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31 juillet 2015, Donetsk. La ville est encore calme, écrasée pourtant par la chaleur, les pluies sont loin déjà, le soleil darde de tous ses rayons dans le ciel.
Sur le perron de l’Université technique de Donetsk m’attendent souriant plusieurs personnalités.
Ils me conduisent le long d’un impressionnant corridor auprès du doyen de l’Université.
Les portraits des dizaines d’ingénieurs et professeurs qui ont fait la gloire de ce lieu de savoir s’étirent sans fin.
Ils étaient l’élite de l’Union soviétique, ils restent alignés, exemple permanent pour les centaines d’étudiants qui tous les jours passent sous leurs regards figés et sévères.
Ils sont l’histoire des différentes phases de l’industrialisation du Donbass, de Donetsk.
Je suis reçu comme une sommité, une longue explication historique m’attend.
Entre deux commentaires, deux narrations, l’homme parle alors du ciel voilé par les bombardements.
C’était l’an dernier, plusieurs obus frappent de plein fouet l’université, des employés sont fauchés, il y a des morts.
Un bruit assourdissant retentit dans la ville.
C’était une bombe à sous-munitions me dit-il.
Ces armes sont interdites par la Convention de Genève, une arme terrible m’explique-t-il.
C’est une longue fusée plus haute qu’un homme, elle est composée de plusieurs étages, chacun d’eux se détachent lors de l’explosion, elle se déroule en plein ciel.
Chacune des « boîtes » recèle en son sein des centaines de sous-munitions.
Elle s’éparpille alors au sol pulvérisant plus bas tout ce qui se présente.
La surface atteinte est impressionnante, un kilomètre carré, le double, cet engin de mort est une invention diabolique.
Les Ukrainiens ont tiré quelques-uns de ces projectiles interdits, directement sur Donetsk.
En bas, il n’y avait aucun objectif militaire, simplement des civils, des magasins, des lieux d’habitations.
Son récit fait froid dans le dos, surtout lorsqu’il évoque immédiatement après l’impact, le ciel voilé, la pénombre étrange et incongrue.
Devant la folie des hommes, même le soleil se voile, le Soleil Noir de Donetsk.
Il n’y aura pourtant aucun média français ou européen pour relater ce bombardement de l’été 2014.
Un président ukrainien fêté en Europe comme un héros qui massacre la population du Donbass…
quelle importance, les vies des millions de gens qui sont ici n’ont aucune valeur, ils ne sont pas dans la sphère de Charlie.
C’est ainsi que je m’en retourne dans mon petit chez moi donetskien.
Dans la nuit, comme si notre conversation avait amené ce bombardement, les tirs me réveillent.
Les impacts sont sporadiques mais constant, pendant 12 heures environ, d’une heure du matin jusqu’à 13 ou 14 heures, ils continueront.
Les bruits tonitruants des obus de différents calibres qui frappent les positions des Républicains ou les abords de la ville ou d’autres localités proches sont parfaitement audibles.
C’est déjà une habitude, mais les tirs sont plus persistants et je possède de longue date un sommeil léger.
Je ferai une bonne sentinelle à n’en pas douter.
La journée se passe, je m’endors d’un profond sommeil, j’aurais eu le temps de visionner une bonne part de la fresque magnifique du Don paisible, un chef d’œuvre de la littérature et du cinéma soviétique (1957-1958 pour le film).
Mais le scénario recommence, vers 1 h 30, les tirs reprennent.
Je tends l’oreille et me place sur le balcon.
Je n’ai pas de visibilité là où je me trouve, un autre immeuble fait face au mien, des arbres dont les feuilles bruissent sous un vent assez fort comblent l’espace entre les deux bâtiments.
Je filme, ma caméra ne peut rien percevoir, mais il reste le son.
Je resterais 26 minutes à écouter, je compte les impacts, la lune qui est pleine nous domine, mais sa lueur semble bien pâlotte.
Un, deux, trois, dix, vingt-cinq finalement je m’arrêterais à 38 impacts.
Je rentre dans l’appartement, le son des explosions est hélas presque imperceptible dans la vidéo, le vent trop fort dans les arbres aura « mangé » les détonations.
Je persiste pourtant, je suis allongé sur mon lit, le deuxième essai dure cinq minutes.
Je compte, il y aura 12 impacts, j’apprendrai plus tard que des centaines d’obus auront été tirés par les Ukrainiens dans ces deux nuits.
Une nouvelle nuit commence, nous sommes le 2 août 2015.
Dans ce moment entre chiens et loups, les tirs s’animent, il s’agit d’armes automatiques, de petits et gros calibres.
La nuit promet à nouveau d’être chaude pour les hommes sur le front, et les civils dans les zones les plus menacées.
J’ai une pensée pour eux, si les tirs semblent frapper des positions à seulement quelques kilomètres, je suis dans la sécurité relative du centre-ville.
Je n’ai pour ma part presque rien à craindre, des hommes courageux, là-bas dans les tranchées et les bunkers veillent à ma sécurité et celle des habitants du Donbass.
En France, il est à parier qu’aucune ligne n’aura été écrite sur les nuits particulières que vivent les populations du Donbass.
Pour moi ce sont les premières, mais pour eux, pour les enfants, elles se comptent déjà par dizaines, par centaines.
C’est un sale travail que font ici les Ukrainiens.
Et dans le confort de leurs fauteuils, quelques politiciens, sénateurs et députés se gargarisent de l’agression russe.
J’aimerais en ces instants avoir le pouvoir de les faire emmener pour qu’ils dorment une nuit dans un poste des soldats de la République.
Alors peut-être, eux et les journalistes qui les servent, ne parleraient plus jamais de l’agression imaginaire de l’Armée russe.
« La croix (de la Légion d’Honneur) cela se gagne conscrit, mais c’est l’affaire d’une seule et unique chance, un général, un colonel, un drapeau, une pièce de canon, et hop, tu sautes dessus et tu auras la croix ».
Ainsi s’exprimait ou à peu près le sergent Pinto dans le roman Histoire d’un Conscrit de 1813.
Ces politiciens-là portent eux aussi la croix prestigieuse, mais ils n’ont jamais rien réalisé d’autre pour la France que de dépenser beaucoup de salives, d’agiter les bras dans tous les sens pour des causes dites nobles mais en oubliant qu’ici le Soleil Noir des bombardements tue chaque jour, inlassablement et que dans leur incompétence, ils ont participé à cela.
Le ruban de la Légion d’Honneur est rouge, comme le sang, mais désormais pas celui versé par eux, celui qu’ils font couler.
Le soir ou à l’occasion de quelque fête ou cocktail, ils peuvent s’attendrir sur leurs brillants enfants ayant passé avec brio brevet des collèges ou baccalauréat.
Ici, il en va tout autrement, la France n’a pas jugé bon de maintenir ses contacts avec les universités locales.
Qui sont ces gens qui quémandent le savoir des universités, qu’ils meurent en silence et qu’ils nous laissent nos médailles !
Laurent Brayard
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