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jeudi 8 avril 2021

Au cimetière de Romorantin dorment les Autolib’, allégorie de notre moderne déconfiture…


 
 

C’est une jolie ville, que Romorantin, un coin du jardin de la France où planent les mânes de Louise de Savoie et de son fils François Ier

La Sauldre y flâne entre les moulins, douce rivière qui inspira des projets de palais fous à Léonard de Vinci.

Curieusement, pourtant, Romorantin semble être, depuis des siècles, la ville des occasions perdues. Ainsi, délaissant le projet pharaonique de palais au bord de l’eau (il fallait détourner les eaux du Cher vers la Sauldre), François Ier entreprit Chambord et abandonna Romorantin à ses moutons.

De roi en empereur, c’est Napoléon III qui fit assécher les marécages de Sologne pour en faire le terrain de chasse des Parisiens. Si la région y gagna des centaines de châteaux de brique rouge, elle fut transformée à jamais en parc de loisirs pour hobereaux et riches industriels. Le train, vecteur de la modernité, passa au nord du département, à Vendôme, et plus au sud, direction Vierzon. Il ne fallait pas déranger les chasseurs.

Romorantin vit naître, malgré tout, un fleuron de l’ : la manufacture Normant, une entreprise familiale spécialisée dans la production des draps de laine. Fondée en 1815, morte en 1969. Créée par des gens modestes, elle incarna longtemps le meilleur en matière de paternalisme industriel : école, dispensaire, de « secours mutuels », logements ouvriers… En 1865, quand l’entreprise devient le fournisseur officiel de l’Empire français pour l’habillement des troupes de terre et de mer, elle emploie déjà 2.000 ouvriers. Pendant la Grande Guerre, l’usine tourne à plein, produisant notamment les draps bleus d’uniforme pour les . Réquisitionnée en 1940, elle sera, cette fois, contrainte à produire du feldgrau pour les armées allemandes.

Le textile français est mort au détour des années 60 et la maison Normant, qui n’employait plus que 350 personnes, a fermé ses portes le 12 décembre 1969. Après quelques années d’errance, c’est l’usine Matra Automobile qui va s’y installer, drainant, elle aussi, des milliers d’ouvriers. C’est la belle époque des monospaces… et puis tout s’effondre. Matra ferme en 2003.

De l’usine Normant/Matra reste la porte monumentale, la porte des Béliers, et quelques bâtiments classés au cœur d’un écoquartier plutôt réussi. Et puis… et puis un parking gigantesque et, tout près, une friche qui ne l’est pas moins. Là où trônaient les Espace rutilants sortis des chaînes de montage dorment maintenant les Autolib’ en attente d’être bradées ou désossées…

France Info est allé en reportage à Romorantin, arpentant ce cimetière où ont atterri plus d’un millier de voitures rapatriées de Paris, Lyon et Bordeaux. « “Changeons le système, pas le ”. Cette formule bien connue des écologistes est inscrite sur le capot délavé d’une Autolib’ hors d’usage, plantée comme des centaines d’autres au fond d’une zone industrielle de Romorantin-Lanthenay (Loir-et-Cher) », écrit le reporter. Triste vision que« ces voitures, qui incarnaient le renouveau de la mobilité urbaine ». C’est toutefois l’aspect écolo qui inquiète surtout Pierre-Louis Caron. Que va-t-il advenir des « fluides présents dans ces voitures, dont certaines, qui n’ont plus de capot, laissent entrevoir un réservoir rempli de liquide de frein ou de transmission » ?

Plus intéressant, à mon avis, est de se demander pourquoi ce fleuron de la modernité a fini si vite au cimetière.

Lancé en 2011 par Bertrand Delanoë comme une « première mondiale » (sic), le service Autolib’ s’est arrêté à Paris le 31 juillet 2018, le groupe Bolloré n’ayant « pas trouvé son modèle économique dans la capitale ». Avec un déficit cumulé de 300 millions d’euros, dont 233 revenaient aux communes au terme du contrat (en 2023), c’est un doux euphémisme.

Encore un « projet d’avenir » mal pensé, mal géré, une folie des grandeurs si française qui finit à la casse…

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