Le souffle qui surgit du mufle quand le taureau gratte le sol et s’agenouille devant son danseur de mort…
Le héros qui s’avance coiffé de son bicorne, cambré comme une ballerine, dans les broderies et la soie fuchsia…
La poussière qui tournoie dans le soleil, le silence de la peur quand charge la bête, les Olé de la foule…
C’est beau, la corrida, c’est coloré, c’est puissant, c’est sanglant, c’est viril, c’est culturel, c’est outrageusement sensuel… et c’est devenu insupportable !
Le scandale est récurrent qui revient chaque été, quand les arènes s’ouvrent au rituel séculaire. « Barbarie d’un autre âge », disent les détracteurs. « Patrimoine culturel », « héroïsme de l’homme et de la bête » répondent les afficionados. Irréconciliables.
Ce jeudi 15 août se déroulait, dans les arènes de Bayonne, une « corrida goyesque ». Hors le fait que l’adjectif renvoie à l’évidence au peintre Goya, j’ignorais cette spécialité. Wikipédia nous renseigne ainsi : « Une corrida goyesque (de l’espagnol corrida goyesca) est une corrida particulière dans son apparence mais identique dans son déroulement à une corrida “normale”. […] Au cours des corridas goyesques, les toreros utilisent des costumes similaires à ceux en vigueur à l’époque de Goya : les paillettes sont quasiment absentes, les seules décorations étant des broderies ; la taleguilla est ample, et non moulante comme son homologue moderne ; au lieu d’une montera, le torero coiffe un bicorne ; les cheveux (longs) sont retenus par une résille ; le capote de paseo n’existe pas, les toreros défilant en portant le capote de brega sur l’épaule. »
En ce jour de l’Assomption, c’est le torero Daniel Luque qui officiait, faisant face à six taureaux. Tous occis. Et « au terme d’une faena exceptionnelle face à un magnifique toro de Pedraza de Yeltes », nous dit-on, l’homme de l’art, complet quant à lui dans tous ses attributs, est reparti avec quatre oreilles et une queue.
On en resterait là du scandale saisonnier opposant depuis longtemps maintenant pro- et anticorrida si la chose, cette année, ne s’était agrémentée d’un scandale politique.
Assistaient en effet au spectacle deux ministres, et non des moindres, en poste dans l’actuel gouvernement : au premier rang, le nez dans le sable et dans l’odeur du sang, Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Ville, et M. Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture en charge, à ce titre, du bien-être animal.
Ces deux-là sont peut-être amoureux de la corrida ailleurs que dans l’arène politique ; ils peuvent alors y aller incognito, la tête coiffée d’un sombrero, le visage mangé par de grands verres fumés… Mais quand on s’affiche ainsi, à deux, au premier rang, c’est à l’évidence pour un autre dessein.
Pour l’histoire, Bayonne, ville historique, est dirigée par un maire UDI ; et nombreux sont ceux qui voudraient une fusion des listes UDI et LREM pour les municipales qui s’approchent à grands pas… On ratisse jusque dans l’arène.
Sauf que la manœuvre peut se révéler parfaitement contre-productive.
Les amis des bêtes sont nombreux et la corrida leur sort par les trous de nez.
Ainsi la fondation Brigitte-Bardot a-t-elle aussitôt réagi auprès du HuffPost : « Il y a tout juste onze ans nous étions avec Michel Rocard et son épouse, administratrice de la FBB, devant ces arènes de Bayonne pour dénoncer la barbarie de la corrida. C’est absolument scandaleux de voir, en 2019, un ministre de l’Agriculture en charge de la protection animale venir se divertir devant le spectacle d’un animal torturé à mort, comment pourrait-il désormais avoir la moindre crédibilité ? »
D’autant, rappelle la fondation, que le même assurait il y a peu vouloir prendre « des mesures jamais vues en France pour la protection animale ».
« C’est du jamais vu et on touche le fond, là… » conclut la FBB.
« Didier Guillaume est le ministre français de l’Agriculture, pas l’élu du coin qui s’accommode des jeux barbares. »
Allez savoir… peut-être que si, au fond.
Marie Delarue
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