il n'a pas été suivi. Et Paris, comme Berlin, Bruxelles et Washington, n'a pas soutenu la demande des présidents indien et sud-africain, appuyés par 57 pays, d'une renonciation temporaire aux brevets imposée aux sociétés pharmaceutiques (comme en 2001 pour les thérapies du sida), qui permettrait d'utiliser à plein toutes les capacités de production mobilisables dans le monde. Une position pourtant endossée par le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, qualifiant d' « échec moral » l'écart « grotesque » entre l'avancée de la vaccination dans les pays riches et le frein mis sur celle administrée via Covax.
Manifestation pour les vaccins au Pakistan, en janvier. Covax ne peut livrer cette année que 500 millions de doses aux pays du Sud.
(R. Dar/EPA/MaxPPP)
Gaëlle Macke pour challenges
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