En fait, on aime bien Bruno Le Maire, parce qu’il a une intelligence de normalien (qu’il est) : sur le papier glacé des magazines de mode, ça rend très bien, mais porté dans la rue, ça choque l’oeil et ça paraît complètement inadapté et lunaire. Les mots sont beaux, le ton est tragique, mais c’est comme l’albatros : tant qu’il est dans le ciel, il est majestueux, dès qu’il est sur terre, il paraît difforme et sans grâce. Un discours de Bruno Le Maire ressemble terriblement à un albatros perdu sur le pont d’un bateau. On se demande quelle quantité de champignons hallucinogènes il a avalé pour tituber de cette façon. On comprend pourquoi Bruno Le Maire passe plus de temps (dixit en creux Olivier Véran) à écrire des livres qu’à faire le ministre. Sa place est dans l’azur de l’intelligence, mais pas dans la fange des sottes occupations humaines.
Un nouveau discours halluciné de Bruno Le Maire
Donc, Bruno Le Maire était invité sur une radio d’allumés (ce qui constitue une excuse valable à ses délires) appelée France Confiture
France Culture, ce mercredi, où il a tenu des propos débridés comme on
en tient lorsqu’on sort d’une rave party au petit matin, après une nuit
blanche passée au son d’une musique de schtroumpf, à se dandiner en
fumant des joints et en sniffant des rails de neige. Et il a, dans cet
instant d’égarement, donné toute la mesure du subspace dans lequel il
errait à ce moment-là :
“La première partie de l’année, je l’ai toujours dit, serait le moment le plus difficile, mais passé ce moment là, nous aurons davantage de vaccins (...) et je suis convaincu que nous aurons au deuxième semestre de l’année 2021 une croissance économique qui repartira fort.”
Bruno Le Maire
sur France Confiture
Purée, il y en a un seul dans le monde, sur ce modèle-là, et il a fallu que ça tombe sur nous.
Donc, nous avons le seul ministre de l’Economie du monde industrialisé qui ne lit pas les publications du FMI, lequel, hier encore, a expliqué par le menu que 2021 serait une bonne année pour tout le monde… sauf pour l’Europe. Tout le monde sait que, encore moins en France qu’en Allemagne, la croissance ne repartira pas au deuxième semestre 2021. Tout le monde sait que le printemps va sonner l’hécatombe du travail indépendant, va charrier avec lui des monceaux de plans sociaux, et qu’aucune reprise à l’horizon ne se pointe. Mais Bruno Le Maire, au lendemain de ces cruelles publications, soutient l’inverse.Il faut qu’il nous donne le nom de son dealer, parce que nous aussi, on veut de la neige de Colombie d’aussi bonne qualité.
Pas de réforme des retraites avant la sortie de crise
Donc, si l’on en croit l’hallucinant discours de Le Maire, nous réformerons les retraites lorsque nous serons sortis de la crise.
“Je ne suis pas le maître du calendrier (...) mais mon opinion c’est que les faits sont têtus. (...) Je continue à considérer que dès que la croissance sera de retour et l’épidémie derrière nous, il faudra engager cette réforme des retraites.”
Bruno Le Maire
Ah ! ok ! si on a dix ans devant nous avant de réformer, c’est quand même pas trop la peine de se biler. On a le temps !
Là encore, la capacité de Bruno Le Maire à pratiquer l’injonction paradoxale nous fascine et nous délecte, expliquant qu’il faut réformer les retraites dès la crise passée, ce qui, sans le dire, renvoie la réforme aux calendes grecques. C’est une façon de dire « en même temps » il faut aller vite et il est urgent de ne rien faire. Les gogos (ceux que Blaise Pascal appelait les « naïfs ») entendent que Le Maire est un horrible libéral qui veut sacrifier notre merveilleux service public qui nous sidère chaque jour un peu plus. Les habiles (pour suivre le lexique pascalien) comprennent qu’en réalité, Bruno Le Maire veut apparaître, mais n’a nulle intention de toucher aux choses elles-mêmes. Il quittera Bercy sans avoir modifié une once du système de retraites toxique qui existe en France au nom de la « solidarité » nationale, alors que même Marisol Touraine (que certains ont considéré comme la dernière des bécasses) est parvenue, sans bruit ou presque, à allonger de façon salutaire la durée de cotisations.
Bref, beaucoup de bruit pour rien. Et beaucoup de mots pour dissimuler une immense impuissance. Sur ce chapitre, on se réfèrera utilement aux confidences passées (et littéraires) de Bruno Le Maire sur la sexualité de son couple pour deviner les non-dits du dossier.
Et pendant ce temps, les déficits couraient…
Bref, Le Maire va brasser de l’air jusqu’en 2022, mais ne fera rien, ce qui arrange tout le monde. La Commission Européenne, qui a besoin de donner des gages aux contributeurs qui râlent contre l’immobilisme dépensier des Français, répètera aux « pingres » que Le Maire s’est engagé. Et les Français, qui ont très bien compris que rien ne se passerait avant 2023 dans le meilleur des cas, sont retournés sur leurs séries Netflix en attendant que quelque chose bouge.
On sait tous ce que ce laxisme budgétaire signifie : pendant que Le Maire parle et n’agit pas, les comptes publics se dégradent, la dette explose, et les créanciers aiguisent leurs couteaux en attendant le jour J où la crise de la dette publique française éclatera.
Cette crise est évidemment l’arlésienne de la littérature économique depuis 10 ans : la dette publique française est incontrôlable, mais, pour l’instant, elle est financée sans broncher par la BCE, où Macron a installé Lagarde en laissant une Allemande prendre la présidence de la Commission Européenne. Mais combien de temps cette imposture pourra-t-elle durer ? Combien de temps les marchés financiers accepteront-ils que la BCE fabrique de la fausse monnaie pour payer les ardoises des resquilleurs français ?
Nul ne le sait, mais la farce peut s’arrêter demain, comme elle peut s’arrêter dans trois ou quatre ans. Une seule chose est sûre : le jour où la crise de la dette française éclatera, il sera trop tard pour réagir. Seuls les créanciers auront voix au chapitre. Et ils imposeront leurs volontés au petit peuple. Dans celui-ci, on comptera les milliers de résidents français qui ont un portefeuille d’assurance-vie où la dette souveraine figure en bonne place.
Une réforme des retraites sous contrainte
Comme l’a expliqué Bruno Le Maire, il faut adopter dès que possible une réforme des retraites « qui rétablisse les équilibres financiers ». De façon assez curieuse, personne n’est d’accord, à commencer par le MEDEF… Les recettes pour rétablir cet équilibre financier sont pourtant parfaitement connues : les Français doivent, à l’instar de leurs voisins, partir plus tard à la retraite. Idéalement, il faudrait aussi qu’ils soient égaux face à la retraite, ce qui passe par deux principes simples. Le premier consiste à demander aux cheminots de partir à la retraite en même temps que les salariés qui travaillent ordinairement dans les entreprises. Le second consiste à aligner les fonctionnaires sur les méthodes de calcul du secteur privé.
Faute de faire ces choix rapidement, on connaît par avance le prix à payer pour notre retard à réformer : l’Etat fera tôt ou tard défaut, et les épargnants qui ont acheté de la dette française en seront pour leur poche. Nous leur donnons par ailleurs quelques conseils pour éviter le pire. Surtout, les créanciers étrangers dicteront leur loi à la France et, une fois de plus, les salariés du privé seront mis à contribution pour financer les privilèges des fonctionnaires et des régimes spéciaux qui ont survécu au Conseil National de la Résistance, en 1945. Car c’est la particularité française, ceux qui parlent le plus de la solidarité, ceux qui font le plus l’éloge des acquis de la Résistance, sont ceux qui ont conservé le bénéfice des régimes sociaux bien plus favorables inventés dans les années 30.
Cherchez l’erreur. Ou bien faites comme Bruno Le Maire : mangez des champignons hallucinogènes.
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