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lundi 9 novembre 2015

Calais, le plan secret de Cazeneuve


Le Journal du Dimanche
8 Nov 2015
MARIE- CHRISTINE TABET



Vendredi à Calais, les policiers comptaient et recomptaient. Méthodiquement. Selon nos informations, deux semaines après la dernière visite du ministre de l’Intérieur dans la « Jungle » , les fonctionnaires ont dénombré un peu plus de 4.500 personnes.

Une baisse spectaculaire de 25 % en quelques semaines.
 En octobre, avec près de 6.000 migrants, la fréquentation du camp avait explosé en raison de l’arrivée des Syriens et des Irakiens.
À un mois des régionales, Bernard Cazeneuve a discrètement mis en place, fin octobre, un plan de bataille en deux volets pour vider le camp de Calais.

 Côté face, la méthode douce mais coûteuse.
Le ministre a demandé aux préfets d’ouvrir dans toute la France des « centres d’accueil et d’orient ation » pour permettre aux migrants qui acceptent de renoncer à l’Angleterre « de se reposer et de réfléchir » .
 Des hôtels, des centres de loisirs, des bâtiments inoccupés… ont été réquisitionnés ces derniers jours. Le plus loin possible des côtes anglaises.
 « On a perdu du temps, maintenant on perd de l’argent »
Les « volontaires » n’ont pas besoin d’avoir fait une demande d’asile pour y prétendre.
Des fonctionnaires et des bénévoles sillonnent le camp pour les convaincre de partir.
Vendredi matin, 917 personnes avaient accepté l’offre.
 « C’est une bonne initiative, souligne Pierre Henry, de France terre d’asile. Cela fait des mois que nous demandons ces mises à l’abri et que le gouvernement fait la sourde oreille. Mais aujourd’hui, on agit dans la précipitation. Ces hébergements coûtent à l’État entre 30 et 40 € par jour et par migrant. Avec un peu d’anticipation, on sait faire la même chose pour 21 €.
On a perdu du temps, maintenant on perd de l’argent. »
Mais c’est le second volet du plan Cazeneuve, le côté pile, qui fait grincer des dents.

 Les associations reprochent au ministre de « planquer » des migrants dans les centres de rétention pour gagner du temps et tronquer les chiffres.
Depuis le 21 octobre, les associatifs présents dans les centres de rétention administrative ( CRA) ont vu arriver des « Calaisiens » par dizaines chaque jour.
 La Cimade a calculé que, au cours des quinze derniers jours, 664 migrants en provenance du Pas- de- Calais avaient atterri à raison de 30 à 50 par jour dans les centres de Nîmes, Metz, Vincennes, Toulouse, Rouen- Oissel et Marseille.
Ces structures fermées sont normalement destinées aux étrangers interpellés en France en situation irrégulière avant leur expulsion vers leur pays d’origine.
Ils y sont « retenus » le temps que l’administration obtienne un laissez- passer en bonne et due forme et organise leur retour.
Dans le cas des 664 « Calaisiens » , les associations affirment que 98 % d’entre eux ont été libérés et 2 % seulement éloignés dans un pays européen, notamment en Albanie.
 Et pour cause.
 Plus de 20 % des interpellés étaient Syriens ou inexpulsables en raison de leur nationalité.
 « C’est Ubu et Kafka réunis, persifle un fonctionnaire. On ne peut pas annoncer qu’on va accueillir 30.000 Syriens et mettre ceux qui sont là en rétention. »
 « Il faut faire comprendre qu’on ne passe plus à Calais »
 
Soulé N’Gaide, de l’antenne Forum Réfugiés du centre de rétention de Nîmes, a pourtant constaté que, sur les 120 migrants arrivés au centre entre le 21 octobre et le 3 novembre, il y avait une quarantaine de Syriens.

 « Ils ne comprenaient rien à leur situation. Au bout de cinq jours, le préfet n’a même pas demandé le prolongement de la rétention. Dès qu’ils sont sortis, ils ont repris un train pour Calais. C’est un détournement total de procédure » , raconte- t- il.
 
Lucie Feutrier- Cook, directrice adjointe à l’Ordre de Malte, fait le même constat au centre de Metz, où l’association intervient.
 « On se demande à quoi peut servir ce type d’intervention à part à vider Calais le temps des élections, expliquet- elle.
Nous avions un Syrien qui était paniqué car sa jeune soeur était restée seule dans le camp de Calais.
 Au bout de cinq jours, il est reparti.
Ces gens ne parlent pas le français et très mal l’anglais.
Nous avons dû faire appel à des interprètes. »
Les policiers de Calais commencent eux aussi à ruer dans les brancards.
 La police aux frontières est débordée.

 « Les conditions de travail de nos collègues qui ont parfois à gérer une cinquantaine de gardés à vue sont intenables » , explique Gilles Debove ( SGP- FO).
Un fonctionnaire de la PAF affirme qu’un « quota » de 50 éloignements par jour avait été fixé à la fin du mois d’octobre, avant d’être ramené à 35.

« C’est totalement faux, contestet- on au ministère de l’Intérieur. Nous avons considérablement renforcé les contrôles autour du tunnel, avec 1.100 policiers sur place. Les tentatives d’intrusion sont systématiquement sanctionnées. Il faut faire comprendre qu’on ne passe plus à Calais. »
 
Adeline Hazan, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, s’est saisie du dossier.
Elle a envoyé trois équipes, à Vincennes, à Nîmes et au commissariat de Calais, pour constater les conditions de l’ « opération Calais » .
 « Les cours d’appel saisies ont validé toutes nos procédures, rassure Fabienne Buccio, la préfète du Pasde- Calais. Il n’y a aucune voie de fait. Les étrangers éloignés ont été interpellés car ils avaient commis une infraction, la plupart du temps une intrusion dans le tunnel. »
Intensification après une circulaire de la Place Beauvau
 
Dans une circulaire envoyée à tous les préfets de France le 23 octobre et que le JDD a pu consulter, le directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur avait annoncé clairement les enjeux : « Le doublement récent du nombre de migrants présents à Calais appelle des actions fortes de l’État pour faire diminuer autant que faire se peut avant l’entrée de la période hivernale la population du campement […].

Les effectifs des forces de l’ordre ont été renforcés de manière à assurer la plus grande sécurisation de la frontière britannique […].

La préfète du Pas- de- Calais a été chargée avec le concours de la police aux frontières […] d’intensifier les procédures d’éloignement à l’encontre des étrangers interpellés alors qu’ils tentent de rejoindre illégalement le Royaume- Uni. »

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