Il n’y a pas si longtemps encore, c’est le boulanger qui fabriquait le pain, le mécanicien qui réparait les voitures, l’agriculteur qui travaillait la terre, le maçon qui construisait les maisons, l’instituteur qui enseignait, le médecin qui soignait …
Le travail était fait et, bien sûr, les vaches étaient bien gardées.
Et
puis est arrivée cette époque où tout le monde se croit obligé de
s’occuper de tout. La plupart du temps, davantage pour se répandre en
conseils et recommandations que pour prendre l’outil des mains du
tâcheron.
En une trentaine d’années se sont multipliées les associations (environ
1.4 millions en activité) alors que, parallèlement, les syndicats
professionnels, réduits à leurs portions congrues, mobilisent de moins
en moins. Résultat des courses, les « influenceurs » ne sont pas
forcement ceux qui vivent de leur métier, mais ceux qui veulent gérer le
métier des autres. Phénomène particulièrement prégnant en ce qui
concerne l’agriculture avec la mobilisation de celles et ceux qui
passent une bonne partie de leurs temps à dénoncer les méthodes et à
critiquer les pratiques, sans savoir bien sûr ce qu’il en coûte de
consacrer toute une vie, et non quelques jours de vacances, aux travaux
des champs.
Le folklore ayant de toute évidence pris le pas sur la réalité, les
médias marchands de peur et de rêve ont su élaborer le cocktail qui fait
recette à coup sûr. Diffuser des reportages anxiogènes le lundi sur une
agriculture qui empoisonne, pollue, réalise quelques inavouables
profits. Et montrer, le mardi, celle qu’il faut idéaliser le soir venu
depuis son canapé, car elle évoque cette époque bucolique où l’on
allait, du côté de l’enfance, chercher les œufs et le lait à la ferme du
pépé.
Pour convaincre, il fallait convoquer quelques vedettes préposées aux
messages pro-environnementaux comme les photographes héliportés Yann
Arthus Bertrand ou l’ex ministre d’Etat Nicolas Hulot. Des valeurs
sures, des gens qui savent, vous comprenez.
Des gens qui n’ont certainement jamais attrapé d’ampoules en nettoyant à la pioche les rangées de vigne perchées là où le tracteur ne peut arriver. Mais qui disent au vigneron comment « il ne doit pas » désherber. Des gens qui n’ont jamais passé plus de 5 minutes dans l’alcali des étables, mais qui sauront expliquer à l’éleveur comment épandre (ou pas) le contenu de la tonne lisier. Des gens qui ne sont pas foutus de faire pousser un pied de tomate et quelques navets, mais qui osent prétendre que la permaculture peut nourrir l’humanité.
Des gens vertueux, qui ont pignon sur rue et que tout le monde écoute car ils vendent de belles images et quelques grandes idées. Nous pouvons nous demander, à ce titre, si le futur ministre de l’Agriculture ne sera pas choisi parmi les photographes, les journalistes, les animateurs de téléréalité …Voilà d’ailleurs qu’après « L’amour est dans le pré » animé par Karine Le Marchand désignée comme il se doit marraine du Grand débat agricole, Stéphane Bern, autre grand expert agronome, a lui aussi compris qu’il y avait quelque chose à gratter du côté de ces campagnes où l’auditeur confiné rêve de s’expatrier.
Au sommaire de cette nouvelle série intitulée « La ferme préférée des Français », un peu de permaculture, du bio, de l’écologie, du circuit court, de la diversification… Et, bien entendu, pas de productions conventionnelles, pas d’impératifs économiques, pas de cultures hors sol, pas de pratiques susceptibles de heurter la sensibilité du spectateur consomm’acteur et surtout pas de grandes exploitations.Lucratives imprécations télévisées
Ces exploitations qui nourrissent 67 millions de personnes, emploient
1.5 millions de salariés, génèrent 75 milliards d’euros de chiffre
d’affaire avec des agriculteurs qui n’ont pas forcement le temps de
regarder où se trouve la lune, à quel endroit placer le bourricot, quand
préparer le purin d’ortie ou cajoler le coquelicot. Ces agriculteurs
qui, pour rembourser leurs emprunts, maintenir l’emploi, honorer leurs
contrats et approvisionner 365 jours par an les marchés ont peut-être
autre chose à faire que d’écouter quelques lucratives imprécations
télévisées.
Car le jour où la production française sera devenue déficitaire car trop
stigmatisée, le jour où nous devrons pour nous nourrir compter sur un
mélange de tofu et de criquets importés de Thaïlande ou d’Indonésie,
quand la faim tordra le ventre plus vite que les idées, ceux qui ont
préféré le discours de l’artiste à celui de l’agriculteur, s’apercevront
très rapidement que pour se sustenter il faut moins compter sur les
livres et les reportages que sur le contenu des placards et des
congélateurs. Ce jour-là, à n’en point douter, le rêve reprendra sa
place quelque part derrière la réalité.
Jean-Paul Pelras
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