Comme en 2019, le gouvernement se prend les pieds dans le tapis des retraites, y compris sur un chapitre du dossier sur lequel il ne pensait pas rencontrer de résistance réelle : celui du transfert à l’URSSAF – c’est-à-dire à l’État – du prélèvement des cotisations de l’Agirc-Arrco, régime complémentaire des salariés du privé, qui aujourd’hui assume lui-même cette tâche.
Prévue dans le projet de loi pour le financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2020, cette mesure, qui devait à l’origine s’appliquer dès le 1er janvier 2022, a d’abord été repoussée d’un an et n’entrera finalement en vigueur que le 1er janvier 2024 – si elle n’est pas abandonnée. Dans la nuit du 7 au 8 novembre, le Sénat l’a purement et simplement annulée, par 302 voix contre 28 ! Le gouvernement a toujours la ressource de passer en force, en recourant au besoin à l’article 49-3. On peut penser qu’il le fera, mais à un prix politiquement élevé.
Pour justifier ce transfert, l’État invoque la nécessité de simplifier le système et de réaliser des économies d’échelle, mais ces alibis ne résistent pas à l’examen. Comme l’a souligné le député Thibault Bazin (LR), rapporteur d’un amendement déposé le 4 octobre dernier à l’Assemblée nationale, « séparer le recouvrement du service des pensions, c’est prendre le risque de dérèglements sévères dans ce service, au détriment des ressortissants du régime ». Ce risque est d’autant plus élevé que le fonctionnement, par points, de l’Agirc-Arrco ne procède pas de la même logique que celui, par annuités (trimestres cotisés), du régime général (CNAV), dont l’URSSAF prélève déjà les cotisations.
Derrière ces alibis, le but réel de l’État est de prendre la main sur des cotisations qui représentent quelque 87 milliards d’euros par an sans que l’Agirc-Arrco ne puisse exercer de contrôle.
Cette captation suscite des inquiétudes d’autant plus légitimes que les déclarations de responsables gouvernementaux laissent craindre un détournement de ces fonds, à d’autres fins que celles pour lesquelles ils sont prélevés. Au mois de juin dernier, Olivia Grégoire, alors porte-parole du gouvernement, avait déclaré que les économies réalisées à la faveur de la réforme des retraites (report de l’âge de départ à 64 ou 65 ans) pourraient servir à « dégager des marges de manœuvre pour financer le progrès social dans notre pays et un meilleur accompagnement de nos concitoyens » et à « financer les réformes à venir du prochain quinquennat ». Ce qui vaut pour la réforme des retraites vaudra pour le transfert des cotisations de l’Agirc-Arrco : une fois qu’il contrôlera cette manne, l’État, habitué à pratiquer la politique des vases communicants, sera tenté de l’utiliser pour réduire le déficit du régime général ou celui, chronique, des régimes spéciaux du secteur public. Comme le souligne l’association Sauvegarde Retraite, initiatrice au début de l’année 2021 d’une pétition contre ce projet qui avait recueilli des dizaines de milliers de signatures, « ce siphonnage reviendrait à "punir" ceux qui ont consenti le plus d’effort pour que leur régime soit financièrement équilibré ».En effet, le budget de l’Agirc-Arrco est équilibré – comme la loi y oblige ses gestionnaires -, mais ce résultat a eu pour corollaire une baisse sensible du rendement de ce régime depuis 1990. Moyennant quoi, il a pu constituer des réserves, qui se montent à 61 milliards d’euros en 2022 et sur lesquelles l’État jetterait volontiers sa griffe. Pour y parvenir, celui-ci devrait toutefois parvenir à fusionner les régimes, complémentaire et de base, des salariés du privé, c’est-à-dire l’Agirc-Arrco avec la CNAV. Ce projet est dans les tuyaux de Bercy et il pourrait aboutir d’autant plus facilement que l’Agirc-Arrco, volontiers décrite par les « partenaires sociaux » qui sont censés le gérer comme un organisme « privé », est en réalité depuis longtemps sous la tutelle de l’État. Reste à savoir si ses treize millions d’affiliés accepteront d’être les dindons de la farce.
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