C'était un des grands arguments de vente de la guerre économique menée contre la Russie par l'Union européenne : ne plus être dépendant sur le plan énergétique.
La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, l’avait expliqué dans son discours sur l’état de l’Union en septembre dernier : « Nous avons diversifié notre approvisionnement pour nous affranchir de la Russie et nous nous sommes tournés vers des fournisseurs fiables. Les États-Unis, la Norvège, l'Algérie et d'autres. »
Grâce à cette politique, il ne faisait pas de doute que nous allions parvenir à « assurer notre sécurité d'approvisionnement ».
Parmi ces « fournisseurs fiables » qui allaient donc nous aider à nous débarrasser de la Russie, l’émirat du Qatar, un des plus gros exportateurs de gaz naturel liquéfié (GNL) au monde, avec les États-Unis. En septembre dernier, Charles Michel, le président du Conseil européen, s’était rendu à Doha afin d’inaugurer sur place une délégation de l’Union européenne. Lors d’un discours prononcé à cette occasion, il s’était dit absolument convaincu que « l’amitié avec le Qatar |constituait] un levier important pour relever ensemble ces défis extrêmement difficiles ».
Charles Michel avait parfaitement raison : quand on traverse des épreuves, c’est merveilleux de pouvoir compter sur ses « amis ». D’autant que les Qataris n’ont, apparemment, pas attendu la guerre en Ukraine pour resserrer leurs liens d’amitié avec les institutions européennes. Ils auraient même fait preuve d’une très grande générosité... ce que le parquet fédéral belge pourrait confirmer. En témoignent les sacs remplis d’argent liquide retrouvés au domicile de la vice-présidente socialiste du Parlement européen, Éva Kaïlí, soupçonnée d’avoir reçu de l’argent de l’émirat.
Et voilà que nos amis et « fournisseurs fiables » se sont transformés, du jour au lendemain, en potentiels corrupteurs accusés de chercher à influencer les décisions politiques et économiques du Parlement européen en versant, selon le parquet général belge, « des sommes d'argent conséquentes ou en offrant des cadeaux importants à des tiers ayant une position politique et/ou stratégique significative ».
Quelle déception ! Alors, les eurodéputés ont eu une idée qui avait déjà fait ses preuves avec la Russie : les sanctions ! Ils se sont réunis en session plénière à Strasbourg, le 15 décembre dernier, et ni une ni deux, ils ont voté à la quasi-unanimité un texte dans lequel ils ont demandé la suspension d’accès au Parlement européen « des représentants d'intérêts qatariens », le temps des enquêtes judiciaires. À charge, pour la présidente du Parlement, Roberta Metsola, de prendre ensuite la décision.
Le problème, c’est que cela fâche beaucoup nos désormais anciens « nouveaux amis » et « fournisseurs fiables ». Le 18 décembre dernier, le Qatar a prévenu que cette sanction serait considérée comme une « restriction discriminatoire » qui aurait un « effet négatif sur la coopération régionale et mondiale en matière de sécurité, ainsi que sur les discussions en cours sur la rareté et la sécurité énergétiques mondiales ».
Or, comme dit le dicton, le diable se cache dans les détails. Ce qui compte, dans cet avertissement, c’est le mot « rareté ». Tout le problème provient du fait que l’Union européenne, depuis qu’elle a renoncé au gaz russe, est prise à la gorge. Le 6 décembre dernier, le think tank The Shift Project avait rendu publique une étude consacrée à la crise énergétique qui faisait le constat, pour les années à venir, d’un très fort risque de « déficits d’approvisionnement endémiques et sévères » concernant le gaz naturel liquéfié. Et ce, notamment, en raison du fait de la très forte demande en provenance du marché asiatique avec lequel l’Europe est en concurrence. Les Qataris en ont parfaitement conscience.
Dans un récent article publié sur le site de France 24, on pouvait lire ce commentaire qui en disait long : « Face aux besoins en gaz naturel des États membres, les tensions envers l’émirat ne devraient pas durer. » En conclusion, nous sommes passés d’une dépendance à une autre. Et il n’y a pas de quoi être rassuré. En 2019, les grands reporters Christian Chesnot et Georges Malbrunot avaient fait paraître une enquête intitulée « Qatar Papers » avec, comme sous-titre, « Comment l’émirat finance l’islam de France et d’Europe ». Il y était déjà question d’influence et d’argent.
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