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lundi 19 août 2013

L’Egypte peut-elle devenir une nouvelle Syrie ?


Bernard Lugan

Entre le « cancer islamiste » -lire les Frères musulmans-, et « l’apostasie militaire », -lire le général  Abdel Fattah al-Sissi-, l’Egypte se dirige-t-elle vers une guerre civile dont les conséquences seraient telluriques pour toute la sous région ?

Comme je l’ai déjà écrit lors de précédentes analyses, en Egypte, depuis le début du processus révolutionnaire, l’armée est constamment demeurée maîtresse du jeu politique[1]. Elle a laissé la rue évincer le président Moubarak, ce qui lui a permis de remplacer une génération militaire usée par une plus jeune. Puis elle a profité de l’échec politique et économique des Frères musulmans pour recueillir le pouvoir tout en affirmant haut et fort qu’elle souhaitait mettre en place  une transition civile.


Après avoir attendu 80 ans pour enfin accéder au pouvoir, les Frères musulmans l’ont perdu en raison de leur arrogance, oubliant que le 24 mai 2012, lors du premier tour des élections présidentielles, Mohamed Morsi n’avait recueilli que 24,8% des suffrages, quasiment à égalité avec le général Ahmed Chafik ex-Premier ministre de Moubarak (23,7%). Au second tour, Mohamed Morsi qui avait réussi à rallier nombre de modérés l’emporta de justesse, avec un petit score de 51,7%. Face à lui, le général Chafik avait rassemblé sur sa candidature 48% d’électeurs résolument hostiles aux Frères musulmans.   
De plus, ces derniers ne voulurent pas voir qu’entre les législatives du mois de novembre-décembre 2011 et les présidentielles de mai-juin 2012, ils  avaient perdu 50% de leurs suffrages, passant de 10 à 5,7 millions de voix, les « modérés » un moment abusés par leurs promesses s’étant en effet détournés d’eux.

Enfermés dans leurs certitudes et soutenus par les Etats-Unis et le Qatar, ils voulurent malgré tout faire passer en force une Constitution islamiste. Pour y parvenir, le 22 novembre 2012, le président Morsi fit un coup d’Etat en signant un décret l’autorisant à prendre les pleins pouvoirs. Des manifestations énormes se produisirent alors et les Frères musulmans qui ne s’attendaient pas à une telle réaction populaire virent leurs locaux pris d’assaut par la foule et incendiés.
Le 7 décembre 2012, dans un communiqué particulièrement clair, l’armée égyptienne mit en garde le président Morsi, soulignant que les pleins pouvoirs qu’il venait de s’octroyer afin de faire adopter en force une Constitution théocratique, allaient faire emprunter à l’Egypte « un sentier obscur qui déboucherait sur un désastre, ce que nous (l’armée) ne saurions permettre »[2].
La tension atteignit son paroxysme le 30 juin quand plusieurs millions d’Egyptiens descendirent dans la rue pour exiger la démission du président Morsi. C’est dans ce contexte qu’un coup d’Etat militaire eut lieu le 3 juillet.

En réaction, les partisans du président déchu occupèrent deux grandes places du Caire. La période étant celle du ramadan, l’armée laissa faire.
Le 26 juillet se déroula une immense manifestation destinée à donner à l’armée « mandat pour combattre le terrorisme » et pour déloger les partisans du président Morsi qui occupaient l’espace public en terrorisant le voisinage.
L’armée programma alors une intervention graduée mais le 13 août, de très violents affrontements opposèrent pro et anti Morsi. L’exaspération de la majorité des Egyptiens était en effet telle que des milices civiles anti-islamistes commençaient à attaquer les rassemblements pro Morsi. Il fallait donc agir rapidement afin d’éviter une guerre civile.

Le mercredi 14 août, près avoir plusieurs fois sommé les  occupants des places Rabaa al-Adawiya et Nahda de se disperser, la police, soutenue par l’armée intervint avec « vigueur ». Certains occupants n’hésitèrent pas à ouvrir le feu sur les forces de l’ordre qui eurent à déplorer plusieurs morts et blessés ; sans commune mesure toutefois avec les 600 morts  et  les 3000 blessés relevés parmi les  islamistes. Des incidents éclatèrent également dans les principales villes de province.

L’Egypte étant aujourd’hui au bord de la guerre civile, existe t-il un risque d’évolution vers une situation de type algérien ou syrien ?
Il faut bien avoir à l’esprit que quatre grandes différences existent entre ces trois pays :

1) La première  est d’ordre géographique. A l’exception du Delta, l’Egypte n’est peuplée que le long de son étroit cordon alluvial, tout le reste est désert ou oasis facilement contrôlables.

2) À la différence de l’Algérie, il n’y existe pas de vastes zones de montagne propices à la création de maquis.

3) À la différence de la Syrie, il n’y existe pas de zones confessionnelles en damier, car ici, en dehors des 10% de chrétiens coptes mélangés à la population musulmane, tous les Egyptiens sont sunnites.

4) D’éventuels jihadistes ne disposeraient pas de base arrière comme l’est la Turquie pour les révolutionnaires syriens. A l’Ouest, vers la Libye côtière, plusieurs centaines de kilomètres de désert forment tampon. En cas de problème, l’armée égyptienne pourrait facilement intervenir contre d’éventuelles bases libyennes avec le meilleur accueil des populations de Cyrénaïque qui subissent le joug des jihadistes. A l’Est, Israël ne pourra évidemment pas constituer une base jihadiste, quant au confetti de la bande de Gaza, il peut être étranglé en quelques instants. Au sud, le Soudan ne tient pas à être impliqué dans un mouvement incontrôlable.

En cas d’insurrection jihadiste  le sud-ouest pourrait en revanche poser problème avec la zone grise située dans le sud de la Libye et ses prolongements au Tchad et vers la RCA et le Nigeria. Nous en revenons ainsi à la question sahélienne dont j’ai longuement parlé dans de précédentes analyses.
 
Après la parenthèse révolutionnaire, l’Egypte est donc revenue à la situation antérieure qui est celle de la loi d’urgence, comme entre 1981 et 2012. L’armée a de plus « l’habitude » de réprimer les Frères musulmans ; elle le fit sans états d’âme sous Nasser quand plusieurs dizaines d’entre eux furent pendus en place publique, puis dans les années 1990, quand près de 100 000 furent internés. Aujourd’hui, confortée par les sondages indiquant que la population soutient son action à 82%, l’armée ne peut plus reculer : il lui faut écraser les Frères musulmans ou bien perdre la partie.
Dans ce contexte, l’agitation des chefs d’Etat européens parait tout à la fois décalée et dérisoire. Quant à leurs menaces de sanctions, elles sont tout simplement ridicules. L’armée égyptienne peut en effet compter sur l’aide financière illimitée de l’Arabie saoudite et des Emirats qui viennent d’ouvrir au général Abdel Fattah al-Sissi une première ligne de crédit sans intérêt équivalent à dix années d’aide américaine… A travers le soutien à l’armée égyptienne, les pétromonarchies règlent un double compte, à la fois contre les Frères musulmans qui ont juré leur perte, et contre le Qatar, leur principal allié. Comme la grenouille de la fable, ce dernier, qui a voulu se faire aussi gros que le bœuf a fini par indisposer le grand frère saoudien par son interventionnisme brouillon et ses appétits démesurés.

Pour une étude à la fois globale et détaillée du printemps arabe en Afrique du Nord, je conseille la lecture de mon nouveau livre « Printemps arabe. Histoire d’une tragique illusion (Egypte, Libye, Tunisie, Algérie, Maroc, 2010-2013). Ce livre édité par l’Afrique réelle n’est pas en vente dans le commerce. Le  bon de commande figure sur ce blog.

Bernard Lugan
17/08/2013


[1] Voir notamment mon analyse en date du 30 juin 2013.
[2] Voir le dossier Afrique réelle du mois d’août 2013.


http://bernardlugan.blogspot.fr/

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