Jean-Pierre Mocky est un paradoxe. Il aura eu la particularité d’occuper une place impossible dans le cinéma français. Celle d’en être à la fois la marge et le centre, d’en être la nature même et sa critique radicale en même temps. Il aura en effet, après des débuts où il accompagne le renouvellement générationnel et formel de celui-ci, réalisé une œuvre qui semblait s’inscrire au cœur de ce qui faisait alors la cinématographie populaire nationale, soit un cinéma privilégiant la comédie loufoque avec ses vedettes immarcescibles, soit le récit policier romantique. En fait, il s’agit peut-être du seul cinéaste français qui soit tout à la fois totalement un cinéaste de genre, tout autant que l’auteur d’une œuvre unique, échappant à toute catégorie existante. Un film de Mocky ne ressemble finalement à rien sinon à un film de Mocky.
Son film le plus fou reste « Les ballets écarlates » avec un synopsis simple. Quelque part en province, on prépare une partie fine avec des enfants. Un réseau de notables, bien organisés et bien discrets. Un des enfants, Eric, parvient à fuir la soirée de débauche. Il se réfugie dans les bois chez une jeune garde forestière. La jeune femme garde un lourd secrêt. Son enfant a disparu depuis deux ans et malgré ses efforts aucune piste n’a menée jusqu’à lui. Apprivoisant Eric qu’elle finit par faire parler, elle remonte la filière, détruit le réseau de notables pédophiles avec l’aide d’un armurier, ami de son mari, enfermé dans un asile suite au choc de la disparition de son fils.
Avec « Les ballets écarlates », Jean-pierre Mocky s’attaque à l’un des sujets les plus douloureux de notre société : la pédophilie. Si le cinéaste a déjà traité ce thème (Noir Comme Le Souvenir et Le Témoin), il l’aborde ici de manière abrupte et violente. Entre militantisme forcené et dénonciation agressive, Les ballets écarlates s’impose comme le film le plus éprouvant jamais réalisé par Mocky.
A l’origine du scénario, l’enlèvement de la petite fille d’un journaliste de France Info. Libérée trois jours plus tard, la fillette traumatisée n’a pas prononcé un mot depuis des mois. « La presse s’empare de ces crimes, mais elle parle moins des jeunes victimes de rapt qui reviennent à la maison », explique le réalisateur. D’où l’intrigue des ballets écarlates.
Le film n’est pas sorti au cinéma et est sorti directement en DVD dans la collection Mocky éditée par PATHE le 25/04/07.
Laissons Mocky s’expliquer à ce sujet (repris de l’entretien accordé au site DVDRAMA en septembre 2006) :
« Il a été interdit par la censure, ce qui est rare de nos jours. Il devait sortir à l’époque où on brûlait des bagnoles. J’en ai profité pour aller voir Renaud Donnedieu de Vabres en lui disant: «moi, si vous me faîtes chier, avec mon copain du Monde, on va faire un scandale dans le journal». Mon film c’est du Douglas Sirk, un mélo sur une mère qui cherche son enfant; enfin, c’est Les deux orphelines. Sauf que cette mère découvre brusquement un réseau de pédophiles en province où il y a un député, un juge, pas de curé cette fois-ci. Elle démantelait le truc. La police ne peut pas l’aider parce qu’on ne peut pas toucher à ces gens-là. Résultat, elle prend une mitraillette et les abat tous à la fin. Prétexte de l’interdiction: incitation à la violence et au meurtre. On me réplique que si toutes les mères dont les enfants ont été violés tuaient les responsables à la mitraillette, ce serait quand même très grave. Au départ donc, ils l’ont interdit; ensuite, ils l’ont autorisé après ma visite et les chantages. En plus, je révélais une chose très importante sur les réseaux. Aujourd’hui, on parle des dix ou quinze enfants qui ont disparu définitivement et été tué par des sadiques, ça, c’est des cas cliniques. Par contre, des réseaux pédophiles, il y en a autant que vous voulez en France et ils enculent des enfants à tour de bras. On en retrouve 100000 enfants qui sont violés et rentrent à la maison le soir. Un journaliste comme vous avait une petite fille de neuf ans et il est venu me voir un jour en pleurant parce qu’il avait abandonné sa petite fille dans la voiture le temps d’aller poster une lettre. Quand il est revenu, il n’y avait plus de petite fille, plus de voiture. On l’a retrouvée trois jours après. Et depuis trois ans, elle ne bouge pas, elle reste prostrée. Ce film, je l’ai fait en souvenir de cette petite fille. J’ai pensé que tout le monde serait ému. En plus, j’ai donné l’argent aux enfants. Je n’en ai pas fait un commerce comme on fait parfois avec des films sur les camps de concentration. Les mecs, ils empochent les caisses et ne versent pas d’argent aux victimes du génocide. C’est comme ça que j’ai eu l’appui de sociétés caritatives qui s’occupent d’enfants qui reviennent traumatisés. Et là-dessus, on me l’interdit. Pathé qui sont mes amis l’avaient inscrit dans leur convention de septembre dernier et il a été resucré. Il y a une sorte de cabale. »
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