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vendredi 18 septembre 2020

L’oeil de Marie : en exil, en plein coeur de mon pays déchiré

 

L’oeil de Marie : en exil, en plein coeur de mon pays déchiré

 

Je voudrais vous conter une histoire d’amour, de vie, de partage et de légèreté. 


Je n’y arrive pas. Pourtant, ils sont là pour cela les conteurs, pour nous faire oublier la réalité. Je ne suis donc pas une conteuse. Je suis une femme atterrée.

Car je vois la folie s’emparer de mon peuple, mon joli peuple de France dont je fus si fière : ce peuple de râleurs, de fous furieux, de rebelles si bien chanté par Ferrat.

Je ne le trouve plus et je me recroqueville sur mon bienfaisant terrain, incapable de sortir et d’aller au village. C’est trop dur. Car je les croise, ces gens, qui marchent sous un soleil de feu, dans des rues désertes, à l’abri de tous les virus, et pourtant masqués jusqu’aux yeux. Ils m’oppressent tant que j’ai fait du stock pour ne plus avoir à aller nulle part. Alors je me terre, exilée volontaire, après avoir tant attendu de retrouver mes frères humains durant la terrible période du confinement.

Je ne peux plus y aller car la colère me chauffe le visage quand je les vois passer, terrifiés, et faisant preuve d’un zèle absurde, bien au-delà des recommandations du préfet du coin, pourtant déjà incroyablement exagérées.

Et les gendarmes, désormais dévolus à l’unique surveillance de la population masquée, sillonnent obstinément les rues, masqués eux aussi dans leur véhicule, prêts à jaillir pour punir le fou qui oserait respirer l’air pur, sans le terrible bout de tissu obstruant son nez, sa bouche, sa joie de vivre et et sa liberté.

Est-ce ainsi qu’on enchaîne une population ? Je les vois en haut lieu, ravis, enchantés, euphoriques. C’était juste ça. Il fallait faire jouer ce levier : la peur de la mort, cette peur abjecte qui fait perdre toute capacité à raisonner et qui rend imbécile celui qu’elle envahit. Génial ! Extra ! On va user cette ficelle jusqu’à la corde et quand vraiment, il ne sera plus possible de continuer à faire croire aux gens que ce virus est plus dangereux que la peste, le choléra, la rougeole ou la variole, il sera trop tard. Le pli sera pris. Ils seront ligotés si serrés qu’ils ne pourront plus se révolter. Voilà, je pense, ce que eux pensent.

J’avais pourtant été indignée, quand au plus gros de l’épidémie, notre pays s’est retrouvé sans masques et sans tests. Ils sont là désormais ces masques et ces tests, utilisés à tort et à travers, non plus nous protéger mais pour nous ligoter.

Et jusqu’à ces dernier jours, je ne voyais pas comment nous pourrions nous en sortir. Et j’avais honte, par dessus le marché de ma propre attitude de révoltée certes, mais de révoltée résignée, tétanisée.

Et puis j’ai manqué de fromage. Alors je suis allée au marché : un petit marché de village, sans cohue, en plein air, où la distanciation physique est tout à fait possible mais qui, lui aussi, est devenu lieu interdit sans le masque. Pauvre marché, autrefois joyeux, traversé d’interpellations et de rires. Le voilà ceint de barrières, avec une seule entrée autorisée, et arpenté d’ombres masquées, se hâtant d’un étal à l’autre, sans un regard sur le voisin, l’ami, la connaissance qu’on saluait avant.

J’ai passé l’enceinte, sans masque, et terrifiée d’être sans masque, m’attendant à voir à tout moment les gendarmes me cerner, m’emmener, me punir, comme on punit un enfant qui n’a pas compris sa leçon. Et puis je l’ai vue : mon amie Agnès, marchant fièrement, son cabas au bras, le visage épanoui et libre.

Alors, toutes deux, riant et plaisantant, nous avons fait nos courses. Les gendarmes ne sont pas passés, et autour de nous, personne n’a protesté. Nous avons plutôt remarqué des regards d’envie.

Ensuite, nous sommes allées boire un café au bistrot dont la terrasse, bizarrement, est autorisée aux gens non masqués, alors que la distanciation y est exactement la même qu’au marché.

Nous avons bavardé et nous sommes donné rendez-vous au prochain marché.

Et j’ai un grand espoir : la prochaine fois, nous serons trois, puis quatre, puis dix, puis cent. Jusqu’au moment où nous serons si nombreux qu’il deviendra impossible de punir tout le monde.

Alors nous retrouverons notre dignité d’adultes et de citoyens.

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