Un article d’Entrepreneurs pour la France
Il faut supprimer les régimes spéciaux qui n’ont d’autre raison d’être que d’assurer le maintien de privilèges égoïstes, mais laisser vivre les régimes qui se sont constitués librement et sans rien demander à la collectivité.
Il y a régime spécial et régime spécial.
À trois jours d’intervalle, voici la grève de la RATP, puis la manifestation des indépendants contre la réforme du régime des retraites.
Alliés objectifs peut-être, mais situations radicalement opposées.
D’un côté le personnel de la RATP, disposant d’avantages exorbitants, et dont l’équilibre des pensions de retraite nécessite à hauteur de presque 60 % une subvention de l’État (donc des contribuables dans leur ensemble), de l’autre les indépendants, dont les caisses de retraite disposent de réserves confortables qui se verraient confisquées dans le cadre prévu de la réforme alors que leurs cotisations bondiraient (par exemple un doublement pour la moitié des 70 000 avocats). Insupportable et inique évidemment, ou comment les cigales mettent la main sur les provisions des fourmis.
Mais ce n’est cependant pas si simple…
Au final l’unification des régimes ne devrait pas inclure les régimes des Indépendants.
RATP : Les avantages exorbitants du personnel
L’ampleur de la grève de la RATP, qui rappelle celle de 1995, paraît avoir surpris les observateurs. Pourtant, rien d’étonnant.
À gros perdant, grosse protestation.
Qu’on en juge du statut du personnel de la RATP : la retraite à moins de 57 ans en moyenne (même si la réforme de 2010 ajouter deux années en 2024…), de 52 à 55 ans pour les « roulants », 60 ans et huit mois pour les administratifs, 3700 euros de pension en moyenne1, calculée sur les six derniers mois de travail, un régime de décote pour interruption de carrière particulièrement avantageux, des cotisations qui ne couvrent que 41 % des dépenses avec un rapport actifs/retraités inférieur à un si l’on compte les réversions, les 59 % restants (plus de 700 millions par an) étant couverts par une subvention étatique d’équilibre à la charge de l’ensemble des contribuables… qui dit mieux ?
Au fait, pourquoi dans les métros de Lyon et de Marseille les personnels n’ont-ils pas bougé ?
C’est simple : l’exploitant du métro de Lyon est Kéolis, un opérateur sous délégation de service public, mais qui est privé, (filiale de la SNCF pour 70 % et de la Caisse des dépôts du Québec pour 30 %), dont le personnel est soumis au droit commun du régime général.
À Marseille, la RTM est une régie dont le personnel ne jouit pas d’avantages comparables à ceux accordés par le statut du personnel de la RATP.
La conclusion va de soi : statut spécial (très) privilégié + grosses pertes à prévoir + pouvoir maximum de nuisance (ne l’oublions pas !) + historique éloquent (cf. notamment 1995 et la reculade d’Alain Juppé) = certitude de grosses agitations.
Privilèges et égalité Le gouvernement met en avant le besoin de justice sociale -solidarité et égalité- en clamant qu’un euro cotisé doit donner lieu aux droits égaux pour tous. Mais ça ne marche pas comme ça.
Le combat contre les inégalités n’est audible en France que s’il ne fonctionne que dans le sens de l’amélioration de la situation de ceux qui ont moins, pas dans le sens inverse du nivellement par le bas.
C’est ainsi qu’il faut interpréter le discours de Philippe Martinez selon lequel les employés de la RATP « ne sont pas des privilégiés ».
La CGT a toujours rétorqué à ceux qui critiquaient les privilèges des fonctionnaires par rapport au secteur privé, que c’est l’insuffisance des avantages du secteur privé qui était anormal, pas les avantages du secteur public.
Ben voyons !
Donc tout le monde à la retraite à 55 ans (pénibilité mise à part, voir plus loin)2.
Il est bien entendu hors de question que la réforme fonctionne dans le sens d’une élévation du niveau général des retraites à celui du personnel de la RATP, et il est donc certain que ce dernier a très gros à perdre, ne serait-ce que, comme le Premier ministre l’a rappelé, parce qu’un allongement de la période d’activité est inéluctable.
Les syndicats avancent un calcul de 30 % de perte !
Irrecevabilité de l’argument de la pénibilité à la RATP
Pour justifier de leurs avantages, les employés de la RATP arguent de la pénibilité de leur travail : horaires décalés, travail le week-end et souterrain.
Énormément de professions sont dans le même cas et ont un travail plus pénible, notamment physiquement, effectué dans le bruit et le froid (travaux publics par exemple) sans avoir droit aux mêmes avantages.
Et la prétendue pénibilité à la RATP a aussi diminué avec le temps, comme dans beaucoup d’autres métiers : depuis longtemps il n’y a plus de poinçonneurs aux Lilas occupés à faire des p’tits trous.
D’autre part, est-il justifié que la compensation de la pénibilité, en plus d’être prise en compte pendant la période d’activité, le soit aussi dans le système des retraites à une époque de la vie où toute pénibilité a disparu ?
En tout état de cause, plusieurs régimes spéciaux actuels répondent par des départs anticipés à la retraite systématiques, sans que cela soit corrélé à une exposition calculée individuellement.
C’est évidemment le cas à la RATP, et le projet de réforme actuel tend à remédier à juste titre à cette situation.
Les Indépendants sacrifiés
La comparaison est frappante avec les régimes autonomes des Indépendants.
Ces derniers ne demandent rien à la collectivité, plus encore ils reversent au régime général, par exemple 80 millions pour les avocats.
Ils ont accepté d’augmenter leurs cotisations et de rogner sur leurs prestations, et ainsi accumulé par leur bonne gestion des excédents, qu’ils considèrent comme leur trésor de guerre.
La réforme prévoit d’abord que leurs cotisations retraite (les Indépendants paient 100 % de ces cotisations, n’ayant pas d’employeurs), passeront à 28,12 % de leur revenu annuel, ce qui signifie un doublement !
Au-delà de 40 000 euros pour les avocats, le taux n’est plus que de 12,94 %, mais les représentants nationaux des barreaux estiment que plus de 50 % des avocats, qui sont une profession relativement pauvre au niveau national, seront concernés.
Non content de vouloir imposer cette révolution au niveau des cotisations, le gouvernement annonce que la réforme va faire main basse sur les excédents accumulés des caisses de retraite, qui sont de 28 milliards au total des régimes autonomes (2 milliards pour les avocats, 3 milliards pour les infirmiers, 7 milliards pour les médecins, 4 milliards pour les pilotes, les PNC étant aussi concernés) !
C’est impensable, et, rapproché avec le régime de la RATP, fait immanquablement penser à la fable de la cigale et de la fourmi, excepté qu’ici ce sont les fourmis qui n’auront plus qu’à danser pendant que les salariés mangeront les provisions qu’elles auront accumulées3.
Rien n’est simple, cependant
Pour la RATP, le problème est connu depuis longtemps… sauf qu’il ne se pose pas dans les termes auxquels on pouvait s’attendre.
Un rapport datant de 2008, rédigé par Bertrand Aubran au nom de la commission des finances du Sénat, met en exergue le déclin démographique du personnel de la RATP.
Alors que les actifs sont prévus pour rester stables autour de 44 000 employés, les retraités passeraient de 42 000 en 2007 à 50 000 en 2025, soit un rapport actifs/retraités passant de 1,03 à 0,84 % (le rapport est de 1,7 au niveau national en 2018).
Déjà en 2008 la subvention d’équilibre est égale à 52 % des ressources de la caisse des retraites (CRPTATP, crée en 2006), elle est en 2019 de 59 %.
Le rapporteur avait vu juste.
In limine, le rapporteur de 2008 a tenu à rappeler que « le versement d’une subvention d’équilibre par l’État trouve son origine dans le principe de solidarité de la Nation à l’égard des régimes en déclin démographique. À ce titre, le soutien de la collectivité nationale ne saurait être remis en cause car il conditionne la perception des droits à pension des retraités ».
Voilà qui rend très ardue la solution du problème.
On a gagné sur les dépenses du personnel actif (cf. le poinçonneur des Lilas), mais la diminution des actifs fait perdre sur le financement des retraites et en général sur celui de la protection sociale ; le phénomène est universel.
Il ne saurait être question de faire peser sur les retraités actuels et futurs les conséquences du déclin démographique à la RATP.
Excepté quand même que le rapport actifs/retraités, et donc le déficit de la CRPRATP, sont très influencés par l’âge de départ à la retraite, très avancé à la RATP, ce qui constitue un privilège injustifié comme nous l’avons vu.
Le rapporteur du Sénat occulte complètement ce fait.
Chez les avocats, le montant moyen de la retraite est 2130 euros et l’âge moyen de départ à la retraite se situe à 65 ans.
Soulignons encore que, comme le précise la Cour des comptes, l’avancement de l’âge de la retraite ne se justifie pas par une espérance de vie plus courte, puisqu’elle est de 22 ans à 60 ans comme dans les autres régimes des IEG et de la SNCF de même, à très peu de choses près, que dans la population française en général.
Le rapporteur rappelait que la création en 2006 de la CRPRATP s’était accompagnée de la promesse d’adossement au régime général, mais que la négociation avec la CNAV n’avait pas pu aboutir.
Il recommandait de remettre d’urgence cet adossement à l’ordre du jour.
Nous voici onze ans plus tard, rien n’a été fait, et il faut féliciter le gouvernement d’aller encore plus loin en voulant supprimer les régimes spéciaux.
Mais que cela va être difficile !
Pour les régimes autonomes des Indépendants, on nous dit de ne pas paniquer : la mise en application sera très progressive et prendra quinze ans à compter de 2025.
L’argument ne vaut rien.
Allons-nous être incités à nous lancer dans une carrière qui nous promet la paupérisation à moins de la moitié de notre carrière ?
Croit-on les Français prêts à un comportement d’autruche se cachant la tête dans le sable ?
Où est la justice dans tout cela ?
On peut quand même s’étonner que 18 mois de négociations et d’élaboration du projet de réforme n’aient abouti à rien et que surgissent maintenant ces problèmes non résolus qui ne peuvent mener qu’à grèves et manifestations.
Quelle erreur de méthode !
Il ne reste plus qu’à reprendre les efforts de pédagogie de quasiment zéro.
L’unification de tous les régimes ne se justifie pas
Une remarque semble s’imposer cependant : pourquoi donc vouloir à tout prix soumettre les Indépendants au même régime que les salariés ??
Les Indépendants sont dans une situation foncièrement différente des salariés à tous points de vue, avec ses avantages et ses inconvénients, ils se sont organisés depuis longtemps (1930 pour les avocats, donc avant la création de la Sécurité sociale universelle), ne coûtent rien à la collectivité et ne demandent rien.
Vouloir les coucher dans le lit de Procuste de l’universalité au nom d’une illusion d’égalité parfaite n’a pas de sens, et n’est que la marque d’un jacobinisme technocratique exacerbé qui fait fi de la liberté des individus et des bienfaits de la concurrence.
Alors, oui il faut savoir distinguer, et supprimer les régimes spéciaux qui n’ont d’autre raison d’être que d’assurer le maintien de privilèges égoïstes, mais laisser vivre les régimes qui se sont constitués librement et sans rien demander à la collectivité.
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Sur le web
- Chiffre de la Cour des comptes pour une carrière complète. ↩
- Il y a bien entendu dans cette théorie une exception, c’est celle des « riches », pour lesquels il serait juste de faire fonctionner la règle dans le sens du nivellement vers le bas. Le hic, c’est la définition des riches. « Je prends tout » au-delà de quatre millions de francs disait Marchais, de 360 000 euros annuels de revenus par part dit Mélenchon, de 200 millions de fortune dit Piketty. Mais à quoi cela servira-t-il ? Les riches ne sont pas assez nombreux, et c’est la classe moyenne qui trinque, car c’est elle qui paye le plus pour les privilèges des gagnants comme le personnel de la RATP dans la mesure où le déficit de ses caisses de retraite est couvert par des subventions d’équilibre provenant du budget de l’État donc de l’ensemble des contribuables. ↩
- On n’insistera pas dans le cadre de cet article sur les effets désastreux des mesures sur l’incitation à s’engager dans les professions concernées. C’est particulièrement crucial dans le cas du phénomène de désertification médicale qui touche les campagnes françaises, les médecins libéraux tendant à disparaître au profit des médecins salariés aux 35 heures. Cette tendance ne pourrait que devenir systématique au grand dam des malades. ↩
Vu sur contrepoints
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