Ces dernières semaines, nous avons assisté en Europe et aux États-Unis à une bien étrange actualité.
D’un côté, des médias qui commençaient à reconnaître que la ligne de front des forces de Kiev était en train de céder sous la pression de l’armée russe. De l’autre, des responsables politiques occidentaux qui, face à la nécessité d’une réponse urgente, débattaient pendant plusieurs semaines pour savoir s’il fallait ou non livrer des chars lourds qui ne seraient pas opérationnels avant plusieurs mois.
Chez les spécialistes militaires qui ne sont pas des propagandistes, les réactions étaient donc des plus dubitatives. Sur le site américain 19fortyfive, l’ancien lieutenant-colonel Daniel L. Davis rappelait les difficultés à prévoir : délais de livraison, délais de formation et d’entraînement des équipages, mise en place de chaînes logistiques, mais aussi problématique de l’hétérogénéité des matériels livrés qu’il faudrait parvenir à intégrer pour former des unités de combat efficaces sur le terrain.
Sur le plan strictement militaire, il y avait de manière évidente une inadéquation flagrante entre les besoins actuels et les solutions proposées. À moins d’émettre l’hypothèse que, derrière cette affaire de livraison de chars, se cachait peut-être une opération plus politique que militaire.
On se souvient, en novembre dernier, des déclarations du chef d’état-major de l’armée américaine, le général Mark Milley, qui incitait Kiev à « saisir le moment » pour négocier car la victoire de l’armée ukrainienne lui paraissait tout simplement hors de portée. Le 20 janvier dernier, sur la base américaine de Ramstein, en Allemagne, il insistait à nouveau sur le fait qu’il lui paraissait « très difficile » d’imaginer pouvoir déloger l’armée russe du territoire ukrainien. Un réalisme et un appel à la négociation qui avaient déplu au camp des faucons. Pas question, pour eux, de laisser entendre qu’une autre solution que l’escalade militaire était possible. Il fallait donc maintenir la pression non seulement sur l’armement mais aussi sur l’idée de frapper directement la Russie.
Pour s’en convaincre, il suffisait de lire le New York Times du 18 janvier dernier qui évoquait un débat au sein de l’administration Biden : n’était-il pas temps de donner aux Ukrainiens les moyens de frapper la Crimée ? Bien sûr, Moscou considère que la Crimée fait partie intégrante du territoire russe. Bien sûr, les craintes subsistent d’une riposte nucléaire du Kremlin. Mais franchir le pas ne permettrait-il pas à Kiev de renforcer sa position en vue de futures négociations ? Argument habituel des faucons pour rendre chaque franchissement de ligne rouge plus acceptable : il faut intensifier le conflit pour favoriser la paix. Autre argument : Poutine bluffe avec ses menaces de représailles. Qu’il s’agisse de la livraison de matériels de plus en plus offensifs ou des attaques de Kiev à l’intérieur de la Russie, les réactions du Kremlin ont pour l'instant été plus vigoureuses sur le ton que dans les actes. Par conséquent, aucune raison de ne pas poursuivre l’escalade. Et ce, d’autant plus que, dernier argument, « les responsables ukrainiens craignent que leur pays ne puisse survivre à des années de conflit ». Pour ces faucons américains, il faut donc que les Occidentaux se désinhibent et acceptent enfin de frapper vite et fort sans se laisser intimider par les menaces russes.
Le tabou de la livraison de chars lourds étant levé, il convenait alors d’accélérer le mouvement. C’est ainsi que dès le 25 janvier, la presse occidentale relayait les demandes de Zelensky concernant la livraison de missiles à longue portée et d’avions de combat.
Au même moment, le proche conseiller du président ukrainien, Mykhaïlo Podoliak, expliquait la nécessité de se préparer à une extension du conflit sur le territoire russe : « Je le confirme officiellement : une escalade de la guerre en Russie est inévitable et il y aura différents coups portés à différentes cibles », et notamment « Moscou, Saint-Pétersbourg, Iekaterinbourg », déclarait-il dans une vidéo. Un objectif ambitieux nécessitant cependant de se débarrasser encore de quelques obstacles au sein du camp occidental.
Dans Le Figaro du 22 janvier dernier, Isabelle Lasserre les désignait clairement : la France et l’Allemagne, les « maillons faibles du continent ». Ceux qui craignent depuis le début de faire la guerre à la Russie. Il fallait se féliciter du fait que ces deux pays commençaient à voir leurs certitudes tomber face à la détermination des pays d’Europe centrale et orientale. La crise des chars avait donc permis la neutralisation des deux gêneurs. L’escalade pouvait donc se poursuivre.
Sur France Inter, le 26 janvier dernier, le journaliste Pierre Haski justifiait la logique de cette « escalade permanente » : les Occidentaux sont désormais « trop engagés en Ukraine pour permettre une défaite de ce pays face à la Russie ».
Le camp des faucons a-t-il jamais imaginé que les chars promis à Kiev allaient changer la donne sur le terrain ? Ne sont-ils qu’une étape qui conduit à une autre et mène ainsi progressivement les Occidentaux à accepter l’idée qu’ils n’ont pas d’autre solution qu'une confrontation directe avec la Russie ? On peut se poser la question. Pourtant, l’engrenage n’est pas une fatalité, c’est une stratégie. La stratégie du pire.
A force de vouloir semer le vent ,on finit sans aucuns doutes de récolter la tempête
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