Cela fait six mois que les gilets jaunes se font, tous les samedis, gazer, matraquer, traîner sur le sol par les cheveux, mettre à genoux ou en garde à vue, accessoirement éborgner, mutiler, au point que plusieurs instances internationales ont rappelé à l’ordre le gouvernement répressif – démocratique français -, mais ce monde que l’on dit monde de la culture, monde très mondain où l’entre-soi le dispute à la beauté des âmes dans leurs engagements conformes, ce monde opportuniste et frileux n’avait guère soutenu un mouvement dont il était plutôt de bon ton de dire qu’il était d’essence populiste, voire fasciste !
On se souvient, notamment, des déclarations d’Olivier Py, le directeur engagé du Festival d’Avignon (voir Le silence assourdissant du monde de la culture) ou des évocations d’Hitler et Mussolini à propos du RIC, ou de commentaires très virulents de tel comédien connu, ou très embarrassés de tels autres, car le mondain qui veut faire peuple – fût-il artiste et de gauche – est toujours un peu dans ses petits souliers vernis.
Or, voilà que Le Monde et Libération, dits aussi « Le Monde libéré », publient une pétition du monde de la culture (sic) pour soutenir les gilets jaunes et dénoncer les violences qu’ils subissent, sous la forme d’une tribune, « Nous ne sommes pas dupes », portée par le collectif Yellow Submarine.
Il était temps, et la précision est de taille.
Continuer à être dupe face à ce qui crève les yeux – au propre comme au figuré – aurait, en effet, relevé non plus de la niaiserie mais de la sottise simple ou de l’hypocrisie sophistiquée.
Le Monde libéré ne dit pas si la pétition est subventionnée par le ministère de la Culture, mais tant pis, voilà enfin un franc soutien, clair et net !
Et je suis allé aussitôt la signer, malgré les nombreux fragments d’une écriture inclusive la plus horrifiante et illisible qui soit.
Pourtant, la surprise se dissipe vite à la lecture des noms des signataires.
Sur les près de 1.400 noms cités, peu de gens très en vue ; quant aux responsables du théâtre dit public et des scènes dites nationales, ils semblent inexistants !
Pour l’instant, force est de constater que ce monde de la culture là est surtout celui des petits, des obscurs, des sans-grades, qui n’ont ni dotation ni duché culturels, non celui des grands héros médiatiques ou des marquis et femmes savantes du théâtre et de l’art ministériels.
Cette pétition semble opposer soudain un monde de la culture d’en bas à un monde de la culture d’en haut, faisant apparaître combien il est urgent de réparer la fracture !
« Utilisons notre pouvoir, celui des mots, de la parole, de la musique, de l’image, de la pensée, de l’art […] pour soutenir celles et ceux qui luttent dans la rue et sur les ronds-points depuis des mois ! » dit la tribune en question.
À cet appel, il me vient une idée.
Alors que les gilets jaunes envisageaient, ces jours-ci, de revenir sur les ronds-points, le collectif Yellow Submarine, poursuivant son excellente initiative, ne pourrait-il pas appeler le directeur du théâtre du Rond-Point à Paris, lequel pétitionnait, il y a peu, contre les violences policières dans les banlieues, à organiser une nouvelle soirée contre la haine, celle que subissent les gilets jaunes, pour avoir osé exprimer leurs difficultés à vivre, à la face des nantis du système – culturels ou autres ?
Là, dans ce théâtre populaire du VIIIe arrondissement de Paris, se trouveraient enfin réunies, dans une sorte de nuit du 4 août et de l’abolition des privilèges, la culture d’en haut – celle des marquis de l’art ministériel et des médias – et la culture d’en bas – celle des manants qui peuplent ses métiers -, le théâtre du Rond-Point deviendrait le théâtre des ronds-points de France, centre névralgique du mouvement des gilets jaunes.
Un auteur ministériel en résidence, ou associé, pourrait obtenir, via le comité de lecture d’Artcena, une aide à la commande du ministère pour écrire une pièce à leur gloire, et peut-être même que, le soir de la première, le Président et son épouse, dont on sait combien ils aiment le théâtre, seraient dans la salle pour l’applaudir !
Jean-Pierre Pélaez
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