Notre contributeur François Teutsch était à Rouen, le jeudi 26 septembre
La ville de Rouen s’est réveillée, jeudi 26 septembre, sous un épais nuage de fumée noire, et dans une épouvantable odeur d’hydrocarbures brûlés, qui a rappelé aux plus anciens l’incendie des docks de pétrole en juin 1940.
Tous les coteaux situés au nord de la ville, les communes de Canteleu, Deville, Mont-Saint-Aignan, Bois-Guillaume et bien d’autre encore ont subi, durant toute la journée, émanations nauséabondes et dépôts de suie noire.
Plus au nord-est, les particules en suspension se sont déposées partout : dans les champs, les pâturages et les forêts ; sur les cours d’eau et les étangs ; sur les toits et les terrasses ; au milieu des jardins et des potagers.
Des milliers d’hectares, jusqu’à la Picardie voisine, ont subi cette pollution.
En cause, l’usine Lubrizol, bien connue des Rouennais.
Située sur la rive gauche de la Seine, elle fabrique des additifs pour hydrocarbures.
Construite en 1954 dans une zone isolée, elle est désormais très proche du cœur de l’agglomération, à 500 mètres à peine des quais reconquis par les commerces et les immeubles de bureaux.
Classée Seveso, elle est aussi redoutée que connue.
En 2013 déjà, une fuite de Mercaptan avait répandu jusqu’au sud de l’Angleterre une odeur méphitique d’œuf pourri.
Appartenant à un groupe américain dans lequel le milliardaire Warren Buffett possède une importante participation, elle inquiète depuis des années une population sensibilisée à la pollution de l’air.
Les causes de l’incendie sont inconnues à ce jour.
La communication préfectorale est un modèle du genre.
Au milieu de quelques conseils pour attardés mentaux (éviter les déplacements, ne pas ramasser les suies à main, etc.), les rares informations concrètes ont été marquées par une grande prudence. Et le ministre de l’Intérieur, en déclarant que les fumées ne faisaient courir aucun risque sanitaire à la population, a provoqué une suspicion immédiate et prévisible.
Quant à la ville de Rouen, elle ressemblait à une cité morte : commerces et entreprises fermés, rues désertes, et quelques rares passants souvent équipés d’un masque ou d’un mouchoir.
En réalité, le centre-ville a peu souffert des fumées que l’altitude et le vent poussaient vers les plateaux nord.
« Cela devait arriver » est sans doute la réflexion la plus entendue, ce jeudi.
La zone industrielle et portuaire comporte de nombreuses entreprises chimiques et pétrochimiques, liées à la présence d’un important port maritime.
Mais, plus que des réactions de panique, c’est le doute face à une communication très rassurante qui dominait.
Les Rouennais, manifestement, n’ont pas cru un mot des propos lénifiants assenés par la préfecture, sans doute plus préoccupée d’éviter des départs en masse que d’informer honnêtement la population. Le soir venu, les habitants de la rive droite ont pu constater les nombreux dépôts de suie que la pluie a contribué à nettoyer pour une part.
Les conséquences de cet accident industriel seront connues dans toute leur ampleur dans quelques années.
Au lendemain de l’incendie, ce que l’on sait n’est pas rassurant.
Le site officiel de la préfecture demande aux éleveurs de nourrir leur animaux avec du fourrage d’hiver, aux cultivateurs de ne pas récolter, aux maraîchers de ne pas commercialiser leurs produits. La Seine-Maritime est une terre agricole fertile, et le nord du département une région d’élevage réputée pour ses fromages.
Quant aux particuliers, ils ne savent pas comment nettoyer leurs jardins.
Mais le pire reste sans doute à venir : les nappes phréatiques sont et seront polluées pour de longs mois, la Seine a reçu des millions de litres d’eau souillée qui, déjà, ont atteint la Manche ; la production agricole est sans doute gâtée pour partie.
Et les conséquences pour la santé apparaîtront plus tard.
Même dépourvues de toxicité aiguë, les fumées ont un potentiel cancérigène incontestable.
Mais officiellement, tout va bien.
Suite dans quelques mois…
François Teutsch
Est-ce vraiment un accident, et seulement un accident?
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