Émeutes. Traitée avec fatalité, l’insécurité ordinaire ne préoccupe plus personne, dénonce le journaliste et écrivain Laurent Obertone.
Hypergentil. « Très intelligent. » « Hyperrespectueux. » « Non violent. » « Pas dans les conflits. » « Respectable. » « Une crème. » « Plus dans la médiation qu’autre chose. »
Aboubakar Fofana, 22 ans, dit “le loup”, connu pour vol avec effraction, menaces de mort, vol en bande organisée, association de malfaiteurs, recel, roule sans ceinture, sous mandat d’arrêt, dans un véhicule signalé.
Il tombe sur un petit contrôle inopiné qui, quoique synonyme de l’oppression policière censée pallier honteusement l’abandon des politiques d’aides dans ce quartier qui vit depuis six mois au rythme des fusillades, se passe très très très bien.
On n’avait sans doute jamais vu un contrôle aussi bien se passer, ni observé un tel degré de courtoisie et d’obtempération depuis l’affaire Théo.
Peut-être bien qu’un flic l’a tutoyé, allez savoir.
Aboubakar tente de se faire passer pour un « autre jeune du quartier », la situation se tend, le délinquant veut redémarrer, le CRS dégaine, il y a lutte, la voiture enclenche une marche arrière, le coup part.
Défense unanime de la victime contre les policiers
« Aboubakar, 22 ans, tué par la police », titre le Parisien (le 4 juillet sur son site).
Malgré la promptitude des hommages et des « pensées qui vont à la famille et aux quartiers », malgré la « solidarité » des Clémentine Autain qui dénoncent les « tensions police-population » tout en cherchant activement les « voies de l’apaisement », malgré ces journalistes qui se précipitent pour donner la parole « aux habitants du quartier qui remettent en cause la version de la police », malgré ces ministres qui promettent « toute la lumière », malgré ces communiqués du Nouveau Parti anticapitaliste qui appellent à « désarmer la police » et cesser de contrôler les « racisés », malgré de nouvelles promesses pour ces « territoires oubliés de la République », « trop longtemps relégués », malgré, on peut en être sûr, des procédures exceptionnelles, la contre-enquête de l’enquête sur l’expertise des deux premières séries d’enquêtes, malgré les appels au calme de la famille, des associations et de l’imam local, malgré tout cela, ce qui devait arriver arriva.
Une guerre civile larvée
L'insécurité est devenue ordinaire
Une présence policière toujours moins nombreuse
Un drame condamné à se reproduire
valeursactuelles
Plusieurs nuits d’émeutes, des centaines de véhicules brûlés, des dizaines de bâtiments dégradés ou détruits par les flammes.
Des dizaines de blessés et d’interpellés, et une balle dans le casque d’un CRS.
Riverains « sous le choc », « désabusés ». « Incompréhension. » « Gâchis. » Etc.
Sale séquence.
Ça va faire le jeu d’on ne sait qui.
Et Jupiter qui patine, face à la « lèpre populiste »…
Heureusement qu’il y a la Coupe du monde, ce grand ajournement des cerveaux.
De quoi limiter les dégâts.
Laisser la riposte médiatique se mettre en place.
« Justice pour Aboubakar ».
Marche blanche.
À chaque fois la même histoire.
Les “mauvaises relations” avec la police.
Les contrôles, le tutoiement, l’absence de dialogue, les jeunes qui se sentent discriminés, le manque de moyens, le recul du nombre d’emplois aidés, etc.
Et personne de rappeler que l’information principale à dégager de tout ça n’est pas l’incident en lui-même, qui sera amené à se répéter infiniment, mais bien cette situation de guerre civile larvée, à laquelle nous sommes si tristement habitués.
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Personne ne s’étonne que “les quartiers” soient solidaires d’un tel individu.
Qu’ils s’embrasent comme un seul homme à la moindre étincelle, parce que ces fichus flics y vont encore.
Plus personne ne s’émeut de la banalité des agressions visant des policiers, mais aussi des pompiers, des médecins et de simples citoyens.
La vérité, c’est que ces événements arrivent de plus en plus souvent.
À chaque soir son incident, à chaque soir son guet-apens, à chaque soir ses affrontements.
Pas un seul “grand média” pour rappeler que de telles guérillas font partie du paysage et n’attendent qu’un prétexte pour avoir lieu.
Du bout des lèvres, l’Inspection générale de la Police nationale reconnaît une « augmentation préoccupante » des conducteurs fuyant les contrôles.
La mansuétude judiciaire le permet.
Comme elle permet cette France Orange mécanique, cette France Guérilla.
Comme elle permet ces morts, ces blessés, ces ruines, cette anarchie.
L’insécurité ordinaire, totalement évacuée du jeu politique, ne préoccupe plus personne.
Elle est traitée par les médias comme une absolue fatalité, comme si elle n’avait aucun rapport avec ce vivre-ensemble que Franceinfo nous vend chaque jour comme l’idéal transcendantal du genre humain.
Surtout ne pas voir que ce laxisme judiciaire, couplé à l’absence totale de politique d’immigration et à l’abondance de politiques socialo-clientélistes, sans parler de notre féroce refus de dire et même de penser la vérité, ne peut que créer de tels isolats de non-droit, des territoires de non-France et une balkanisation inexorable d’un pays au capital social déjà sévèrement effondré.
Faire comme si cette partition était normale.
Faire comme si le traitement médiatique extrêmement bienveillant de la chose était normal.
Faire comme si cette idéologie dont les conséquences nous déchirent était après tout celle de tous les Français. Splendide dissociation.
Les flics, ces pare-feu du réel, sont priés d’endurer les attaques aux cocktails Molotov, les Zad, les rodéos urbains, les manifs ultraviolentes.
Sans la ramener, surtout sans déclencher de nouveaux “troubles”.
Ne pas trop déranger.
Ne pas riposter.
Toujours moins nombreux, toujours plus de pression.
Prière d’accomplir cet impossible qu’on vous demande : maintenir un couvercle d’étain sur le volcan du chaos, sans jamais rien laisser transparaître de vos efforts, sans jamais qu’advienne le moindre débordement.
Oh, pour cette fois ça se terminera tranquillement : c’est l’été, il y a la Coupe du monde.
Quelques dizaines de flics blessés à peine.
Les risques du métier.
Tout juste quelques centaines de millions d’euros de dégâts.
Dans un an, la visite de dix ministres, l’inauguration d’une plaque commémorative “Pour Aboubakar”, la promesse de quelques centaines de millions d’euros supplémentaires.
Une belle médiathèque flambant neuve.
Et ça recommencera.
Ici et ailleurs.
Ça se reproduira, encore et encore, à intervalles de plus en plus courts, avec des conséquences de plus en plus violentes, de plus en plus contagieuses, sur fond de trafic, de gangs, de territoires, bientôt sur fond de terrorisme.
Insensiblement, la France a glissé du cocon de ses rêves à ce climat de guerre civile.
Heureusement, heureusement, qu’il y a la Coupe du monde.
Au diable Nantes.
Au diable Toulouse.
Au diable le réel.
Allez les Bleus !
On est tous ensemble.
Guérilla, le jour où tout s’embrasa, de Laurent Obertone, Ring, 414 pages, 19,95 €.
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