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vendredi 13 décembre 2019

"Je vais te donner une bonne raison de nous détester fils de pute" .

 
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"Hier, je suis descendue dans la rue.", récit de Julie Joumier, une jeune fille qui a décidé de manifester contre la réforme des retraites.
 
"14h00 : je rejoins le cortège de la manifestation à Denfert-Rochereau avec mon ami, Pierre.

La marche s'effectue dans le calme, nous marchons jusqu'à la rue Vercingétorix, dans le 14ème, là où plusieurs squares nous entourent.
Aux abords de l'un d'eux, les CRS jettent des gaz lacrymogènes, les gens paniquent, se dispersent, pour se retrouver quelques mètres plus loin.
Nous poursuivons notre marche, toujours sans violence.
Nous nous rendons jusqu'à Porte de Vanves en chantant des hymnes.
Pendant notre avancée les CRS se faufilent parmi nous, nous dépassant par la gauche, par la droite, signe d'une manifestation calme.

15H30 : La marche prenait fin porte de Versailles.
Les CRS bloquent les passages pour sortir de la manifestation.
Ils refusent de nous laisser passer pendant une heure, la « tension » montent, un petit feu de cagette est fait.
Avec mon ami nous parvenons à sortir de ce blocus, les CRS nous fouillent, en nous demandant si nous avons d'éventuelles protections avec nous (masques à gaz, lunettes, casques...)

17H00 : Nous arrivons aux halles où un rassemblement est organisé.
La stratégie étant de se mêler à la foule de personnes présentent sur place, se fondre dans la masse. Un chant commun est lancé sous la canopé pour nous rassembler.
Une partie des manifestants emprunte les escalators pour descendre dans le centre commercial, très vite rejoints par un groupe de CRS.

Les manifestants se dispersent.
Les chants se poursuivent.
Les CRS ne savent que faire, nous sommes entourés de commerces, de touristes et de consommateurs qui se joignent parfois à nous.
Ils finissent cependant par vider le dôme des halles.
Nous partons, nous continuons de chanter en marchant dans les rues environnantes.
Les CRS ne peuvent se permettre d'intervenir étant donné le public qu'il y a autour, aux terrasses des cafés.
Nous marchons sans direction précise, pendant une heure et demi.
Durant notre avancée quelques poubelles sont renversées, mais aucune violence n'est constatée, pas de feux, pas de casses, pas de débordements : juste nos voix.

19H00 : A une intersection, entre Châtelet et Pont Neuf, les CRS divisent le cortège en deux.
La fin de la manifestation est proche.
Nous continuons dans le plus petit cortège, les derniers de celui-ci renversent deux poubelles (toujours sans feu, sans casse).
Nous étions prêt à partir de la manifestation.
Arrivés au bout de cette rue nous prenons à gauche sur le trottoir, quai de la Mégisserie.
A notre droite un groupe d'une trentaine de CRS débarque, de l'autre côté du trottoir.
Il faut qu'on s'échappe.
Nous ne sommes plus qu'une quinzaine.
Nous apercevons une rue à notre gauche, un peu plus loin dans laquelle nous voulons nous rendre pour leur échapper.
Les CRS nous dépassent et nous bloquent devant, derrière.
On est cernés.
Je sens qu’ils vont nous défoncer la gueule.
A ma droite, une barrière qui sépare la route du trottoir, je saute par dessus.
A peine retombée de l'autre côté je reçois un coup de matraque sur le crâne.
Sonnée, je m'arrête net.
Un CRS me compresse contre la barrière, et continue de me donner des coups dans le dos.
Mon ami, me prend par le sac et me fait repasser la barrière, je suis au sol.
Un CRS essaye de lui donner un coup de matraque, qu’il bloque avec son bras.
Le CRS lui attrape alors le col, et lui dit « je vais te donner une bonne raison de nous détester fils de pute » avant de lui donner un coup de point sur la tête.
Il se baisse et se met au dessus de moi, on reçoit des coups de pieds.
Les CRS nous tirent par le bras, et nous bouscule pour nous mettre contre le mur avec les autres.
Je l'entends alors dire : « j'en ai une autre ».
Je relève la tête, j’ai du sang partout sur les mains, ça ne s'arrête pas de couler.
Nous sommes encerclés par les CRS, il n'y a pas d'échappatoire possible.
Les manifestants me font m'asseoir ils commencent à mettre des mouchoirs pour éponger le sang et presser la plaie.
Ils me font m'allonger, ils disent aux CRS d'appeler les secours mais aucun d'entre eux réagis ; un manifestant les appelle assit par terre à côté de moi.
A ce moment là un CRS lui dit de raccrocher, presque rendu au point de lui donner des coups de pied. Le manifestant leur explique pourtant qu'il essaye de contacter les secours.
A ma gauche Amandine, une jeune femme de 22 ans, s'est aussi pris un coup de matraque sur le crâne.
Ses amis paniquent, elle a eu une tumeur au cerveau.
Un CRS équipé de matériel de secours vient vers nous pour nous faire un bandage, il me demande comment ça va, il ajoute : « j'vais pas te cacher que tu vas avoir une bosse. »
Je lui réponds que ça fait mal mais que je préfère la matraque aux LBD.
Les secours arrivent, nous prennent en charge et nous mettent dans le camion.
Nous attendons plus d'une heure sur place, en attendant de savoir dans quel hôpital nous irons.
Je vois arriver un car de gendarmerie vide, j'envoie un message à mon ami, qui est toujours avec les CRS.
Je lui demande si ce car leur est destiné, c'est le cas, ils sont tous interpellés.

21h00 : Les secours nous déposent à l'hôpital de Lariboisière, avec Amandine.
Les autres sont dans le car de la gendarmerie, en attente devant Notre Dame.
Ils ignorent ce qu'il va se passer pour eux.
21h30 : Ils se dirigent vers le commissariat du 5ème.
23h00 : Faute de place ils sont déplacés au commissariat du 15ème.
23h30 : Faute de place ils sont déplacés au commissariat du 17ème.
00h30 : Plus de nouvelles de Pierre.
A l'hôpital, l'attente est longue. J'apprends que les patients qui sont arrivés avant moi ont eu au moins 3 heures d'attentes.
2h30 : Prise en charge, je commence à avoir mal au crâne, aux tempes, à la mâchoire, et aux dents.
Le médecin me désinfecte et me pose des agrafes.
3h30 : Je passe un scanner j'attends les résultats.
8h30 : Je sors de l'hôpital.
Résultats des courses :
J'ai une plaie de 5cm et 4 agrafes sur le crâne.
Amandine a une plaie de 3cm et 5 agrafes sur le crâne.
Et Pierre vient tout juste de sortir de sa garde à vue : il est 20h00."

Cette violence gratuite et ordinaire, c'est un exemple perdu dans l'océan des victimes, anonymes, jamais considérées, très peu médiatisées.

Les reporters en font également les frais, avec un nombre record de journalistes ciblés par des tirs et blessés.

Jusqu'à quand les aficionados de l'autorité et ses bras armés vont-ils trouver des excuses à cette violence dans un pays qui donne des leçons de droits de l'Homme au monde entier ?

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