Il y a une dizaine de jours, je rentrais chez moi après une soirée estivale en terrasse, à bord d’un Uber.
Vous avez bien raison de vous en moquer, mais ce n’est pas mon histoire qui est intéressante.
C’est celle du chauffeur franco-malien avec qui je discutais.
Heureusement que cet homme était noir : s’il était né blanc, il aurait été raciste.
Imaginez : il appelait à un retour des Blancs aux commandes du Mali, pour que « [son] peuple ne reste pas comme ça dans la tristesse » et que cessent des pratiques de « république bananière ». C’était avant que l’affaire Benalla ne prenne les proportions qu’on lui connaît.
Le Mali, une république bananière ?
Il s’agirait de définir les termes. Voyons.
Dans une république bananière, les élites appartiennent à une coterie.
Déjà, ça commence par là.
Tous ont fait les mêmes écoles et pensent être les seuls à savoir lire.
C’est normal : un pays plus puissant, qu’ils admirent sottement, les a formés hors-sol.
Ils méprisent leur propre peuple.
Certes, ils organisent des manifestations citoyennes, en caricaturant maladroitement le grand pays qu’ils admirent tant.
Ils font semblant d’aimer les leurs : personne n’est dupe.
Le peuple est maintenu dans la facilité : ce ne sont, pense l’élite, que de grands enfants craintifs et paresseux.
Dans une république bananière, le pouvoir communique peu.
Parfois, à la télévision d’État, le dirigeant, depuis son luxueux palais, accorde de longs entretiens.
Il est entouré de journalistes serviles qui, dans un style précieux et vulgaire, lui posent des questions plates auxquelles il répond longtemps.
C’est que, vue d’une hutte isolée, la parole du chef est rare, donc ciselée ; compliquée, donc intelligente ; démagogique, donc bienveillante.
Très « bananier », aussi : les déguisements.
On voit le chef en costume de grande coupe, mais aussi en militaire, en casque de chantier, en fez.
Il est photogénique.
Il est extraordinaire.
Il crève toujours l’écran.
Dans une république bananière, on va chercher, au fin fond du pays, de braves gens ambitieux et simples que l’on bombarde députés, après des élections indigentes.
Ces élus de fraîche date ne connaissent rien à la politique mais, forts de leur prestige, ils feront tout ce qu’on leur dira.
Vote automatique, silence, soumission : aucune couleuvre ne les rassasie.
Ils aiment trop leur nouveau statut, rutilant et confortable.
Ils mâchent de grands mots rébarbatifs qu’ils ne comprennent pas ; ils jouent aux grandes personnes.
Dans une république bananière, on fait taire les opposants et on attise la haine sociale.
Les pays les plus frustes tranchent nuitamment la gorge de leurs dissidents dans des bacs à ordures mais, pour le tiers-monde évolué, il y a la censure.
Fermeture de comptes Twitter, fichage, lois liberticides d’un côté ; de l’autre, instrumentalisation des origines tribales ou ethniques pour appeler à la haine de tous contre tous ; on favorise certaines communautés au détriment des autres.
La presse applaudit, les centres-villes brûlent, il n’y a plus qu’à regarder.
Enfin, dans une république bananière, il y a une police parallèle.
On y recrute des gros bras au passé trouble, on leur donne des privilèges indécents.
Ils occupent des places imprécises et grandioses (« chargé de ceci », « expert de cela »), dans des domaines pour lesquels d’autres sont déjà nommés.
On leur attribue grades fantoches, cocardes et gyrophares.
Mais ils restent ce qu’ils sont : des nervis sans diplôme, des barbouzes, des favoris.
Je crois que le Mali ne remplit pas toutes ces conditions.
Je pense qu’il peut se relever seul.
C’est, en tout cas, ce que j’ai dit au conducteur de la voiture qui filait sur le périphérique, avec une maestria sans ostentation.
En revanche, cette république bananière indigne, méprisante, peuplée de fatalistes castrés, dirigée par des adolescents fous et des ambitieux stupides, tous ivres d’une gloire qu’ils ne méritent pas, cette république-là, je la connais.
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