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vendredi 23 avril 2021

Le cancer systémique des lobbys LES MONSTRES DÉVOREURS DE DÉMOCRATIES


Le Cancer systémique des Lobbys

Jean-Pierre Marongiu

 En jouant imprudemment avec la boîte à Covid, Emmanuel Macron a mis en lumière les monstres dévoreurs de démocraties qui vivaient sous son lit : les groupes d’intérêts privés.

Lobbyiste est certainement le plus vieux métier du monde.  

Ils existent de tout temps et sous tous les régimes. Qu’on les appelle groupes de pression, visiteurs du soir, chambre des métiers, éminences grises ou mauvais génies, ils ont toujours existé et toujours essayé d’influencer à leurs bénéfices les cercles de pouvoir. Pour les lobbyistes, l’éthique, les lois ou l’opinion publique n’ont pas la préséance sur leur objectif. Il s’agit de faire valoir l’intérêt des groupes privés qu’ils représentent.

Les moyens de pression à leurs dispositions résistent aux époques et sont toujours les mêmes :  la corruption, la prostitution, la coercition.

Les analystes patentés et rémunérés du monde médiatique nous expliquent qu’il convient de différencier lobbying et corruption. Le lobbying tendrait à influencer une décision, et la corruption à contrôler un individu. Cette assertion est des plus hasardeuses sinon hypocrite, tant la limite est ténue. 

 Ne contrôle-t-on pas quelqu’un sous influence ?

« Je n’ai pas de morale. Je vais là où mes intérêts et ceux de mes clients seront le mieux représentés. Je rentre comme je veux au ministère de l’Intérieur et à l’Élysée ».

Thierry Coste, lobbyiste de la ruralité et des armes à feu auprès du président Macron.

L’influence grandissante des lobbys n’est pas une particularité française, c’est un phénomène mondial. Pour autant le vieux continent se taille une part choix au paradis des lobbys. Bruxelles compte plus de 10 000 organisations inscrites au registre officiel des lobbys. Selon Transparency International, 30 000 lobbyistes hantent les couloirs de l’Union dans le seul but d’influencer les décisions politiques, soit deux fois plus que le nombre de fonctionnaires européens. Sans préjuger de la moralité des députés européens, la pression qui est exercée sur ces élus est énorme.

On compte 40 lobbyistes acharnés pour un seul député européen.

« Il faut à un moment ou à un autre poser ce problème sur la table parce que c’est un problème de démocratie : qui a le pouvoir, qui gouverne ? » Nicolas Hulot

Il n’est pas improbable, compte tenu de la confusion sociétale du moment, que les universités délivrassent dans un futur proche des formations diplômantes de lobbyistes.  Après tout, les influenceurs des réseaux sociaux n’ont-ils pas déjà pignon sur rue influençant des millions de suiveurs décérébrés et potentiellement électeurs ?

La problématique en ce qui concerne l’éthique des lobbyistes est la même que celle que pose à une société libérale l’existence de sociétés secrètes en matière de transparence. Que les pratiques des réseaux d’influences, des groupes d’intérêts, des influenceurs, des fraternités corporatistes puissent s’appliquer aux secteurs privés et aux citoyens est sans doute discutable, mais finalement toléré au même titre que la publicité ou l’expertise-conseil.

Pour autant, la cible des lobbyistes, à la différence de celle des influenceurs sur les réseaux sociaux, sont des élus chargés de légiférer dans les domaines de la consommation, de l’industrie, de l’environnement de la santé publique quand ce n’est pas d’attribuer de juteux marchés d’état.

Selon les statistiques de la HATVP (la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique), le gouvernement et le Parlement sont ciblés dans 60 % des actions des représentants d’intérêts et, à l’intérieur du gouvernement, le ministère de l’Environnement se partage également avec celui de l’Économie et des Finances et Matignon (15 % chacun) près de la moitié des influences. Cela constitue une attaque gravissime à la démocratie.

Dans la réalité, l’exécutif est assiégé par les lobbys de tout horizon au point qu’Emmanuel Macron les a intégrés dans son modèle de gouvernance, à moins que ce ne soit l’inverse et qu’il en soit l’émanation. Avant même de lancer une réforme législative, et en amont de la nomination d’un comité Théodule prétendument issu de la société civile, de nombreuses consultations sont tenues mettant en scène les différents lobbys concernés, ceux-là mêmes qui ont initié la réforme en question.

Il ne s’agit plus de s’entourer d’experts ou de spécialistes, ni même de représentants d’associations citoyennes, mais d’émissaires de groupes d’intérêts dont la seule légitimité est le profit d’actionnaires privés.

La résistance morale d’un élu aux chants des sirènes, quel que soit ses attributions européennes, nationales, municipales ou associatives est liée à la temporalité de son mandat et la disproportion des budgets qu’il manipule en regard de ses revenus propres.

On se souvient de la boutade de Donald Trump, expert en la matière, durant la campagne présidentielle américaine : « Qu’ils viennent essayer de me corrompre pour voir ! Je suis plus riche qu’eux ! »

Lorsque leurs mandats politiques s’achèvent ou approchent du terme, les tentations sont à leur zénith. 50% des anciens commissaires européens et 30% des députés rejoignent les lobbys.  

José Manuel Barroso, président de la Commission européenne pendant dix ans, désormais lobbyiste au profit de la banque américaine Goldman Sachs, en est l’exemple le plus décomplexé. En toute objectivité, comment espérer qu’une décision politique soumise à de telles pressions quotidiennes puisse servir l’intérêt général ?

La lutte contre l’évasion fiscale, une des priorités de l’exécutif européen, est un autre exemple édifiant. Selon Corporate Europe Observatory, les consultants mandatés par la Commission européenne pour effectuer des audits financiers –Deloitte, PwC, Ernst & Young et KPMG– sont ceux-là mêmes dont la raison sociale est de conseiller les entreprises en matière de montages fiscaux pour s’affranchir de l’impôt.

Autant demander au conseil scientifique dont les douze membres sont grassement rémunérés par les laboratoires pharmaceutiques de mener la politique sanitaire du pays ou à un ours de surveiller une réserve de miel.

L’aversion française en matière des groupes d’intérêts.

“À rebours du modèle anglo-saxon, la volonté générale française ne résulte pas de l’agrégation des intérêts particuliers, mais constitue plutôt une “sorte d’instinct infaillible du plus grand nombre”.

Jean-Jacques Rousseau

Il existe une particularité française, en ce domaine comme dans d’autres, c’est de vouloir concilier en même temps, la Ve République et les modes opératoires du progressisme d’influence anglo-saxonne.

La constitution française se traduit par une hostilité farouche à l’égard des groupes d’intérêts privés, suspectés d’altérer la bonne marche de la démocratie. À l’opposé, la conception anglo-saxonne préfère encourager l’intervention des lobbyistes au sein de la sphère publique tout en encadrant leurs pratiques.

Dans la réalité macronienne, l’exécutif fait massivement appel aux lobbys pour établir un ordre de marche politique sans réellement encadrer les pratiques et les dérives délictueuses. Ce fut le cas notamment quand il a été question de constituer le conseil scientifique chargé de définir la politique sanitaire de la crise Covid 19.  La totalité des membres composant ce conseil supposément indépendant étant constituée par des personnalités rémunérées par l’industrie pharmaceutique, on peut légitimement s’interroger sur la pertinence de leurs conseils.

     

Depuis juillet 2017, il existe en France un répertoire des représentants d’intérêts, hébergé sur le site de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP).

Créé par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (loi dite « Sapin 2 »), ce répertoire est loin de fournir suffisamment de données précises et exploitables pour être efficace. Pire cette loi est décrite comme une tartufferie par de nombreuses ONG.

  • Pour exemple, si le directeur des relations publiques d’une entreprise ne consacre pas la moitié de son temps à lobbyser, l’entreprise n’est pas tenue à s’enregistrer sur le répertoire ni déclarer le budget inhérent aux actions du lobbying. Il est par ailleurs purement impossible d’évaluer les heures passées en lobbying sur une année.
  • De même, si une entreprise ne réalise pas plus de dix actions de lobbying par an, elle n’est pas tenue de déclarer celles-ci ni de s’inscrire sur le répertoire des représentants d’intérêts.
  • Autre grave lacune de ces lois, à l’heure du débat sur les séparatismes, les cultes ne sont pas concernés. L’influence communautariste religieuse électorale sur les élus peut donc s’exprimer en toute légalité.

L’existence même d’un lobby est de promouvoir les intérêts d’un groupe, ce qui annihile toutes velléités d’informations impartiales. En effet, quand un groupe d’intérêt, quel qu’il soit, s’immisce dans une décision publique, c’est par rapport à des conséquences financières pour ses propres profits, il en est de même pour les associations diverses servant souvent d’alibi à des intérêts dissimulés.

L’infiltration et l’omniprésence des lobbys au sein des corps intermédiaires de la République ont généré une zone grise inaccessible à tout contrôle démocratique.

Les intérêts privés dépensent sans compter en voyages, réceptions et invitations pour tenter de détourner les élus et les fonctionnaires de l’état de l’intérêt général. Le pouvoir politique devient l’otage de groupuscules de l’ombre organisés et aux méthodes illégitimes. Cette confiscation de la démocratie dénature l’action publique dès lors qu’elle sert des intérêts privés.

Les solutions pour concilier le besoin en informations de terrain, en expertise et en conseils scientifiques impartiaux existent. Elles sont du domaine des groupes de réflexions à but non lucratif, les thinktank indépendants dont la seule fonction est d’alimenter le débat public et de contribuer aux diverses commissions législatives. Il est clair que ces groupes de réflexions doivent eux aussi faire l’objet de contrôles afin de s’assurer de leur réelle indépendance par rapport à des intérêts dissimulés.

  • Il convient tout d’abord d’interdire aux élus ainsi que leurs proches conseillers toute activité de lobbying passive ou active en marge de leur mandat. Par ailleurs, les déclarations d’intérêts des élus doivent être scrupuleusement détaillées et contrôlées.
  • Les décideurs politiques doivent être soumis, durant la durée de leur mandant à une interdiction de relations privées avec des représentants de groupe d’intérêts au même titre que des magistrats ne peuvent s’entretenir en privé avec des justiciables.
  • Les nominations croisées et alternatives entre les sphères publiques et le secteur privé doivent être limitées et exceptionnelles.
  • Des périodes de carence doivent être respectées à l’issue des mandats. À l’exemple du Canada où il est impossible pour les ministres et leurs équipes d’exercer une activité de lobbying les cinq ans qui suivent leur engagement public.

“Toute influence est immorale. Influencer quelqu’un c’est lui voler son âme.”

Oscar Wilde : Le Portrait de Dorian Gray

En France, en 2019, seuls 2 200 représentants d’intérêts se sont déclarés auprès de la HATVP. Compte tenu des limitations citées précédemment concernant les lois Sapin 1 et 2, selon Transparency International, ils seraient en réalité plus de 8 000 à écumer les couloirs de l’Assemblée nationale et du Sénat. Soit 13 lobbyistes pour un seul député.

Selon la même ONG, Bruxelles, le siège des principales institutions européennes constituerait une véritable matrice générant une horde de plus de 30 000 lobbyistes se ruant dans les coulisses du pouvoir européen.

Leurs activités occultées par une opacité inquiétante inspirent une méfiance grandissante aux Français, nourris d’une conception légitimiste de l’action politique, et qui ne tolèrent aucun intermédiaire entre le peuple et son gouvernement.

planetes360

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