“Tiens regarde, lui qui est gourmand, si on lui prenait ces chocolats fondants ? Au moins il n’aura pas de mal à les mâcher.”
Ainsi, la semaine dernière, nous apprêtions-nous à rendre visite à mon beau-père dans un EHPAD. Il avait fallu au préalable prendre rendez-vous et bien confirmer que nous serions seuls, le nombre de visiteurs étant strictement limité à deux.
Bon, on savait
bien que l’on ne pourrait pas l’emmener faire un tour en voiture… Lui
qui prenait tant de plaisir à revoir sa campagne, les bois où il avait
joué pendant toute son enfance, passer encore une fois devant la maison
où il est né. Voilà neuf mois déjà qu’à chaque visite on essaye
d’expliquer, en parlant fort derrière le masque, que les sorties sont
interdites à cause d’un virus. Il ne saisit pas tout. Il veut bien
admettre qu’un masque puisse empêcher la propagation d’une maladie, mais
il ne comprend pas où est le danger à faire une petite virée en
voiture. Neuf mois !
Ma foi, on se
dit qu’il sera quand-même content de nous voir, comme à chaque fois, et
on pourra toujours jouer au “Triomino”, ce jeu qu’on lui avait apporté
pour son anniversaire, bien caché sous la veste, parce qu’aucun cadeau
venant de l’extérieur, nous en avions été avertis, ne serait toléré. Et
puis si la pluie s’arrête on pourra faire quelques pas dehors…
Déjà, en
entrant on ne risque pas de louper le gros flacon de gel hydroalcoolique
(bon, là on est d’accord) et derrière, campée, autoritaire parce que
complètement stressée, la “responsable” du moment. Sans aucun
ménagement, elle nous prend des mains boîte de chocolats et programme
télé. “On lui donnera demain”. “Ah bon ! Et qu’est-ce que ça change demain ?”
C’est comme ça. Ce sont les consignes. Ensuite, manu militari,
injonction de nous placer devant un espèce de bidule ingénieux qui nous
déclame à haute voix l’un après l’autre que notre température est
normale. Ce n’est pas tout, obligation d’inscrire nos noms, adresse et
personne visitée. Pressés d’en finir et déjà quelque peu agacés, nous
commençons à allonger le pas pour nous diriger vers la chambre. “Non non non, M. D. n’est pas dans sa chambre, je vais vous accompagner.”
Il se met à pleurer…
Nous
entrons. C’est une pièce carrée, pas très grande, une table au milieu.
Mon beau-père est assis dans un coin, très près du mur. Nous sommes
priés de ne pas nous approcher de lui, de contourner la table et de nous
asseoir de l’autre côté. “Vous avez vingt minutes, gardez bien vos masques et laissez la porte ouverte. Et vous ne devez pas sortir de la pièce.”
Je suis sidérée et je réprime des larmes de rage. Mais il faut essayer
de faire bonne figure et parler de la pluie et du beau temps en haussant
la voix parce qu’on est loin et que mon beau-père n’entend pas bien.
Il ne connaît pas cette pièce et ne comprend pas ce qu’on fait là. “Qu’est-ce
qu’on va faire ? On va jouer dans la chambre ? On va faire un tour en
voiture ? Ah bon, alors on peut aller un peu dehors quand-même ? Et
maman, elle est pas venue ?” Autant de questions et d’étonnement
pour lesquels nous avons bien du mal à trouver des réponses ou des
explications qui puissent apaiser !
“Votre temps est écoulé !”
L’autorité a parlé ! Elle prend mon beau-père par le bras et le fait
asseoir dans le hall en attendant sans doute qu’une infirmière passe par
là et le reconduise dans sa chambre. De loin, nous lui disons au
revoir, que belle-maman viendra mardi, que nous reviendrons vendredi
prochain.
Il se met à pleurer. A un moment donné il va falloir dire STOP ! Non ?
Stop à cette
cœrcition ! Obligations, interdictions, contradictions, menaces,
contrôles. Stop à toutes ces alternances de sanctions et d’indulgences
en fonction de notre “sagesse”. Stop à toutes ces mesures qui relèvent
de la torture ! Autant de mesures basées sur la peur dont la finalité
apparaît de plus en plus clairement : nous rendre totalement soumis,
dépendants d’une autorité, épuisés, sans plus de capacités à résister.
Alors plutôt que se terrer par peur de mourir, si nous prenions le risque de vivre ?
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