Retard au Bataclan, manque de moyens et de reconnaissance, opérations “off” pour le privé…
En dévoilant les dessous de cette unité aussi discrète que spectaculaire, la journaliste Laurence Beneux dresse aussi le constat édifiant de la police d’aujourd’hui.
« C’est à cause de l’interdiction, inexpliquée, d’intervenir rapidement au Bataclan, imposée à la BI que vous devez de lire ce livre. Les autres problèmes auxquels ces policiers sont confrontés n’auraient pas suffi à les faire sortir de leur réserve s’il n’y avait eu ces délais imposés durant les attentats. C’est la goutte d’eau qui a décidé certains policiers à sortir de ce silence très ancré dans la culture policière. Malgré les risques de rétorsion auxquels ils s’exposent de la part de leur hiérarchie. »
Dans son nouvel ouvrage « BI : Brigade d’intervention » (éditions Le Cherche Midi), sorti le 23 janvier dernier, la journaliste d’investigation Laurence Beneux dévoile pour la première fois les coulisses de cette brigade d’élite ultraconfidentielle et révèle témoignages à l’appui les dessous de leurs exploits comme de leurs ressentiments.
Un tableau édifiant de la police d’aujourd’hui qui promet de faire du bruit.
Le 13 novembre 2015, au soir, alors que des explosions retentissent au Stade de France, les six policiers de la Brigade d’intervention présents dans la capitale mettent dix minutes pour rallier leur base et s’équiper.
Prêts à décoller, ils sont contraints d’attendre et d’obéir aux ordres de leur hiérarchie.
Pendant ce temps, les fusillades s’enchaînent, sur les terrasses et au Bataclan.
Nouvel appel à l’état-major, nouveau refus.
Les opérateurs perdent patience.
Il leur faudrait pourtant cinq minutes pour rejoindre la salle de concert !
Mais rien n’y fait.
En attendant le feu vert officiel, la capitaine décide toutefois d’envoyer ses hommes au QG de la Brigade de recherche et d’intervention de la préfecture de police de Paris (BRI-PP), au 36, quai des Orfèvres, qui forme avec la BI le cœur de la Brigade anticommando.
Malgré trois quarts d’heure de retard forcé, les voilà partis pour mener l’opération d’une vie.
Celle de tous les dangers.
La blessure du Bataclan
Dans son livre, Laurence Beneux décrit avec détails la progression de la colonne d’assaut, qui investit le Bataclan, où les terroristes poursuivent leur massacre, quand un policier lance « je vous aime tous » à ses collègues prêts au sacrifice ultime. Un opérateur raconte : « Il y a des morts partout et on n’y voit rien. On marche sur des gens qui sont à moitié morts. Il y a des hurlements. Je commence à monter les escaliers, j’y vois rien, c’est l’enfer. »
Des images d’horreur qui marquent à jamais. « Et demeure cette question lancinante : y aurait-il eu moins de morts si on avait laissé venir tout de suite les six tireurs d’élite équipés de la Brigade d’intervention, qui se trouvaient à cinq minutes de là ? Y aurait-il eu moins de blessés ? Moins de vies brisées… ? » demande l’auteur.
Une chose est sûre, lui confie un agent : « Le temps perdu pour partir au Bataclan, on ne le pardonnera jamais. »
Une blessure toujours ouverte.
Encore aujourd’hui, les raisons de ce retard coupable restent inconnues.
« Il y a par contre un consensus chez tous les opérateurs d’intervention que j’ai entendus, écrit Laurence Beneux. Tous pensent que les commissaires des grosses sections, les directeurs, sont souvent des politiciens carriéristes, qui ont “le bras long” et qui se préoccupent d’image bien avant de se préoccuper de la sécurité des gens. »
La journaliste d’investigation précise aussi que « c’est leur état-major, encore, qui a renvoyé à leurs rédacteurs des rapports qu’on avait amputés des lignes mentionnant cette attente contrainte, parce qu’il n’était pas “utile” de préciser ces détails ».
D’ailleurs, « des membres de l’enquête parlementaire ont rendu visite à la Brigade d’intervention, mais elle n’est pas citée spécifiquement dans le rapport d’enquête ».
Plus tard, les autorités feront même miroiter aux héros une éventuelle Légion d’honneur avant de la leur refuser.
Missions « appui-feu » au service du Président
Dévoués et passionnés, la quarantaine de policiers de la BI souffrent d’un manque cruel de reconnaissance depuis la création, en 1998, de leur service qui dépend de la Direction de l’ordre public et de la circulation de la Préfecture de police de Paris.
Inconnus de leurs compatriotes, ils forment pourtant une unité aussi discrète que spectaculaire, composée d’agents surentraînés, triés sur le volet et dotés de compétences physiques et techniques de haut niveau (tir, escalade, combat).
Parmi leurs spécialités : la protection des personnalités depuis les « points hauts » par des tireurs d’élite le long de cortèges officiels ou lors de grands événements sportifs par exemple ; la « corde » ou varappe, pratiquée par tous et indispensable pour aller décrocher des banderoles inaccessibles ou récupérer des militants extrémistes, comme sur la Tour Eiffel ; mais aussi la sécurisation des anciennes carrières sous-terraines, souvent périlleuses, de la capitale.
En plus de ces missions opérationnelles « historiques », la Brigade d’intervention assiste aussi régulièrement des unités de police judiciaire, notamment au cours d’interpellations risquées ou de grande envergure.
« Les flics de la BI savent faire ces deux choses : former des colonnes d’assaut et faire de l’effraction. Autrement dit, lors des missions d’assistance, il s’agit d’entrer, de “péter les portes”, de sécuriser les lieux, et surtout d’interpeller les mecs », résume un ancien cadre.
Depuis septembre 2018, la BI est même chargée de missions « appui-feu » au service du Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), consistant à renforcer la protection des déplacements du chef de l’État en Ile-de-France. «
Ils sont chargés de s’interposer en cas d’attaque contre le président ses hôtes, et de permettre leur exfiltration », explique Laurence Beneux.
Cinq agents d’astreinte sont alors mobilisables 24h/24.
« C’est le tollé à la brigade »
Avant le Bataclan, la Brigade d’intervention était déjà sollicitée face à la menace terroriste, en janvier 2015, au moment de l’attaque sanglante contre la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo.
Elle participe alors, au sein de la Force d’intervention de la Police nationale, à la traque des suspects islamistes, aux côtés de la BRI-PP et du RAID, fouillant des villages du nord-est parisien, puis prenant d’assaut par la porte latérale le magasin Hyper Cacher, porte de Vincennes, où se retranche le preneur d’otages, Amedy Coulibaly.
Ses opérateurs, qui font exploser la porte, retranchés derrière leur gros bouclier Ramsès, évitent alors, à une minute près, les tirs croisés, trop occupés à dégager l’ouverture obstruée par des cartons et des palettes, raconte Laurence Beneux.
Après l’opération, les policiers apprendront tout de même avoir échappé miraculeusement à des balles au milieu du chaos.
Puis, c’est la déception, encore une fois.
« Le soir, on est rentrés, et personne n’est venu nous voir ; notre hiérarchie était ailleurs », déplore un agent.
Seul un de ses camarades, blessé au genou, a ainsi droit à la visite des hauts gradés.
Plus incroyable, des opérateurs d’astreinte, qui n’ont pourtant pas dormi depuis 72 heures, sont même rappelés le week-end suivant pour contrôler des invités du chef de l’État !
« C’est le tollé à la brigade », raconte Laurence Beneux.
« La direction insiste. Il faut quatre policiers d’astreinte, en civil, pour sécuriser le déplacement présidentiel. Les membres de la Brigade d’intervention n’iront finalement pas sur la mission, mais “le simple fait qu’on ait pu nous donner cet ordre montre bien le peu de considération qu’on nous porte”, commente Tristan », un membre de la BI.
Au moins la brigade et ses troupes sont-elles félicitées et décorées de la médaille de la sécurité intérieure or.
Trois ans plus tard, lors du lancement des missions « appui-feu GSPR », énième mesquinerie.
La direction accepte d’acheter trois véhicules à la Brigade mais refuse d’investir dans leur blindage, contraintes budgétaires oblige !
« Vous savez comment on appelle une voiture non blindée sur laquelle on tire ? Un cercueil… », lâche un agent.
La sécurité et l’efficacité ne sont pas des priorités pour la hiérarchie, malgré la dangerosité des opérations menées par la BI.
Aussi la résignation le dispute à l’amertume.
« Nous ne sommes pas respectés, nous sommes des numéros, nous ne comptons pas », ajoute un policier.
« Alors, les membres de la BI ont commencé à réfléchir à la façon dont ils pourraient déshabiller les portières pour y insérer de vieux gilets balistiques et de vieux boucliers d’assaut afin de tenter de doter les trois Multivan de la mission d’un minimum de blindage », écrit Laurence Beneux. Surréaliste.
Des opérations « off » et « en dessous des radars »
« Être policier à la Brigade d’intervention, c’est accepter une vie de famille perturbée par des horaires imprévisibles, des prises de risque que l’on minore à la maison pour n’affoler personne, et une considération de sa direction loin d’être à la mesure des efforts consentis », résume la journaliste.
Face aux épreuves, la solidarité au sein de cette petite famille permet donc de resserrer les liens.
A la BI, 100 % masculine, on préfère d’ailleurs la bise à la poignée de mains virile.
Et de la solidarité, il en faut pour résister à la gestion autoritaire de l’administration, au manque de moyens et de reconnaissance, aux frictions avec la BRI-PP.
« De nombreux policiers de terrain accusent leurs hautes hiérarchies d’être trop souvent des politiciens préoccupés par leur carrière et leur image, avant d’être des membres des forces de l’ordre », écrit Laurence Beneux.
Un ancien cadre regrette même une brigade « sous-utilisée et martyrisée par sa direction ».
Ce livre est un pavé dans la mare.
Il dévoile non seulement la face cachée de ces héros du quotidien en manque de notoriété, mais illustre aussi et surtout le constat inquiétant d’une unité de police aux abois et qui a peur pour son avenir, à l’image du malaise général des forces de l’ordre.
Rien d’étonnant donc à ce que les agents de la BI soutiennent les Gilets jaunes, dont ils ont durant des mois encadré les manifestations dans le plus grand secret.
« Comme 60 % des Français, je suis derrière eux… », avoue l’un d’eux.
Enfin, l’ouvrage recèle son lot de révélations, comme l’existence d’opérations « off » et « en dessous des radars », où des opérateurs sont mobilisés pour sécuriser des événements privés.
Des agents de la Brigade d’intervention, en tenue d’assaut noire et lourdement armés, ont même assisté une société de sécurité israélienne dans le transport de bijoux jusqu’à un hôtel de la place Vendôme et escorté la cargaison précieuse d’un homme d’affaires russe !
" Il sont qu'à m'embaucher et je règle le problème d'état d'âme de ses messieurs en manque de reconnaissance . Se mettre au service des cons vous fait complice de leurs crimes " Cordialement KC
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