Consultant en géopolitique, spécialiste de l'Asie Mineure et du Caucase, Laurent Leylekian analyse à notre micro l'agression de l'Azerbaïdjan à l'encontre de l'Arménie.
La petite république du Caucase pèse bien peu face aux grands enjeux géopolitiques autour du gaz azéri, de la politique russe et de l'Union européenne.
Marc Eynaud. Des affrontements ont éclaté à la frontière de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan. Que se passe-t-il ?
Laurent Leylekian. Cette fois-ci, il s’agit d’une attaque de l’Azerbaïdjan sur le territoire de l’Arménie, dans la région du Syunik, qui relie l’Arménie à l’Iran. Cette région est vue comme un obstacle par l’Azerbaïdjan, dans sa volonté impérialiste de connecter son territoire principal à l’enclave du Nakhitchevan collée entre la frontière turque, iranienne et arménienne.
M. E. Le territoire arménien a été attaqué par l’Azerbaïdjan…
L. L. Oui, et cela montre bien que l’Artsakh n’était qu’un prétexte. L’Azerbaïdjan visait, dans un premier temps, l’Artsakh et, à terme, l’intégralité du territoire arménien, Aliev lui-même le dit, il a des ambitions sur quasiment tout le territoire arménien et même Erevan. La logique est inversée. On pouvait penser que l’Arménie protégeait l’Artsakh ; en fait, on voit que c'est le contraire puisque avec la chute de l’Artsakh, l’Arménie est attaquée.
M. E. Le Premier ministre arménien a annoncé qu’il était prêt à négocier pour la paix. On a l’impression que l’Arménie dépose les armes rapidement...
L. L. Le Premier ministre Pachinian a déclaré devant l’Assemblée nationale qu’il était prêt à reconnaître la souveraineté de l’Azerbaïdjan et de l’intégrité territoriale azerbaïdjanaise contre la paix. Quelques instants après, devant la pression de la population, il a dit le contraire et que que rien n’avait été signé. Pachinian a une attitude plutôt populiste, cela correspond à une vision des choses libérale selon laquelle faire des concessions et échanger avec le pays voisin ramènera la paix. Or, les simples faits démentent cette vision. Quelles que soient les concessions que fait l’Arménie, elle n’en fera jamais assez puisque, en face, l’objectif est la destruction totale de l’Arménie, un projet génocidaire. C’est la volonté de la poursuite du génocide de 1915, prorogé cette fois par l’Azerbaïdjan. D’ailleurs, le 30 août, il y a eu un rapport de l’ONU dénonçant les actions de l’Azerbaïdjan contre tout ce qui est arménien. Nous ne sommes pas, là, dans une affaire purement territoriale. Chaque fois que l’Azerbaïdjan avance, c’est une épuration ethnique. Il n’y a plus d’Arméniens sous occupation azerbaïdjanaise. Les gens, les monuments et les églises sont détruits. C’est une éradication.
M. E. Comment se situe la Russie, dans ce conflit ? On a l'impression qu'elle est inaudible.
L. L. Il y a plusieurs raisons à l’absence de
soutien à l’Arménie. L’Arménie est censée être un allié stratégique de
la Russie. Mais au début de la guerre avec l’Ukraine, l’Azerbaïdjan a
signé des accords de partenariat stratégique avec la Russie. L’équation,
pour la Russie, est la suivante. Il y a trois facteurs. L’Arménie est
pieds et points liés à la Russie, donc elle n’a plus grand-chose à
négocier. Elle est totalement inféodée à la Russie. L’Azerbaïdjan est
aussi inféodé à la Russie, mais Aliev a une marge de manœuvre plus
grande. Il peut également jouer avec l’influence turque. S’il disparaît,
ce serait un risque pour la Russie puisque l’influence turque se
renforcerait. Aliev est le plus russophile au sein des élites
azerbaïdjanaises. Il peut négocier les choses entre la Turquie et la
Russie.
Troisième facteur, Pachinian lui-même, aux yeux des Russes, fait partie
du problème car il a une vision libérale, occidentale des choses. Son
entourage a été formé dans des universités américaines et quoi qu’il
fasse, il sera vu par les Russes comme un homme pas fiable.
M. E. Quel rôle joue l'Union européenne dans ce conflit ?
L. L. Les démocraties occidentales disent défendre les droits de l’homme et la démocratie, mais en pratique, l'Union européenne préfère la dictature azerbaïdjanaise pour des raisons d’intérêt. C’est un message dévastateur dans le monde entier pour tous les États qui ne sont pas très démocratiques. Ils se disent : « La démocratie pour quoi faire ? », c’est bien triste. Vu par la Russie, le conflit est le meilleur moyen de maintenir son influence. Elle n’a pas d’intérêt pour l’Azerbaïdjan ou pour l’Arménie, elle a un intérêt pour le conflit car le maintien du conflit, c’est le maintien de sa présence.
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