Migrants faisant la queue pour monter à bord d'un ferry à Lesbos, Grèce, le 6 novembre 2015 Crédits photo : Marko Drobnjakovic/AP
FIGAROVOX/TRIBUNE - Alexis Théas estime que la Commission encourage un appel d'air aux migrants : au lieu de traiter la question, elle accroîtrait le problème pour se poser en rempart ultime face aux Etats.
Alexis Théas est universitaire, juriste, et spécialiste de l'immigration.
«Au total trois millions de personnes supplémentaires devraient arriver dans l'Union européenne» de 2015 à 2017, révèle aujourd'hui la Commission européenne, dans son rapport de prévisions économiques.
Selon elle, l'impact de cette arrivée devrait être «faible mais positif».
Les mots utilisés sont ambigus.
Chaque année, depuis vingt ans, le chiffre des entrées de nouveaux migrants publié par Eurostat fait état de bien plus d'un million de ressortissants non communautaires qui s'installent dans l'Union européenne: 1.455.953 en 2010, 1.399.934 en 2011, 1.170.665 en 2012.
La nouvelle annonce de Bruxelles semble ainsi paradoxale.
Les arrivées massives de migrants clandestins en Europe, en plus du flux habituel, sans aucun précédent historique, étant évaluées à un million en 2015, (250 000 pour le seul mois d'octobre) comment une baisse globale de l'immigration pourrait-elle se concevoir pour les années 2015, 2016 et 2017?
La clef du mystère réside probablement dans le mot «supplémentaire».
Les trois millions de migrants «supplémentaires» en trois ans annoncés par le rapport publié ce jour, sont probablement à comprendre comme «en supplément» du flux habituel, normal.
Dès lors, on observerait, à compter de 2015, un quasi doublement du flux migratoire sur l'Europe qui avoisinerait, dans cette hypothèse, deux à deux millions et demi chaque année en incluant toutes les formes d'immigration: des chiffres considérables.
Le plus surprenant est le ton sur lequel cette annonce est faite: comme un événement banal, sans grande conséquence, sinon qu'il serait plutôt positif pour l'économie européenne...
La Commission a fait de l'accélération de l'immigration sur le continent européen l'un de ses objectifs depuis longtemps.
Le 3 juin 2003, déja, dans une communication sur l'immigration, l'intégration et l'emploi, elle déclarait «les flux d'immigration vont continuer à s'accroître et seront plus que jamais nécessaires.»
La Commission se déclarait attachée au droit d'asile, à l'accueil en Europe des victimes de persécutions qu'elle a favorisé à travers de nombreux règlements et directives.
Pourtant, jusqu'alors, Bruxelles tenait un discours équilibré, souhaitant une hausse de l'immigration régulière et un respect scrupuleux du droit d'asile, mais acceptant le principe de la lutte implacable contre l'immigration clandestine.
En 2015, un spectaculaire basculement idéologique est intervenu.
Depuis l'été 2015, le verrou a sauté.
Les distinctions classiques se sont effacées.
Tout est désormais confondu: immigration légale destinée au travail ou à une vie familiale, réfugiés fuyant les persécutions, et immigration illégale, par voie maritime, aérienne, routière, qui jusqu'alors devait être farouchement combattue.
Les flux de personnes sont désormais englobés sous le vocable de «migrants» et considérés sans nuance comme un bienfait que l'Europe doit accepter sinon favoriser, pour des raisons multiples, démographiques, économiques, civilisationnelles - favoriser la diversité - morales et humanitaires.
Les barrières ont été levées.
Sous l'impulsion de la Commission, l'Europe a renoncé à contrôler ses frontières, à reconduire dans leur pays d'origine les migrants clandestins.
«Il est temps de faire preuve d'humanité et de dignité» a proclamé le président de la Commission M. Juncker le 9 septembre 2015 devant le Parlement européen, en plaine harmonie avec la chancelière allemande Mme Merkel, en appelant à une large ouverture de l'Europe.
Un gigantesque appel d'air a été ainsi déclenché, dont nul ne voit quand et comment il pourrait prendre fin ou se ralentir.
Pourquoi cette soudaine conversion de l'Europe officielle, jusqu'alors prudente, à un accueil désormais massif et inconditionnel?
Il faut y voir d'abord un aveu d'impuissance.
Puisque ces événements nous échappent, feignons de nous en féliciter!
En outre, la presse, les médias, les lobbies humanitaires, certains milieux patronaux, exercent une pression constante sur les hauts responsables européens et les bureaux pour les convaincre du devoir d'ouverture généralisé et de sa nécessité sur le plan économique et démographique.
L'ouverture inconditionnelle fait désormais partie d'une stratégie de la Commission.
Quand M. Juncker exigeait des Européens qu'ils se répartissent les migrants par quotas, il était dans une logique de pouvoir.
La Commission est en quête d'un nouveau rôle, absolument décisif, s'attribuant un pouvoir colossal, sans équivalent historique, celui de plate-forme de répartition des populations sur tout le continent.
Alors que le marché unique est achevé, elle tente ainsi de se replacer au cœur du processus de décision européen.
Enfin, à long terme, dans une Europe en crise, l'acceptation voire l'encouragement de mouvements considérables de populations vers le vieux continent sont vécus comme un levier de relance du rêve européen: puisque les passions nationales ne s'effacent pas d'elles-mêmes, les flux migratoires massifs, grâce à l'arrivée de nouvelles cultures, nouveaux modes de vie en Europe, vont contribuer peu à peu à l'effacement des vieux réflexes nationaux au profit d'un homme nouveau, vierge, propice à l'émergence d'une culture européenne multiple et fondée sur la diversité.
Dans le même texte du 3 juin 2003, la Commission en appelait à «un engagement clair à promouvoir des sociétés pluralistes.»
Les Palais bruxellois sont à des années-lumières des enjeux concrets engendrés par la hausse brutale de l'immigration en Europe: la prolifération partout sur le continent des squats et bidonvilles, à l'image de la Jungle de Calais, le drame des banlieues ghettoïsés, les taux de chômage gigantesques d'une partie de la population issue de l'immigration, les coûts sociaux comme l'aide médicale d'Etat (AME) d'un milliard d'euros par an en France pour les migrants clandestins, les phénomènes de désintégration, de chaos, de repli identitaire et religieux, les risques de violences liées aux difficultés de l'intégration dans le contexte de flux migratoire que les sociétés européennes sont dans l'incapacité absolue d'intégrer, surtout sur leur marché du travail.
Face à la perspective d'une sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne, des vives tensions qui ont frappé l'Europe centrale et orientale, en particulier la Hongrie, la Slovénie, l'Autriche, la construction de barrière de fils de fer barbelé entre les Etats, le recours aux armée pour contenir les migrants, les soubresauts incohérents, erratiques et inquiétants de l'Allemagne, la montée fulgurante du racisme et du vote d'extrême droite dans toute l'Europe, la Commission pourrait s'inquiéter du spectacle tragique et affligeant de cette Europe politique en pleine implosion sous l'impact des migrations qu'elle ne cesse d'encourager.
Ce n'est pas du tout le cas. Elle est aujourd'hui dans la stratégie du pire.
La Commission pense consciemment ou inconsciemment tirer son épingle du jeu d'une Europe en plein chaos, dont les gouvernements nationaux sont totalement désemparés, se voyant ainsi en ultime recours sur les ruines du vieux continent.
Le pari est risqué...
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