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mercredi 11 mai 2016

Que fête-t-on, Monsieur le Président ?!

Verdun1
 
 
Que fête-t-on à Verdun, Monsieur le Président ? Ses 306.000 tués ? Ses 406.000 blessés ? Que fête-t-on, Monsieur le Président ? Ses 700.000 vies brisées ? Ses centaines de milliers d’enfants laissés orphelins par la guerre, Français et Allemands ? Que fête-t-on, Monsieur le Président ?
 
Ses milliers de veuves ?
Ces villages qui comptaient le nombre de leurs morts, ces femmes auxquelles on venait annoncer qu’il ne reviendrait pas ?
Ces gars qui, blessés, hurlaient entre les lignes la nuit, à quelques mètres de leurs camarades ?
 Ces mois passées dans la boue, la peur au ventre, parfois pour ces quelques mètres perdus le lendemain ?
 Ces charges sous les tirs des mitrailleuses et sous les obus ? 
 Qu’avez-vous donc encore trouvé à y fêter, Monsieur le Président ?!
 
 Est-ce que, Monsieur le Président, « sur la route » de nos pères, sur la route des tirailleurs sénégalais entre autres, « il y a eu du move, oui, de l’aventure dans l’movie, une vie de roots » ?!
 
Que votre quinquennat s’enfonce dans la plus grande déroute que la Vème République ait peut-être connu, que tout l’or que vous touchiez se transforme en plomb, qu’il n’y ait pas eu en plus d’un demi-siècle de président plus impopulaire que vous, que votre légitimité populaire soit nulle à ce jour, que votre majorité s’abîme dans la division publique, que « vos ça va mieux » exaspèrent le peuple, c’est encore transitoire.
 
Mais vous n’avez pas le droit d’emporter Verdun dans votre naufrage.

 
Ainsi le rappeur Black M sera tête d’affiche du concert de commémoration de la bataille de Verdun le 29 mai prochain – la seule date officielle – comme l’a dévoilé le Secrétaire d’Etat aux anciens combattants hier.
 Pourquoi un concert ? 
Pourquoi une fête ?
 Pourquoi Black M ?
 Pourquoi tête d’affiche ?
 Un concert, cela peut s’envisager.
 Certes.
Il peut y en avoir de magnifiques et même improvisés.
 Personne n’a oublié Rostropovitch au pied du Mur de Berlin.
Vous me direz que Rostropovitch, c’est élitiste et que, depuis que l’on a abandonné l’idée d’élever les hommes, d’élever les âmes, par l’art et par la beauté, cela ne se fait plus.
Permettez-moi de penser tout de même qu’entre Rostropovitch et Black M, il y avait de la marge.
Il y a des concerts dignes, il y a des concerts festifs : tout l’enjeu est de savoir discerner les circonstances appropriées.
Ce discernement élémentaire vous manque-t-il, à vous, à vos conseillers, à votre ministre ?!

Ce n’est pas la Fête de la musique, Monsieur le Président, c’est la bataille de Verdun.
Ce n’est pas la Fête de la musique, Monsieur le Président, c’est la bataille de Verdun, un symbole national, une bataille dans laquelle toutes les familles de France ont perdu un proche.
 Un sol dans lequel reposent encore des ossements non identifiés.
Ils vibreront avec les basses.
 Black M n’a pas fait mystère de l’esprit dans lequel il se rend à ce concert.
 Oh, certes pas trop de mauvais esprit.
Pas comme lorsqu’il chantait, avec Sexion d’Assaut – oui, comme les SA – que la France était un pays de « kuffars »1, même s’il laisse planer le mystère sur les titres de Sexion d’Assaut qu’il pourrait reprendre.
 Juste une absence d’esprit.
 Pourquoi a-t-il accepté de participer à cette commémoration ?
 « C’est de la scène, et c’est quelque chose que j’aime énormément alors je réponds présent. Tout simplement. »
 Pas le moindre mot sur l’objet de la commémoration.
 C’est un show comme un autre.
 C’est même l’occasion de faire la promo de son nouvel album.
Et « si le public est chaud, on donnera tout. »
 
 Il faut juste espérer que l’on n’évoque pas trop le calvaire des centaines de milliers de combattants, et les 700.000 vies brisées, pour ne pas trop nuire à l’ambiance.
 
 A ses détracteurs, Black M répond : « Je les invite à venir me voir, qu’ils aiment ou pas ma musique, on va s’amuser. »
 
 On ne le lui reprochera pas nécessairement – quoiqu’il ne serait pas moins respectueux à son égard de ne pas désespérer de lui – c’est bien ceux qui l’ont choisi et ont choisi d’organiser un concert festif et Black M comme tête d’affiche qui sont responsables.
 
Vous êtes président, et vous n’êtes qu’un symptôme.
Parce que vous, parce que notre époque, parce que nous sommes englués dans un festivisme absurde, grotesque, même la commémoration centenaire de la bataille de Verdun doit conduire à « s’amuser« .
Bien sûr, le ministre nous dit que ces commémorations sont orientées vers la jeunesse.
C’est vrai que c’est pesant, le centenaire d’une bataille au cours de laquelle on penserait trop à ceux qui y sont morts.
 Alors nos commémorations s’orientent toujours « vers la jeunesse« .
Mais elle n’est pas forcément ce que vous croyez, la jeunesse, elle n’est pas uniforme, Monsieur le Président.
 Elle est capable de dignité, elle est capable de grandeur, cette jeunesse et, dans la période actuelle, nous en avons un besoin vital.
 
 Ceci aussi est manifestement passé au-dessus de votre tête, de celle de vos conseillers et ministres.
 
Vous insultez jusqu’à la jeunesse des quartiers en pensant qu’elle est incapable de comprendre que l’on ne danse pas sur des tombes.
 Et si d’aventure, elle ne le percevait pas spontanément, on aurait attendu de vous que vous le lui appreniez.
 
Renoncez, il n’est pas trop tard.
 
 Pour le principe et pour l’honneur, évidemment, mais l’on hésite à en parler encore.
Pour éviter le ridicule, au minimum.
Parce que, fidèle à votre talent, vous êtes parvenus à faire d’une commémoration qui aurait dû rassembler, une nouvelle occasion de division du pays – décidément tout ce que vous aurez réussi dans ce quinquennat.
 
 Parce que de fait, il n’y a qu’un centenaire par siècle, il serait bon d’être à la hauteur.
 
A défaut, que sur place les Français en général, que les Lorrains en particulier, eux qui gardent vive la mémoire de cette épreuve nationale, que la jeunesse, montrent qu’ils ont gardé vivant aussi le sens de la dignité, du respect des morts et de leur sacrifice, que si le pouvoir a perdu ce sens commun, le peuple l’a encore.
 
Qu’il tourne le dos à ce concert, qu’il laisse la place vide.

  1. terme dépréciatif utilisé pour désigner les non-croyants, les mécréants, les infidèles

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